Réflexions sur le droit à l’oubli numérique

Publié le 01 mai 2011 par Davidfayon

Renaissance numérique organisait le 29 un petit-déjeuner consacré au droit à l’oubli numérique et animé par Etienne Drouard, avocat à la Cour, Cabinet Morgan Lewis & Bockius et Ludovic Pénet, responsable du groupe numérique au sein du Laboratoire des idées du Parti socialiste.

Maître Drouard est revenu sur le décret n° 2011-219 du 25 février 2011 relatif à la conservation et à la communication des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu et publié au Journal officiel du 1er mars 2011. Il vient préciser l’article 6-II de la LCEN (Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique) du 21 juin 2004 et pas encore appliquée à ce stade. La LCEN met à la charge des intermédiaires technique d’Internet une obligation de conservation des données d’identification des créateurs de contenus en ligne. La notion de création de contenu est précisée comme comprenant « les opérations de création initiale, de modifications des contenus et des données liées aux contenus et de suppression ». La durée de conservation de ces données est de 1 an (art. 3 du décret). Ceci donne une charge de travail importante aux hébergeurs. La non observation de cette condition est sanctionnée pénalement d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. A contrario, si la conservation est faite au-delà de 1 an, une déclaration à la CNIL de la durée doit être faite et justifiée (traces réseaux pour quelle utilisation). Pour toute conservation de données pour une durée supérieure à celle prévue (1 an ou plus), la condamnation s’élève à 5 ans d’emprisonnement et 1,5 million d’euros d’amende. En outre, l’article 2 de LOPPSI 2 consacre un délit d’usurpation d’identité spécifique au numérique.

Pour Ludovic Pénet, il est nécessaire de réguler l’évolution des comportements. Le sujet est délicat car instrumentalisé par les partisans du contrôle. Le danger étant l’illusion du contrôle par la technique qui se traduit par une illusion du droit à l’oubli. L’évolution selon lui passera plus par une évolution des codes sociaux, par la norme sociale. Le fait de ne pas laisser de traces devient suspect (absence de portable, non utilisation d’Internet). Les élus peuvent être tétanisés devant les outils numériques du fait de leur mémoire et de la facilité de citation à propos d’une personne, parfois en dehors du contexte.

Une charte sur le droit à l’oubli numérique, avait été signée le 13 octobre 2010 sous l’impulsion de la Secrétaire d’Etat à l’économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet. Celle-ci qui est un premier pas ne comprenait toutefois ni Google ni Facebook. Et la difficulté est de vouloir légiférer alors que les principales sociétés sont américaines.

La vie privée, au niveau global, est une notion liée à la société. Et le droit à l’oubli est à proclamer même si on en aura des interprétations différentes selon les pays. Chaque Etat sera souverain selon un principe de subsidiarité.

Guillaume Buffet souligne qu’un travers du droit à l’oubli en effaçant les traces pourrait être le révisionnisme, chacun pouvant réécrire son histoire, d’où l’importance de conserver une mémoire. La question est de savoir où l’on met le curseur (droit à l’oubli vs devoir historique). Il s’agit d’arbitrer entre l’intérêt général et le droit à l’oubli, plus personnel.

Etienne Drouard pense que l’on n’a pas à proprement parler de solution et qu’il convient de laisser les personnes face à un médiateur qui peut rendre une décision au cas par cas. Il signale que la minorité informatique est passée sous l’impulsion des Etats-Unis de 16 à 13 ans (âge requis pour s’inscrire sur Facebook). Judiciairement les mineurs sont fichables.

Les traces numériques constituent les carburants de l’économie numérique par leur traitement et exploitation qui peuvent être créatrices de valeur par les applications. Des équilibres sont à trouver entre utilisation et oubli. Il importe de poser un principe qui impose d’arbitrer la question. La conservation des données doit être faite pour une durée proportionnelle aux objectifs et enjeux.

Selon Christine Balagué, le droit à l’oubli pourrait être traité auprès des utilisateurs par de la sensibilisation. La question est de savoir qui est légitime pour le faire. Notons que la génération Y s’éduque elle-même avec des stratégies de contournement (adoption d’identités bidons pour se connecter sur tel ou tel outil, etc.).

Selon Jérémy Garamond, la limite du raisonnement est de savoir comment imposer le droit à l’oubli à des sociétés californiennes, ce qui est une gageure si on n’a pas d’intervention d’Etat à Etat. Il indique que Facebook, sous la double pression consumériste et des utilisateurs, a changé à maintes reprises sa politique relative à l’utilisation des données personnelles. Nous avons une cristallisation autour de Facebook alors que les dérives de Google sont moins pointées.

Le droit à l’oubli se heurte à deux faces d’un même objet, d’une part la massification de la transparence (WikiLeaks) et en même temps la faculté d’un individu de changer dans le temps. Le WikiLeaks à la française, réalisé par Mediapart, FrenchLeaks , est par ailleurs signalé.

La tendance juridique est de vouloir rendre responsable celui qui fournit les moyens d’édition (loi n°2000-719 du 1 août 2000 modifiant la loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication puis LCEN du 21 juin 2004). On légifère sur la responsabilité des intermédiaires techniques. Le paradoxe est que le responsable est l’éditeur mais que sa définition n’est pas clairement précisée. Le manque juridique est comblé au quotidien par le juge pour pallier cette insécurité juridique.

Pointer les risques liés à l’absence de droit à l’oubli sur Internet pourrait cultiver la peur pour le « tiers net » (les foyers non équipés d’Internet à domicile en France) et les inciter de facto à ne pas aller sur Internet en leur donnant de bonnes raisons. Or si on n’est pas sur Internet, on est exclu de la vie sociale d’Internet.

Un autre point est mentionné, celui de la géolocalisation. Lorsque l’on télécharge une application, il est possible d’accepter ou refuser la géolocalisation.

Enfin, si le droit au logement et le droit au travail ne peuvent avoir impact que des impacts positifs, le droit à l’oubli numérique peut emporter des impacts négatifs.

Des questions récurrentes sont à se poser :
1. Faut-il introduire une distinction entre des faits publics et des faits anodins ?
2. Comment envisager le droit à l’oubli au niveau international ?
3. Est-il utile de légiférer sur la question du droit à l’oubli ?
4. Responsabilisation des utilisateurs : quelles sensibilisations ? quelles formations ?
5. Diffamation : faut-il prolonger le délai de prescription sur Internet (3 mois actuellement) ?