J’ai toujours aimé les prods de Gabor Schablitzki, alias Robag Wruhme, en solo ou au sein de son vrai-faux duo, les Wighnomy Brothers. Sans parler de ses mixes qui, même en pleine période minimale, ont toujours eu ce petit quelque chose en plus, une sorte d’intelligence mélodique assez impressionnante. Mais de là à voir ce vieux de la vieille de la techno allemande sortir un tel disque, il restait encore un grand pas à franchir. Car Thora Vukk - sorti sur Pampa, le label d’un autre génie électronique, DJ Koze - m’a mis une bonne claque dans la tronche dès les premières minutes. C’est son deuxième véritable album en presque 15 ans de carrière, et on sent bien qu’il a mis tout son amour dans sa conception, qui a exigé 6 mois de travail. Le résultat est fantastique, de la première à la dernière note. On y retrouve les orientations minimal/micro-house habituelles du bonhomme, mais dans une atmosphère moins loufoque et plus posée qu’à l’accoutumée.
Même si ses tracks restent percussifs et à peu près dansants, Wruhme s’est de toute évidence concentré sur les mélodies, en faisant la part belle au piano et aux cordes, notamment. Malgré quelques percées soulful et jazzy, le climat général de Thora Vukk fait penser à une rencontre entre la house élégante de labels allemands comme Dial ou Kompakt et la musique classique moderne de Max Richter, voire celle de Camille Saint-Saëns ou Debussy. Une certaine sérénité s’en dégage, parfois troublée par des accès de mélancolie à vous bloquer la petite boule dans la gorge. C’est un compagnon idéal pour les interminables jours de pluie, ou pour les voyages au long cours.
Voilà donc un album de house au feeling quasi-exclusivement européen, qui ne cite ni Detroit, ni Chicago – ou alors de façon très allusive. L’abondance de field recordings (sons de pluie, voix d’enfants, tintements de verres…) et le côté carillonnant de plusieurs tracks évoquent Pantha Du Prince ou John Roberts. Le groove techno tendu et déviant de "Bommsen Boff "rappelle DJ Koze, et ce n’est pas un hasard puisqu’il a participé aux arrangements du titre. On retrouve ailleurs ("Wupp Dek", "Tulpa Ovi"…) des traces de la micro-house du Britannique Matthew Herbert, dont l’influence est décidément énorme sur les productions actuelles. Mais Thora Vukk reste une œuvre éminemment intime et singulière, sans doute celle où le producteur de Jena, en ex-Allemagne de l’Est, a le mieux exprimé sa personnalité profonde.
Robag nous a réservé quelques moments de pure poésie sonore, tels "Pnom Gobal" et "Tulpa Ovi", mes préférés, tous deux d’un romantisme épuré mais assumé, tout en restant sérieusement deep et hypnotisants. Je crois même avoir lâché quelques larmes de joie la première fois que j’ai entendu les cordes féériques de "Pnom Gobal", à moins que ce ne soit celles du morceau-titre. A tomber par terre. Surtout que la mise en avant des mélodies et de l’émotion s’accompagne de tout un tas de petites intentions rythmiques, de cliquetis bien sentis, de vocaux triturés, de bribes de chant pop, de sons concrets… L'ensemble est admirablement tenu et structuré par des interludes oscillant entre ambient, folk et électronica. Surprenant, ludique, d’une grâce évidente, cet album est une réussite totale, et un véritable achèvement pour son auteur, que je n’attendais pas si haut.
En bref : Robag Wruhme nous offre la divine surprise de ce printemps avec un album house d’une grâce et d’un romantisme ahurissants.
Son site
Le site de Pampa Records
A noter que l'album est sorti sur CD dans sa version complète, et en vinyle sous la forme de deux 12" et un 7" (+ codes mp3), avec un tracklisting légèrement différent.
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 16 mai à 17:13
Magnifique album en effet.