ENQUÊTE Guerre de l’eau dans les stations. Exemple à Crans-Montana où l’or bleu pourrait manquer pour turbiner. Des milliers de m3 d’eau en plus pour les canons.
Pâques à la fin avril conjugué avec le printemps le plus chaud depuis 35 ans et un niveau de précipitations proche de zéro depuis janvier, voilà qui pèse lourd dans le bilan des stations de ski du canton. Les remontées mécaniques ont dû canonner plus que d’habitude entre novembre et février et il ne pleut toujours pas. L’eau se fait rare et commence à manquer pour le turbinage. Exemple à Crans-Montana d’un or bleu qui devient précieux.
Alimenter les bisses plus tôt
L’Electricité de la Lienne, alimentée par le Zeuzier qui fournit l’eau des remontées mécaniques, paie le tribut d’un début d’année trop sec.
«Nous n’avons rien dans les bassins intermédiaires pour turbiner, lâche Raphaël Morisod, directeur de l’Energie de Sion Région, propriétaire de l’Electricité de la Lienne. Tout part pour les bisses que nous sommes tenus d’alimenter mais cette année nous devons le faire depuis le 15 avril au lieu du 15 mai.»
Il prévoit déjà une baisse de la production d’électricité pour cette saison hydraulique sans pouvoir la quantifier. Une baisse qui sera compensée par l’achat d’énergie nucléaire et thermique provenant du charbon, du gaz, etc. L’avenir dépendra du remplissage du bassin qui a lieu au printemps avec l’eau de fonte.
«Le niveau du barrage est actuellement le même que la moyenne pluriannuelle. Comme c’est le cas la plupart du temps, on ne turbine pas au palier supérieur en cette période.»
Sur les pistes de Crans-Montana on a dû compenser un tiers de précipitations en moins en utilisant un tiers d’eau supplémentaire pour l’enneigement artificiel, soit 450 000 m3 au total prélevés dans le lac de Chermignon lequel est alimenté par le Zeuzier et l’eau de fonte. Le barrage a livré en tout 560’000 m3 d’eau aux communes de la région entre novembre 2010 et mars 2011.
«Avec chaque m3 on produit 3 kwh. Avec cette eau on aurait produit l’équivalent de la consommation annuelle de 500 ménages, calcule Raphaël Morisod. En tant que producteur d’énergie je pense qu’il faut éviter le gaspillage. Nous pratiquons donc des taux progressifs pour la vente de l’eau: plus la quantité est importante plus le m3 est cher.»
Un or bleu qui coûte 1 franc le m3 aux remontées mécaniques, les premiers 200’000 m3 étant offerts par la commune. L’entreprise aura donc dépensé 250’000 francs pour acheter de l’eau et 1,8 million de francs d’électricité pour l’ensemble de l’exploitation du domaine cette saison.
«Je ne sais pas le montant exact de l’électricité qui a servi pour les canons à neige mais ce qui est le plus cher ce sont les heures de travail de damage de la piste», explique Arthur Clivaz, directeur des Remontées mécaniques de Crans-Montana (CMA).
Une fin de saison catastrophiqueUn entretien primordial pour maintenir l’ouverture de la station jusqu’à la fin avril. Les canons à neige ont cessé de produire à la fin février en raison de températures trop élevées mais les abonnements vendus en début de saison devaient malgré tout être honorés.
«La fin de saison a été catastrophique. Le déclin a commencé le 15 janvier», poursuit Arthur Clivaz.
Après un démarrage sous de bons auspices, cet hiver se conclut avec 10 à 15% de moins de fréquentation que l’année précédente. Avec un mois d’avril qui n’est pas rentable pour l’entreprise.
Turbines au régime
Chaque station connaît une situation différente de par son exposition et son alimentation en eau. Certaines s’approvisionnent à des lacs, d’autre à des barrages, d’autres encore à des rivières. La conjugaison des facteurs de sécheresse, d’enneigement artificiel, d’irrigation des cultures entraîne cependant les mêmes conséquences sur la production d’électricité un peu partout en Valais si l’on en croit le géant Alpiq qui possède la plupart des barrages du canton.
«Dans les centrales au fil de l’eau nous traversons une période historiquement basse pour le niveau des eaux. Dans de nombreux cas les turbines sont à l’arrêt. Si la sécheresse devait durer, nous devrions nous attendre à une baisse conséquente de la production hydroélectrique. Il n’est cependant pas possible de prévoir cela aujourd’hui. En effet, un été pluvieux pourrait compenser le déficit de production actuel», explique par mail Andreas Werz, porte-parole de l’entreprise.
Selon les statistiques hebdomadaires de l’Office fédéral de l’énergie le taux de remplissage des barrages valaisans est de 4,9% au 18 avril contre 8% au 19 avril 2010. Les volumes d’eau tirés des barrages d’Alpiq pour produire de la neige sont cependant relativement modestes.
«Le prix de la vente de l’eau compense la production équivalente d’électricité.»
L’Etat du Valais ne possède pas de statistiques du taux de remplissage des barrages pour les années en cours. Mais l’an dernier, il y a eu 5% de baisse de la production à cause de la sécheresse des mois d’août et de septembre, selon Serge Costa du Service des Forces hydrauliques de l’Etat du Valais. Pour l’heure, le canton tire son épingle du jeu en vivant sur l’eau de fonte et les réserves des glaciers.
«La situation pourrait devenir plus critique si la sécheresse se poursuit», estime Cédric Arnold, chef du service de l’environnement.A savoir:
- 19,1% des pistes valaisannes sont enneigées mécaniquement contre 60% en Autriche
- 2 à 2,5m3 de neige sont fabrique?s avec 1 m3 d’eau
- 10-30% de l’eau transforme?e en neige est perdue par e?vaporation
- 95 millions de m3 d’eau sont utilisés chaque année pour l'enneigement mécanique de l'arc alpin
Source : Le Nouvelliste, vendredi 29 avril 2011, un article signé par Marie Parvex.
Extrait de l'article que vous trouvez en ligne sur le site du Nouvelliste, consacré au même sujet et le même jour, sous la plume de Julien Wicky:
Le faux procès de l'enneigement artificiel
"Les canons à neige ont fonctionné de manière plus intensive cet hiver mais ils ont sauvé la saison", lance le secrétaire de l'AVERM. Urs Zenhäusern surenchérit: "Objectivement, il n'est plus possible d'assurer l'ensemble d'une saison sans enneigement artificiel. Beaucoup de stations auraient pu fermer dès le mois de janvier." Alors que le canton vit actuellement une forte sécheresse, des voix s'élèvent contre la quantité d'eau utilisée pour l'enneigement mécanique.
Une opinion qui fait bondir Vincent Riesen: "L'eau qui est pompée pour les canons retourne à la nature par la fonte des neiges. La neige artificielle c'est 20% de la longueur totale des pistes valaisannes et en surface ça ne représente que 1% de tous les domaines." Et d'ajouter: "Pourquoi, tant qu'on y est, ne pas aller demander de supprimer l'arrosage de tous les jardins au lieu de s'en prendre aux stations?"