En ce premier mercredi asiatique de mai, je reviens à mes amours coréano-sériephiles, avec la review d'un sageuk qui m'a longtemps intriguée avant que je ne trouve le temps de m'y lancer. Outre les échos positifs que j'avais pu croiser, le trailer et le synopsis m'évoquaient un peu le parfum d'une autre série historique que je chéris tout particulièrement, Damo. Et c'est vrai que l'on retrouve dans Conspiracy in the Court un parfum particulier qui le rapproche de ce drama plus ancien (d'ailleurs j'aime beaucoup son second titre anglais, qui me semble refléter parfaitement l'âme de cette histoire : Seoul's Sad Song).
Diffusée sur KBS2 au cours du mois de juillet 2007, cette série n'est pas sans évoquer, par sa tonalité et son format, des séries du câble sud-coréen. Non seulement elle diffère des dramas historiques "traditionnels" par sa manière de vouloir nous plonger dans une époque sans prétendre faire le biopic d'un personnage célèbre ayant véritablement existé, mais elle est également très brève (et donc accessible) puisque la version Director's Cut ne comporte que 8 épisodes, dont la durée varie pour chacun entre 1h et 1h15.
Conspiracy in the Court s'ouvre dans une période troublée, à la toute fin du XVIIIe siècle, sur fond de tension entre la volonté de modernisation d'un souverain, qui forme le projet de déplacer la capitale du royaume afin de refonder une cité plus juste qui offrira du travail et de la nourriture aux plus humbles souffrant de la famine, et des factions politiques qui luttent pour préserver leur pouvoir ou un statu quo précaire qui leur bénéficie. Derrière ces confrontations entre le maintien des traditions et une volonté de rompre avec certaines rigidités héritées du passé, des forces s'agitent dans l'ombre afin de voir leurs vues prévaloir, quelqu'en soit le prix. Au sein même de la population, des troubles grandissent tandis que s'esquisse une timide forme d'aspiration à une justice sociale qui apparaît révolutionnaire dans cette société de tradition confucéenne à l'ordre social rigide.
Dans ce contexte compliqué, la série va suivre le destin de trois jeunes gens, happés dans ce tourbillon létal des luttes d'influence qui s'exercent dans les coulisses du pouvoir. Lee Na Young, fille d'un ministre déchu et exécuté pour trahison, a embrassé avec résolution le chemin de la vengeance. Décidée à faire payer le prix du sang à ceux qui ont détruit sa famille, elle a accepté de suivre un entraînement et assassine désormais sans sourciller. Elle a depuis longtemps perdu de vue son ancien flirt d'adolescence, Park Sang Kyu, le fils illégitime d'un haut dignitaire officiel. N'ayant toujours pas trouvé sa place par rapport à ses origines sociales particulières - sa mère étant esclave -, ce dernier s'est engagé auprès d'un des bureaux de police de la capitale. Enfin, Yang Man Oh, un ancien serviteur de la famille de Lee Na Young, a poursuivi son chemin au service de ses ambitions personnelles, teintées d'aspirations idéalistes pour mettre fin aux problèmes d'approvisionnement en denrées. Il est devenu un marchand influent aspirant à prendre le contrôle du commerce de la ville.
Nos trois personnages principaux vont se retrouver, certains volontairement, d'autres malgré eux, pris dans la toile d'araignée d'une conspiration qui étend son ombre sur la cour, décidée à empêcher toute réforme d'aboutir et à maintenir le système de classes tel qu'il existe jusqu'à présent. Dans cette partie de trahisons et de complots, que vaut une vie face à aux intérêts des puissants ?
Conspiracy in the Court est un drama historique à part, dont le premier atout va résider dans le style choisi et l'ambiance extrêmement sombre dans laquelle elle nous immerge dès les premières scènes, au cours desquelles le téléspectateur est témoin d'un assassinat. Le ton est immédiatement donné ; la hauteur des intérêts en jeu également. Empruntant ses techniques narratives plutôt aux dramas contemporains qu'aux sageuk, la série nous plonge directement dans l'action : il n'y aura aucun passage d'exposition, les personnages ainsi que leur rôle nous sont introduits au fil du premier épisode, sans ralentir les intrigues que nous prenons en cours.
La complexité du scénario peut déstabiliser un instant, mais la densité narrative et l'ambition scénaristique évidente captent instanément l'attention du téléspectateur. Car c'est une histoire soignée et d'une grande richesse qui est mise en scène, multipliant les protagonistes et les intérêts divergents pour offrir un tableau complexe et nuancé. L'ensemble sonne étonnament authentique, donnant une réelle consistance et crédibilité à un récit qui, même s'il se déroule sur une durée finalement plutôt brève, n'en parvient pas moins à acquérir une intensité marquante, accentuée par ses accents fatalistes caractéristiques.
Cette impression de rigueur réaliste s'explique également en raison des thématiques traitées. Conspiracy in the Court n'est pas une simple série sur des jeux de pouvoirs létaux. En effet, elle trouve la pointe d'ambivalence attendue pour mêler et confronter intérêts personnels et intérêt supérieur, lequel demeure cette justification ultime invoqué par chacun, avec parfois une forme d'aveuglement troublant. Quoi de plus révélateur, par exemple, que les choix faits par Yang Man Oh, pourtant sans doute le plus clairvoyant du trio principal. Le jeune marchand reprend, presque sans en avoir conscience, la même rhétorique que les usuriers d'hier avec lesquels il entend rompre. Seulement, pour résoudre son problème du moment (l'enjeu du monopole commercial), affamer le peuple de la même manière que ses prédécesseurs semble être la solution légitime sur le long terme. Cela ne l'empêche pas dans le même temps de se proclamer le garant des plus humbles, lesquels sont toujours les premiers sacrifiés de ces luttes entre puissants.
De façon troublante, les attitudes de chacun semblent se nourrir de leurs ambiguïtés. Derrière ces agitations, Conspiracy in the Court, c'est en fait l'histoire d'une idée nouvelle, par encore pleinement formulée, ni vraiment comprise : celle d'une justice sociale que la rigidité de classes rend utopique. Le téléspectateur suit avec une fascination grandissante cet instantané social loin d'être manichéen, qui gagne en complexité à mesure que les ressorts dans l'ombre se dévoilent. Les apparences s'effritent, chaque camp se nuance... Mais à la fin, derrière ce tourbillon politique, c'est à une lutte bien plus simple que tout finit par se réduire : il s'agit avant tout de survivre.
Au-delà de ces enjeux politiques, si Conspiracy in the Court pose un cadre sombre qui pourrait paraître de prime abord déshumanisé, au fil de la progression de l'histoire, son développement des personnages montre qu'il n'en est rien. La série va en réalité jouer de façon très troublante sur le contraste entre le volet des complots en cours et celui d'une étrange pureté sentimentale, bulle hors d'atteinte dans laquelle les trois personnages principaux sont unis ; les sentiments des deux hommes pour Lee Na Young ne vascillent jamais. De manière originale, c'est d'ailleurs elle, figure féminine que les deux autres révèrent, qui est l'assassin et représente ce qu'il y a de plus noir dans leur trio. Le contexte particulier permet au drama de se détacher des ressorts narratifs stéréotypés des triangles amoureux, préférant opter pour une forme d'idéalisation émotionnelle qui surprend le téléspectateur et tranche considérablement avec la noirceur ambiante. Cette dimension sentimentale que rien ne semble pouvoir atteindre ou ternir, même pas les agissements voire les oppositions de chacun, se révèle très touchante.
Globalement, Conspiracy in the Court parvient à trouver un équilibre entre, d'une part, des conspirations politiques excessivement noires, et d'autre part, une touche de mélodrama étonnamment pure. Ce contraste des tonalités peut quelque peu déstabiliser à certains moments, mais au fur et à mesure que la série progresse, cette approche prend peu à peu tout son sens. Ce recours a priori presque excessif à une naïveté revendiquée et assumée pour dépeindre les liens unissant ces trois jeunes gens n'est pas un artifice creux pour rallier une plus large audience. Au contraire. L'idée de jouer sur l'antinomie entre le pragmatisme des uns et la force des sentiments des autres apporte une dramatisation qui confère au récit une dimension supplémentaire. Ce qui est mis en exergue, c'est le refus de renier ses aspirations, aussi idéalistes et hors de propos qu'elles puissent paraître dans ce monde impitoyable. Au fond, si Conspiracy in the Court a toutes les caractéristiques d'une tragédie du pouvoir bien huilée, sa dimension humaine demeure son vrai moteur : en cela, elle reste porteur d'un message d'espoir qui tranche avec la noirceur ambiante.
Forte de sa complexité narrative aboutie, Conspiracy in the Court bénéficie également d'une forme tout particulièrement soignée. Quand je la rapprochais des séries du câble sud-coréen, c'était en partie justement pour la réalisation quasi-cinématographique qu'elle propose. La caméra est nerveuse, l'image jamais figée est loin du théâtralisme un peu rigide des sageuk traditionnels. La teinte restera volontairement sombre, sans jamais sacrifier des couleurs naturelles au sein desquels le rouge sang prédomine, dans les tenues jusque dans les rouges à lèvres de certaines courtisanes. Par ailleurs, la série dispose également d'une superbe OST qu'il convient de saluer. Non seulement elle va imposer quelques chansons récurrentes, souvent poignantes, jamais envahissantes, mais en plus sa bande-son comporte également quelques morceaux instrumentaux plus rythmés parfaits pour faire transparaître la tension ambiante. Il s'agit donc d'un drama pleinement travaillé qui se savoure aussi bien visuellement que musicalement.
Enfin, l'histoire est portée par un casting composée d'acteurs pas forcément très connus, mais qui délivrent ici une solide performance d'ensemble qui crédibilise le récit et sa portée. Le trio principal s'avère particulièrement crédible. Je serais tentée de dire que c'est Lee Chun Hee (Smile, Gloria), en marchand ambitieux et pragmatique, qui arrive le mieux à faire vibrer cette détermination froide couplée d'une fibre émotionnelle touchante. Peut-être est-ce parce que son personnage, d'origine plus modeste, a également plus conscience que les deux autres de ce qu'il y a à sacrifier au bout du chemin. Cependant Jin Yi Han (A Good Day for the Wind to Blow) et Kim Ha Eun (Chuno, Thorn Birds) proposent aussi des performances solides et convaincantes. A leurs côtés, on retrouve également Ahn Nae Sang (Royal Family), en roi réformateur, Jung Ae Ri (Women of the Sun), Kim Young Ae, Sa Hyun Jin, Kim Kyung Ryong, Jang Hyun Sung, Kim Ki Hyun, Jun Il Bum, Han Jung Soo ou encore Park Sun Young.
Bilan : Drama abouti et assurément ambitieux, Conspiracy in the Court est plus qu'une simple série historique. Elle parvient à fasciner et à retenir l'intérêt du téléspectateur, tant par sa narration complexe et travaillée, que par la richesse de ses thématiques politiques et sociales qu'elle va aborder de manière nuancée en leur donnant un écho universel qui transcende les âges. Bénéficiant de son format court, l'histoire est maîtrisée de bout en bout. Ainsi, derrière son parfum semblable à une pièce shakespearienne, c'est une tragédie du pouvoir et de l'amour qui se joue, à la fois extrêmement sombre et d'une pureté émotionnelle poignante. A découvrir.
NOTE : 8/10
La bande-annonce de la série :