Il y a quatre ans, le 2 mai 2007 au soir, les deux candidats retenus pour le second tour de l’élection présidentielle étaient en plein débat
télévisé. Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal parlèrent notamment de la politique nucléaire de la France. Rappelez-vous !
Mardi 3 mai 2011, le Président Nicolas Sarkozy visitera la centrale nucléaire de Gravelines, dans le Nord, afin de réaffirmer l’engagement nucléaire
de la France. À Égletons, en Corrèze, le jeudi 28 avril 2011, il avait expliqué ce déplacement : « La perte de sang-froid d’un
certain nombre de ceux qui devraient, au contraire, regarder l’avenir et non pas regarder la dernière émotion est extravagante. ».
Quatre années auparavant, il s’était un peu enlisé avec son adversaire socialiste dans quelques rudiments du paysage nucléaire
française.
En effet, lors du fameux
débat entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, le mercredi 2 mai 2007 avant le second tour de l’élection présidentielle, devant Arlette Chabot et Patrick Poivre d'Arvor peu informés,
les deux compétiteurs avaient exprimé certaines inexactitudes concernant le
dossier nucléaire.
L’aplomb des deux candidats sur des éléments qu’ils ne maîtrisaient visiblement pas faisait soit peine à entendre soit sourire (cela
dépend de la philosophie de vie qu’on a adoptée).
Une question de génération
Certes, le futur Président allait avouer ne rien connaître de l’EPR : « Je ne connais pas le dossier mais je
sais être cohérent. » ce qui lui donnait une prime de sincérité mais qui apportait aussi un avantage (en communication) à son adversaire.
Dans tous les cas, ils montraient quelques carences : se mélangeant les pinceaux entre troisième et quatrième génération et aussi sur
le concept du surgénérateur (là, Ségolène Royal n’y connaissait rien du tout mais en parla).
Parmi les éléments un peu étranges, il y avait l’estimation des réserves en uranium : Nicolas Sarkozy parlant d’un demi-siècle pour
les gisements connus mais laissant entendre qu’on en aurait pour deux siècles et demi avec les futurs gisements (qui resteraient cependant à découvrir).
Tout comme il y avait la part d’énergie nucléaire sur l’électricité consommée en France, soit 78% en 2006 : Nicolas Sarkozy était
plus proche de la vérité en disant 50% que Ségolène Royal qui affirmait 17% en confondant avec la part d’énergie nucléaire dans le monde ou en faisant le rapport entre l’énergie d’origine
nucléaire et l’ensemble des énergies (pas seulement électricité). C’était pourtant elle qui avait posé (mal) la question.
Bref, une bataille de chiffres tout aussi déplorable qu’aucun des protagonistes n’avait raison et que cela ne faisait pas vraiment avancer
la réflexion.
Rappelons entre autres que la France possède un parc nucléaire de 58 réacteurs répartis sur 19 sites, que près de 429 TWh (térawatt-heure)
ont été produits en 2006 à partir du nucléaire selon le Réseau de transports d’électricité (RTE), alors que la même année, l’eau (l’énergie hydraulique) a contribué à la production de près de 61
TWh, le thermique classique de 54 TWh et les sources d’énergies renouvelables seulement de 5 TWh.
En fait, la bataille se situait ailleurs.
Wikipédia en variations saisonnières
Le soir même, elle se situait chez Wikipédia, version française bien évidemment. Il y a eu un véritable "vandalisme" (c’est dans
la terminologie wikipédienne) provoqué par les équipes des deux candidats. Chaque intervenant cherchant à inscrire sur les pages encyclopédiques de Wikipédia les informations (erronées) de leur
champion !
Entre le 2 mai 2007 à 22h34 et le 3 mai 2007 à 13h26, il y a eu 51 modifications de l’article sur l’EPR !
L’historique des modifications de la page Wikipédia est toujours disponible ici.
À 22h33, alors que Nicolas Sarkozy disait que l’EPR était de la "quatrième génération", Ségolène Royal lui jeta martialement :
« Il va falloir que vous révisiez votre sujet : l’EPR, c’est la troisième génération des centrales nucléaires et non la
quatrième. » (bon, en fait, on s’en moque que ce soit de la 3e ou de la 4e génération, c’était juste que Ségolène Royal voulait jouer à la maîtresse).
Une minute plus tard, un petit malin de Nancy s’amusa à modifier sur la page Wikipédia de l’EPR "réacteur de troisième génération" en
"réacteur de quatrième génération" pour donner raison à Nicolas Sarkozy. Des internautes s’en servirent ensuite (de bonne foi parfois) pour dire dans des forums (dont celui de "Libération") que
Ségolène Royal avait tort (alors qu’elle avait raison, sur ce coup).
L’article a été remodifié donc sans arrêt pendant ces quelques heures d’après-débat.
Uniquement dans le but de dire que leur candidat avait raison !
Wikipédia a réagi rapidement (à 00h28) pour interdire toute modification provenant de personnes qui ne s’étaient pas inscrites depuis plus
de quatre jours (c’est-à-dire avant le début du débat).
Ce qui est amusant, c’est que la version anglophone de l’article en question n’avait pas bougé d’un pouce. C’était donc assez facile de
comprendre la supercherie. Cela montre aussi le peu d’anglophonie des Français passionnés par la propagande politique.
Voilà une expérience intellectuelle fort instructive qui limite un peu l’intérêt du principe de Wikipédia, une encyclopédie faite par les
amateurs avec les mêmes erreurs que les amateurs.
Procédés égyptiens
Au lieu de chercher des excuses aux erreurs des candidats, leurs disciples cherchaient à changer la réalité, ou plutôt, la
réalité visible, au moins pour les trois jours restants de campagne, afin de montrer que leur candidat disait juste.
Imaginons qu’à la suite de la dictée de Mérimée où il a fait 75 fautes, Napoléon III eût l’idée saugrenue de réformer les règles d’orthographe et de grammaire pour annuler toutes ses fautes.
Bref, tout cela me fait penser à l’Égypte antique. Où il était fréquent de modifier l’histoire pour des raisons politiques. Akhenaton a ainsi été rayé partout par ses successeurs pour avoir osé initier
une nouvelle religion. Et plus précisément, la première religion monothéiste de l’histoire de l’humanité.
Staline faisait de même en effaçant des photos officielles toutes les personnalités victimes de ses purges.
Réinventer la science, l’histoire, la réalité palpable pour convenances personnelles…
Comme ce serait génial !
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (2 mai 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le débat du 2 mai 2007.
Ségolène Royal.
Nicolas Sarkozy.
Vous avez dit nucléaire ?
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/procedes-egyptiens-le-debat-93089