“Une jolie épouse, des meubles de pin massif, des pommes de terre et des côtelettes de porc qui vous attendent au chaud dans le four. Il voulait être heureux de façon permanente, consistante, heure après heure, pas seulement par petits accès qui s'emparaient de lui à l'improviste, en général quand il se trouvait seul. Il avait travaillé si durement. Il se disait qu'en se comportant comme quelqu'un d'heureux, en s'exprimant comme un homme heureux, il pourrait peut-être retrouver le bonheur. Il pourrait le saisir par ses ailes invisibles et le tenir serré contre sa poitrine.”
En ce début des années 50, aux Etats-Unis, Constantin et Mary ont tout à prouver, descendants d'immigrants pauvres, la vie les a unis très jeunes (pour le meilleur espèrent-ils). Et la réussite est effectivement là au détour du chemin, bienvenue après des années de galère. Constantin fait fortune dans l'immobilier.
Mais la violence est très présente aussi. Constantin pique des colères terribles. Et le désir de perfection dans lequel Mary met tout son honneur et toute son énergie pervertit tout, et surtout le lien qui les unit à leurs enfants.
Susan devra s'enfuir pour rompre la relation - à la limite de l'inceste - initiée par son père. Billy se cherchera longtemps avant de se trouver dans un nouveau prénom, une autre vie. Zoé, la petite dernière, adoptée par un travesti de Manhattan, deviendra la mère célibataire d'un enfant noir.
Pour des parents, cherchant à tout prix à maintenir une façade de respectabilité au sein d'une haute société à majorité blanche, la pilule est difficile à avaler et le scandale total. Cependant, le temps qui passe lisse les aspérités de chacun et laisse - contre toutes attentes - entrevoir l'existence d'une famille soudée malgré les divergences…
Ce roman, épais et dense, est à la fois effroyable et magnifique. Effroyable par ce qu'il suppose de violence et de descentes aux enfers personnelles. Magnifique dans l'écriture, et dans cette particularité qu'à l'auteur de faire avancer le temps de scènes en scènes. Elles sont décrites au scalpel, d'une rare perfection. Avec elles, nous allons au creux du Moi et de ses ambivalences constantes.
Michael Cunningham est notamment l'auteur du roman Les heures, dont je n'ai vu que l'adaptation cinématographique, et qui aborde trois destins de femmes dont celui de Virginia Woolf. J'ai retrouvé ici quelques scènes terribles et similaires, comme par exemple celle de la confection du gâteau parfait. On retrouve également la description d'une femme confrontée au silence impersonnel d'une chambre d'hôtel.
J'ai aimé lire ce roman car sa qualité est indéniable et l'expression de la solitude fort bien décrite. J'ai aimé aussi ce qui anime les personnages, malgré leurs erreurs, et tout ce qui amène en fin d'ouvrage à prôner la tolérance. J'ai moins aimé peut-être l'accumulation de moments qui m'ont parfois semblé un brin sordides, même s'ils servent de manière indéniable la narration. Un roman riche et profond, un presque coup de coeur !