La poulette à la broche, l’apéro méditatif et le bon sens de rotation du mécanisme vintage

Par Estebe

Tchou!

Une volaille tounicotant sans hâte sur une broche et devant un âtre rougeoyant est un spectacle sublime, pour ne pas dire hallucinogène. Un spectacle plein de majesté, de langueur et de mystère, propice à l’émulsion de l’imaginaire et au relâchement de l’âme.
Devant une volaille à la broche, l’humain normalement cérébré a la cafetière qui décolle. Le voilà méditant sur l’existence (de Dieu, de Barry White, de Loana…), rêvassant au cosmos sans fin, inventant des choses inouïes, composant peut-être même un slow baveux promis au faîte des hit-parades.
Si on vous raconte ça, c’est que l’autre jour, le Dr Slurp s’offrant une glandouille pascale dans la pampa quercinoise, tombe nez à nez avec une broche antique, planquée dans un coin de la cheminée. Le genre de belle mécanique vintage mais increvable, qu’il faut remonter à la main tous les quarts d’heure, comme la montre gousset de Tonton Octave.
Branle-bas de combat. Une heure après, l’engin était nettoyé, les braises crépitaient, pendant qu’un beau poulet fermier d’un kilo et demi ne demandait plus qu’à être embroché. Oui, le Dr Slurp peut se montrer impulsif à l’occasion.
Ouvrons ici une nécessaire quoique sans doute fastidieuse parenthèse stratégique. Dans l’art de la broche, technique de cuisson douce autant qu’immémoriale, le sens de rotation a, voyez-vous, une importance décisive. La bestiole, à moins qu’on ne la souhaite toute sèche sous la dent, doit tournoyer du foyer vers vous, chers spectateurs. Et non de vous vers le foyer. Dans le second cas, la petite goutte de graisse, une fois bien chaude et dodue après son passage devant les braises, se casse lamentablement la gueule dans la lèchefrite. C’est la loi de la gravité. Dans le premier cas, en revanche, la même goutte de graisse, une fois le feu remonté, vient aimablement glisser sur la bête. Tu piges? Nous, il nous a fallu six heures d’explications.
Cuisinons maintenant, si vous le souhaitez, un gros poulet à la broche, au citron et au Mauzac, pour apéro méditatif à rallonge.

Videz la bête. Farcissez-lui le tutu avec plein de thym, de romarin, deux gousses d’ail, une giclée d’huile d’olive, sel, poivre. Refermez pudiquement ledit tutu. Oignez ensuite l’animal d’huile d’olive, de jus de citron, sel, poivre. Embrochez-le bien au milieu de la tige. Remontez la mécanique. Installez la broche. C’est parti, mein kiki.
Ouvrez maintenant une bouteille d’un blanc local, le formidable et impérieux Mauzac de Patrice Lescarret du Domaine de Causse Marines à Gaillac, par exemple. Remplissez le verre de chacun des convives, en leur demandant gentiment de ne pas le siffler cul sec. Le jeu va en effet consister à balancer à intervalles réguliers le fond de chaque godet sur la poulette qui dore tout doucement là-bas dans la cheminée. Distrayant, non? Et comme il est hors de question de laisser le volatile se déshydrater, il faudra impérativement refaire les niveaux des verres durant les deux heures et demie, voire trois plombes, de cuisson. Comptez trois bouteilles. Au moins.
Le processus s’achève d’ordinaire par une mastication voluptueuse quoique - on ne sait trop pourquoi - un brin somnolente.
Bien à vous