La fusion Southwest/AirTran va devenir réalité.
Les ultimes obstacles administratifs et légaux étant franchis, la fusion de Southwest Airlines par AirTran va devenir réalité. Ou, plus exactement, l’absorption de la seconde par la premičre dans la mesure oů il s’agit bien d’une opération de Ťconsolidationť, au propre et au figuré, en français et en franglais.
C’est un événement important pour le secteur américain des transports aériens. Mais, vue d’Europe, cette opération apparaît lointaine, sans impact direct de ce côté-ci de l’océan et, de ce fait, se met en place dans l’indifférence. A tort, ŕ n’en pas douter, dans la mesure oů il est rare qu’un phénomčne économique américain ne finisse par venir jusqu’ŕ nous. Moyennant quoi il est toujours utile d’ętre prévenu d’une évolution de grande importance, voire d’un bouleversement du rapport des forces ou des maničres de faire en présence.
Il est d’ailleurs facile de mettre cette remarque en contexte : le transport aérien européen reste fragmenté, porte toujours les stigmates de l’époque d’avant déréglementation, les rapprochements et les fusions restent rares. Dans le męme temps, les compagnies low cost gagnent sans cesse du terrain et, de toute évidence, elles sont elles-męmes trop nombreuses. Cela malgré la domination de Ryanair et EasyJet, flanquées d’une multitude d’intervenants de niche dont les ambitions n’en sont pas moins grandes.
Bien sűr, on peut rétorquer que Lufthansa a pratiqué la croissance externe au grand galop, qu’Air France-KLM forme désormais un tandem solide qui a pris pied chez Alitalia tandis que British Airways et Iberia mettaient en place un axe Nord-Sud. Reste le fait que la situation est plus claire aux Etats-Unis, surtout depuis le rapprochement de Continental et United. A terme, on devrait voir se façonner un paysage aérien américain composé d’une petite douzaine d’intervenants, pour moitiés traditionnels et low cost. Sur le Vieux Continent, on est bien loin du compte, avec des circonstances atténuantes diverses et variées : c’est l’Europe qui reste fragmentée, et pas uniquement son aviation commerciale.
Côté américain, sur un marché réputé mature, une clientčle habituée ŕ compter, n’a pas permis l’essor de nombreuses compagnies low cost et une seule, Southwest, ne s’est absolument pas éloignée du modčle originel. Elle exploite uniquement des lignes point ŕ point, protčge jalousement son extręme simplicité commerciale et opérationnelle, se limite aux aéroports secondaires, contrôle étroitement sa croissance en évitant constamment de brűler les étapes. Mais va-t-elle pouvoir poursuivre dans cette voie ? La question est posée.
En passe d’aller au-delŕ des 100 millions de passagers annuels aprčs absorption d’AirTran, l’ensemble étant doté de prčs de 700 avions, Southwest se prépare ŕ bousculer involontairement son modčle. En matičre de flotte, précisément, elle va renoncer au modčle unique (le Boeing 737) en récupérant non seulement des versions nouvelles exploitées par AirTran mais aussi 88 biréacteurs 717 (ex Douglas DC-9-95). Par ailleurs, les réseaux affichent une complémentarité de bon aloi (l’essence męme de la fusion) mais, ŕ travers l’apport d’AirTran, va inclure des aéroports qui n’ont rien de secondaire, ŕ commencer par New York/Newark. L’ensemble occupera 44.000 personnes, ce qui en fera une machine trčs lourde.
Bien entendu, les équipes dirigeantes se complaisent dans le jargon qu’affectionnent les analystes financiers et s’empressent d’évoquer de considérables synergies, de plus de 400 millions de dollars par an, qui annoncent des lendemains prometteurs. Or Southwest, avant męme que la fusion ne soit consommée, se porte bien. Son PDG, Gary Kelly, vient précisément de faire état d’un bond en avant de 17,8% des recettes passagers au cours des 12 derniers mois.
On devine la suite, c’est-ŕ-dire un discours bâti sur des économies d’échelle qui restent le privilčge des grands. Dans ces conditions, les petits ont du souci ŕ se faire, un raisonnement qui n’est pas nécessairement approuvé par tout le monde. Une raison de plus pour ne pas quitter Southwest des yeux.
Pierre Sparaco - AeroMorning