Une telle commedia dell'arte (les vieux chars Sherman de la gendarmerie déployés devant l’Assemblée nationale n’avaient pas de munitions) pose la question de sa finalité. Pierre Abramovici donne des pistes de réflexion, en particulier sur la mise en œuvre d’un article 16 de la constitution pendant plusieurs mois alors que le putsch a échoué. Il revient aussi sur la manière dont le général de Gaulle « a offert » à l’armée française la victoire de Bizerte contre les forces armées tunisiennes pour compenser le désarroi d’un certain nombre de militaires de carrière qui vivaient très mal la fracture engendrée par les multiples rebondissements de la guerre d’Algérie. L’ouvrage de l’universitaire américain Matthew Connelly complète cette tentative de lecture de la complexité de la puissance en revenant sur la manière dont le FLN a mené sa guerre de l’information contre la France et en exploitant les contradictions des relations franco-américaines durant la guerre froide. Si l’armée française a gagné une guerre de l’information tactique contre le FLN (affaire de la bleuite ; politique de pacification des SAS), elle a perdu la guerre de l’information au niveau stratégique. La démonstration de Matthew Connelly est particulièrement didactique sur ce sujet encore très sensible aujourd’hui et mérite d’être étudiée avec le plus grand soin (les opérations d’influence sur les votes à l’ONU, le décalage du discours induit par une vision colonisatrice et le double jeu du FLN à propos de la modernité démocratique qu’ils revendiquent et l’ambigüité qu’ils entretiennent à l’égard d’une vision jihadiste de l’Islam. Mattew Connelly a su délier les fils des finalités diplomatiques, géopolitiques et idéologiques d’une guerre de l’information qui est encore trop souvent analysée sous l’angle des opérations de propagande, de contrepropagande et d’intoxication.
Quels enseignements tirer de ces deux ouvrages fondamentaux ? Le premier d’entre eux est l’art de la ruse et du leurre manié aussi bien par le fort que par le faible. Dans un contexte dangereux et difficile (attentats contre le général de Gaulle, appareil d’Etat divisé sur la question algérienne), le créateur de la Vè République gère dans un mouchoir de poche sa stratégie secrète pour mettre un terme à la guerre d’Algérie. De son côté les leaders du FLN ont tiré les leçons de Giap et d’Ho Chi Minh. Ils jouent notamment sur les contradictions de la politique extérieure américaine. Les Etats-Unis doivent à la fois contenir les manœuvres soviétiques dans leur soutien aux luttes de libération nationale en particulier en Afrique du Nord, tout en préservant les intérêts géoéconomiques américains par rapport aux pays pétroliers dans cette partie du monde. Le second enseignement est la perception avant-gardiste de certains hommes politiques de la IVè République qui ont anticipé avec une certaine clairvoyance l’évolution des rapports de force internationaux et la place que va jouer la montée du Tiers Monde face à un monde occidental divisé par des enjeux de puissance souvent antinomiques.
Christian Harbulot
Références