Bill Gates, la route du futur passe par Yahoo!

Fait d’actualité : vendredi dernier Microsoft, éditeur de logiciels, lance une OPA sur Yahoo! moteur de recherche et hébergeur de courriels. Microsoft offre 31 $ par action en cash et titres. Microsoft voit que le marché de la publicité sur internet s’accroît à un rythme très rapide - de 40 milliards de dollars en 2007 à près de 80 milliards prévus à horizon 2010 - et l’avenir exige d’y prendre part. Le logiciel payant ne sera peut-être pas éternel. Survivre, c’est s’adapter, et cela, Bill Gates sait le faire.

Pour le comprendre, il est utile de se référer au livre qu’il a publié en 1995 mais complètement revu en 1998 : « La route du futur » (The Road Ahead). Dix ans seulement et cet ouvrage de prospective est devenu un livre d’histoire… Il se relit aujourd’hui avec bonheur, retraçant toute l’aventure de la communication. Rappelez-vous ! En 1998, balbutiement du téléphone mobile en France et liaisons internet réservées quasiment aux entreprises, ou avec un débit ridicule. Ceux qui ont moins de 25 ans ne savent pas de quoi je parle : ils sont tombés dedans dès leur prime adolescence. A leur âge, il en était de même pour la télé, que très peu de notre génération avaient. Arpanet, le réseau administratif et militaire, a tout juste 20 ans en 2008 : il est devenu public et mondial, sous le nom d’Internet.

Bill Gates est né en 1955, en plein optimisme du baby boom. Américain du nord-ouest, ses parents l’ont élevé avec ses deux sœurs à poser plein de questions. Ils l’ont aidé à s’intéresser à tout : aux encyclopédies, aux jeux, aux techniques. « A 8 ans, j’ai commencé à lire le premier volume de ‘World Book’, bien décidé de venir à bout de chaque tome, de la première à la dernière page. » p.147 On n’imagine plus aujourd’hui l’attrait des encyclopédies pour les gamins qui n’avaient ni jeux vidéos, ni séries télé, et que l’école ennuyait, restée autoritaire et confite en vieux programmes. Je me souviens, pour ma part, de ‘Tout l’Univers’, édité chaque semaine en fascicule par Hachette. J’ai appris bien plus là-dedans qu’en classe, dans mes jeunes années. Aujourd’hui, l’encyclopédie, c’est internet – même s’il faut savoir chercher, et surtout évaluer la qualité de l’information. Il circule beaucoup de bobards sur le net, et pas que sur les blogs. 

Bill Gates à 13 ans, avec Paul Allen :

A 13 ans, le blondinet William Henry III - dit « Bill » - fils d’avocat et d’enseignante - est inscrit par sa mère dans une activité. « Tout a commencé par une idée du Club des mères de Lakeside, l’école de Seattle que je fréquentais : laisser une bande d’adolescents jouer librement avec un ordinateur. » p.16 Tout ça pour jouer… au morpion. Le terminal n’avait pas d’écran et était très lent : il fallait taper un coup sur un clavier de machine à écrire, puis attendre le résultat sur une imprimante à listing. Mais c’est bel et bien l’aspect ludique qui a révélé sa vocation : « J’ai écrit mon premier programme à l’âge de 13 ans. » p.16 Pourquoi ? Parce que « enfants et ordinateurs s’entendent à merveille. Peut-être parce que les premiers n’ont pas encore des habitudes de pensée figées. Ils aiment provoquer des réactions – et les ordinateurs réagissent tout le temps. » p.223 Les ordinateurs sont très patients et interactifs. Toujours disponibles. Pas comme les adultes modernes.

Bill Gates à 23 ans :

Entre les deux rives de l’Atlantique, au même âge, nous n’avons pas vécu dans le même monde… En 1981, lorsque les Français régressaient dans les nationalisations idéologiques d’Etat, IBM inventait pragmatiquement le PC, tandis que Microsoft imaginait l’avenir MS-DOS. En 1983, lorsque les Français subissaient leur plan de rigueur après la troisième dévaluation du Franc en 2 ans (!), Microsoft inventait le système d’exploitation par icônes Windows pour le tout nouveau Mac d’Apple. En 1986, lorsque Chirac devint chef du gouvernement et commençait, timidement (alachiraque), les premières privatisations, Microsoft s’introduisait en bourse. Désormais à l’abri de tout besoin, Bill épouse Melinda et donne la vie à trois enfants entre 1996 et 2002.

Bien sûr, le net a donné lieu à des mirages. Nul n’empêchera jamais les humains de rêver, même (et surtout ?) ceux formés/déformés aux maths, tout nu devant tout ce qui est « humanité » (des sciences humaines au simple bon sens). En 1995 déjà, en 1998 au moins (des années avant la bulle boursière dite TMT – technologie, media, télécom), Bill Gates mettait en garde les investisseurs dans son livre : « En 1994, les câblo-opérateurs et les compagnies téléphoniques envisageaient (…) des millions d’de foyers américains branchés à un réseau à large bande dans un temps record. Que de promesses extravagantes n’avons-nous pas entendues ! » p.122 L’ADSL, en effet, ne se diffusera guère qu’après 2002… De même, Bill Gates avait prévu que qui est arrivé à Vivendi – et à son énarque de président qui croyait tout savoir : « L’innovation, rapide, se déroule sur plusieurs fronts. La plupart des innovations échoueront. Les grandes sociétés ont tendance à prendre moins de risques, mais quand elles coulent, la combinaison entre l’ego surdimensionné de leurs dirigeants et les ressources financières importantes provoque une terrible lame de fond. » p.289 - Ecrit en 1998 ! Pourquoi les PDG écoutent-ils plus volontiers la langue de bois commerciale des « consultants » plutôt que la langue verte de ceux qui ont réussi ? Est-ce parce que lesdits consultants sont français, technocrates de leur caste, et les self-made-men américains ?

Bill Gates à 50 ans :

Le rachat de Yahoo! était en germe dans la pensée Bill Gates dès 1995 : « Quelles sont les compagnies qui ont gagné le plus d’argent ? Celles qui ont offert un contenu : des divertissements, des nouvelles, du sport et de la publicité. Une dynamique similaire s’enclenchera pour internet. » p.287 L’édition ? Cela prendra beaucoup plus de temps qu’on ne croit. En revanche, « la publicité – lucrative pour les media traditionnels – représente la source de revenus la plus prometteuse sur internet » p.287 Encore une fois, c’était écrit… il y a dix ans !

Pourquoi ne pas relire Bill Gates ?

Bill Gates, La route du futur, édition refondue 1998, Pocket 332 pages.