Quand la réalité rejoint la dystopie

Par Benard

À quoi peut servir d’imaginer des cauchemars futuristes, dans la lignée de Huxley et d’Orwell, en un temps où les dystopies semblent se réaliser ? Où il n’est plus besoin d’un Big Brother pour connaître les pensées de chacun, car un réseau social suffit ? Une poignée d’écrivains rappellent pourtant qu’il faut imaginer le pire pour comprendre le présent. Le Livre Auprès de moi toujours aupres de moi toujours par Kazuo Ishiguro Éditions des Deux Terres.  


Metropolitan FilmExport Un homme et son fils errant sans fin dans un paysage de désolation : La Route, de Cormac McCarthy, adapté au cinéma par John Hillcoat, fait écho à nos pires cauchemars.

À peu près à la moitié de la seconde présidence Poutine, un curieux phénomène a commencé de se produire chez les romanciers russes : tous ont entrepris d’écrire des dystopies, ces récits d’anticipation qui imaginent un avenir de cauchemar. En 2006, Vladimir Sorokine, ce légendaire écrivain postmoderne, publiait Journée d’un opritchnik, une satire des services secrets, dans la plus pure veine dystopique (1) ; la même année, la romancière Olga Slavnikova remportait un prestigieux prix littéraire avec 2017 (2) ; et Dimitri Bykov faisait paraître ZhD, décrivant un futur où la Russie est en guerre contre une force armée – les ZhD – qui est train de l’emporter grâce à la découverte du « phlogiston », une substance remarquable qui remplace le pétrole comme énergie de prédilection de l’Occident et, ce faisant, ruine la Russie. Cet étrange jaillissement littéraire tenait, je crois, à la stagnation politique des années Poutine. Personne ne doutait que le président russe fût en train de rétablir un certain autoritarisme ; mais sous quelle forme exactement, jusqu’à quel point et avec quel degré de brutalité ? C’était difficile à dire. Le présent semblait se dérober. En apparence, il ne se passait rien. Afin de comprendre l’époque, lui donner un sens, il fallait projeter les tendances présentes quelques années dans le futu (…)

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