Comme il arrive parfois, la rencontre des deux protagonistes du roman tient à un pur hasard, à une bifurcation imprévue dans le cyberespace: C’est que, Emmi Rothner, croyant s’adresser à l’éditeur d’une revue pour demander la résiliation de son abonnement rejoint plutôt la boîte de réception d’un inconnu, Léo Leike. Après avoir laissé passer les 2 premiers messages sans répondre et voyant l’exaspération de la cliente s’accroître de courriel en courriel, Léo fini par se manifester. Explications. Plates excuses de l’expéditrice. L’affaire aurait pu en rester là si, 9 mois plus tard, la même Emmi n’avait pas encore, par erreur, joint l’adresse de Léo Leike à un envoi en lot de vœux de Noël pré-formatés. Cette nouvelle bourde servira de bougie d’allumage à une correspondance suivie à l’intérieur de laquelle la curiosité et l’humour céderont peu à peu la place à des sentiments beaucoup plus profonds.
Cette lente progression d’un vague intérêt réciproque vers le besoin réel d’en connaître davantage sur l’autre est très bien représentée. On sent peu à peu une tension s’installer: Que âge a-t-elle? À quoi ressemble-t-il? L’image mentale que chacun se construit à la faveur des bribes d’informations personnelles transmises par l’autre partie procède d’un jeu de séduction dont la résultante semble inéluctable. On imagine assez vers quoi tout cela va les mener. Plus le temps passe, plus les liens de sympathie entre les deux correspondants se tissent et plus ceux-ci sont terrorisés à l’idée de se rencontrer, car, pour finir le plat, oui, ils habitent dans la même ville. Il faut voir les prodiges d’imagination qu’ils déploient pour arriver à se voir sans se démasquer. On croirait deux adolescents. Sauf que ces deux-là sont dans la trentaine et que, si Léo vient de sortir d’une relation difficile et se trouve donc disponible, il n’en est pas de même pour Emmi qui prend soin de préciser qu’elle est « mariée et heureuse ».
L’intérêt est soutenu tout au long de la lecture. Ceci dit, soyons clair. Madame de Lafayette, Voltaire, Choderdos de Laclos et Madame de Sévigné peuvent dormir tranquille. Avec cet ouvrage, ce n’est pas grande tradition de la littérature épistolaire qui renaît. Tout au plus s’agit-il d’une actualisation du format de la correspondance qui tient compte de l’évolution technologique (par ailleurs déjà dépassée par la mode du ‘texto’). On imagine mal en effet comment, sans tuer les chevaux de poste, le Vicomte de Valmont et Madame de Tourvel auraient pu avoir un échange semblable à celui-ci à la fin d’une soirée:
Trois minutes plus tard
RÉP:
Bonne nuitDeux minutes plus tard
RE:
Bonne nuitUne minute plus tard
RÉP:
Bonne nuit50 secondes plus tard
RE:
Bonne nuit
(p. 236)
Rassurez-vous, les messages sont en général plus fouillés que cet extrait ne le laisse paraître. Le rythme est soutenu. On passe d’un courriel à l’autre à toute vitesse et, sans s’en apercevoir, c’est déjà la fin. Si vous partez en vacances, ajoutez un autre roman dans votre valise. Vous ne ferez pas la semaine…
Par association mentale, ce livre m’a rappelé deux œuvres:
L’épopée du buveur d’eau de John Irving, pour les courriels au ton progressivement agressif adressés à un fournisseur. Je n’ai pas le livre avec moi mais je me rappelle que l’une des premières lettres du personnage principal à la compagnie d’électricité est d’une politesse extrême alors que la dernière se termine par ces mots: « va te faire foutre ». Pauvre Irving dont l’étoile semble avoir complètement disparu du firmament littéraire malgré ses efforts répétés pour y accéder de nouveau. Quelqu’un a lu son dernier roman?
L’autre œuvre est un film et non un livre: Une liaison pornographique de Fredric Fonteyne, pour cette idée d’une relation qui commence par le mauvais bout ou qui, du moins, ne commençant pas par le début, laisse les personnages assez embarrassés quant à la manière d’y donner suite.
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GLATTAUER, Daniel. Quand souffle le vent du nord. Paris, Grasset, 2010, 348 p. ISBN: 9782246765011
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