Justice n'est pas faite

Publié le 02 mai 2011 par Edgar @edgarpoe

Titre facile, qui ne vise qu'à répondre par exemple au billet de Rubin Sfadj. C'est Obama qui a présenté l'exécution de Ben Laden comme un acte de justice. Sfadj présente tous les arguments en ce sens, et il ressort assez clairement une vision religieuse de la justice, bien plus proche de la vengeance que de tout autre chose. Sfadj fait un parallèle hasardeux entre ceux qui estimaient qu'en 2001 les américains l'avaient bien cherché et ceux qui pensent que la mort de Ben Laden est une vengeance.

Je me sens d'autant plus à l'aise pour le récuser qu'en 2001 j'ai compati largement avec les victimes des attentats, participant à la minute de silence organisée le lendemain sans hésitation. Et je comprends parfaitement que des scènes de joie aient pu être observées aux Etats-Unis.

  Mais la justice ce n'est pas l'exécution directe du condamné, condamné qui n'aurait même pas eu à présenter sa défense, après une peine prononcée directement par l'exécutif. Et si la mission qui avait été assignée au commando américain qui a opéré au Pakistan n'était que de capturer Ben Laden, sa mort résulte d'un acte de guerre, peut-être légitime, mais ce n'est pas un acte de justice.

 Ou alors c'est accepter l'idée que le président des Etats-Unis est le doigt de Dieu, l'instrument d'une justice supérieure.

Je crains malheureusement très fort que nous n'en soyons là.

Reprenons le discours d'Obama, en vidéo ci-dessous et tel que retranscrit par CNN.

  Concentrons-nous sur la fin : "notre succès de ce jour est un témoignage de la grandeur de notre pays et de la détermination de son peuple [...] ceci est un rappel que l'Amérique peut atteindre tous les objectifs qu'elle se fixe [...] c'est notre histoire [...] faite de sacrifices pour rendre le monde meilleur.[...] Nous sommes une nation devant Dieu [...] Que Dieu vous bénisse et bénisse l'Amérique".

(today's achievement is a testament to the greatness of our country and the determination of the American people...tonight, we are once again reminded that America can do whatever we set our mind to...  our sacrifices to make the world a safer place. one nation, under God, indivisible, with liberty and justice for all. Thank you. May God bless you. And may God bless the United States of America.)

Bon. Si n'importe quel politicien français s'exprimait ainsi, le rejet serait total (et c'est à notre honneur). Obama se place en protecteur du monde, rôle qu'il justifie par les sacrifices consentis. Quiconque ne reconnaît pas là une position quasi-christique manque de culture religieuse. Les USA portent la croix du monde, et sur ce chemin de croix nous n'en sommes pas encore à la 14ème station...

Autre détail sémantique précieux : Obama place la nation américaine "under god". Ce petit article du New York Times rappelle que la formule One Nation Under God n'est pas la devise des Etats-Unis depuis l'Indépendance. C'est un ajout qui a été fait au serment d'allégeance au drapeau que prêtent chaque matin les écoliers américains. Et cet ajout a été fait au plus fort du McCarthysme, en 1954...

Le Monde préfère épargner toute cette complexité à ses lecteurs français, histoire qu'ils n'oublient pas qu'ils doivent être tous américains ad vitam aeternam, en commençant par être de bons européens. La traduction des "principaux extraits de l'allocution" d'Obama se termine ainsi "Nous respecterons les valeurs qui nous définissent. Et en un soir comme celui-ci, nous pouvons dire aux familles qui ont perdu des êtres chers à cause du terrorisme d'Al-Qaida : justice est faite (...)."

Aucune allusion au rôle mondial que veulent se donner les Etats-Unis, justifié par leurs sacrifices, ni à la place de Dieu dans le discours d'Obama. Ni au fait que les USA se font fort "d'atteindre tous leurs objectifs". C'est "la traduction racontée à ma fille"...

Que dire ? Rien. Si, un petit coup de chapeau au titreur du Monde qui, rachetant son journal quelque peu, a écrit : "les Etats-Unis se sont finalement fait justice".