Mobile Suit Gundam : Author’s Cut (3b)

Par Ledinobleu

Sommaire :

1. Introduction
2. L’univers de Gundam
3. L’auteur (le présent billet)
4. L’innovation (à venir)
5. La colonisation de l’espace (à venir)
6. La métaphore (à venir)
7. Le newtype (à venir)
8. Conclusion et sources (à venir)

L’auteur :

a. Les débuts
b. Premiers succès (le présent billet)
c. Le triomphe (à venir)
d. Dix ans de Gundam (à venir)
e. L’après Gundam (à venir)

b. Premiers succès

Cette même année 1975 est aussi celle de la seconde collaboration de Tomino avec Sunrise, sur ce qui sera leur première véritable réussite, Yuusha Raideen, dont il réalise les épisodes un à 26 sur les 50 au total que compte cette production. Alors que le studio existe pourtant depuis trois ans, c’est seulement à ce moment qu’il fait sa première incursion dans le genre mecha, une décision qui présente un certain aspect mercantile. Car cette première moitié des années 70 connaît, dans la lignée du Mazinger Z (1972-1974) de Gô Nagai, un développement pour le moins surprenant de ce genre des « Super Robots » qui met en scène le pilote d’un robot géant en lutte contre des envahisseurs désireux d’asservir la race humaine : comment expliquer un tel engouement du public japonais pour ce thème précis ?

Il semble assez important, dans un premier temps, de revenir aux racines de ce genre bien particulier, au moins en ce qui concerne le Japon (1). Dans le sens de « robot » du terme « mecha », cette abréviation de l’anglais mechanic qu’utilisent les japonais pour désigner les machines futuristes (2), le premier d’entre eux reste l’Astro Boy (Tetsuwan Atom ; 1952-1968) d’Osamu Tezuka, déjà évoqué dans la partie précédente ; mais dans le sens de « robot géant », le pionnier dans le domaine est le Tetsujin 28 créé par Mitsuteru Yokoyama (1934-2004) en 1956 : lui aussi adapté en série TV en 1963, on peut dire qu’il obtint un bon succès, au point d’ailleurs que son auteur en fit une sorte de clone sous la forme du manga Giant Robo en 1967 avant que celui-ci soit adapté en série TV live action de type tokusatsu la même année. Il faudra ensuite attendre l’année 1972 pour voir arriver celui qui imposera véritablement le genre, sous la forme du Mazinger Z déjà mentionné (3).

Grande réussite du manga, ce titre connaît une adaptation dès le mois de décembre de la même année en une série TV qui compte pas moins de 92 épisodes, soit un nombre important pour l’époque, mais aussi une paire de spin offs sous la forme de deux films pour le cinéma. De plus, cette production ne se termine que pour annoncer sa séquelle, Great Mazinger (1974-1975), elle aussi une adaptation du manga éponyme qui tient lieu de suite à la version papier originale de Mazinger Z. Avec ses 56 épisodes, cette nouvelle série s’avère elle aussi un franc succès qui connaît à son tour deux adaptations au cinéma, mais sous forme de cross-overs avec une autre série dont les 51 épisodes sont diffusés au même moment et qui est elle aussi adaptée d’un autre manga de Go Nagai : Getter Robo ; celle-ci une réussite également, cette production se prolonge à son tour par une séquelle sous la forme de la série TV Getter Robo G (1975-1976, 39 épisodes) qui adapte encore le manga éponyme.

Et Go Nagai n’en reste pas là. L’année où se termine Great Mazinger, il poursuit sur sa lancée avec le manga Koutetsu Jeeg (1975-1976), publié chez Kôdansha, et qui connaîtra lui aussi sa propre adaptation en une série TV de 46 épisodes – ce qui ne surprend plus à ce stade. On ne peut oublier son autre manga UFO Robot Grendizer (1975-1976), publié chez le même éditeur et bien sûr adapté lui aussi en série TV, sous le même titre : situé dans le même univers que celui de Mazinger Z, en le prolongeant ainsi à travers une sorte de séquelle, il reste bien connu chez les plus anciens parmi vous sous le nom de Goldorak

Mais on peut aussi mentionner, pour compléter ce tour d’horizon, le manga Babel II (1971-1973) de Mitsuteru Yokoyama, dont le principal protagoniste commande plusieurs alliés, dont un mecha comme le faisaient en leur temps les héros de Giant Robo et de Tetsujin 28 ; cette œuvre connaît une adaptation en une série TV de 39 épisodes, sous le même titre, en 1973. Enfin, on peut citer aussi Space Knight Tekkaman (Uchuu no Kishi Tekkaman ; H. Sasagawa & H. Toriumi, 1975), qui présente comme originalités de situer son récit dans l’avenir et dans un contexte assez proche du space opera tout en se plaçant à mi-chemin de Tetsujin 28 et du sentaï : le héros, ici, non seulement s’aide d’un robot de taille conséquente, mais il peut aussi se vêtir d’un scaphandre mécanisé qui amplifie sa force et sa résistance en plus de lui fournir un armement redoutable. Au départ prévu pour 52 épisodes, cette production se vit toutefois stoppée au bout de 26 à peine pour manque de popularité – peut-être en raison de ses spécificités qui la plaçaient à part des autres titres du genre…

C’est donc un nombre tout à fait conséquent de productions qui se développe en à peine quelques années, de 1972 à 1975 : huit franchises en tout, sans compter leurs origines manga, touchent le petit écran japonais comme les salles obscures de l’archipel, là où seulement trois licences étaient apparues, entre 1956 et 1972 – soit près de trois fois plus en cinq fois moins de temps. Et le compte ne s’arrête pas là : de 1975 à 1980, plus de 20 nouvelles licences verront ainsi le jour dans le domaine des « Super Robots » permettant ainsi d’écarter tout effet de mode ponctuelle.

Comment expliquer un tel engouement du public japonais pour ce thème ?

Un premier point concerne la place de la technologie dans la vie de tous les jours : plus coutumières de la technique, les jeunes générations des années 70 se trouveraient ainsi plus ouvertes aux aventures d’un héros qui commande un pinnacle de la technologie. Pourtant, le Babel II de Mitsuteru Yokoyama déjà évoqué ne déclencha pas du tout les mêmes passions que le Mazinger Z de Go Nagai

Car il y a une différence de taille entre les mechas créés par Yokoyama et ceux de Nagai, et c’est ce qui nous amène au second point : les engins inventés par Nagai sont pilotés de l’intérieur au lieu d’être commandés à distance. Ce détail en apparence trivial s’avère vite fondamental car il efface la distance entre le protagoniste principal du récit et son compagnon robot, de sorte que les deux ne font plus qu’un.

Certains commentateurs y ont vu une illustration de la symbiose homme-machine, ce qui reste discutable : un robot qu’on manipule à l’aide de leviers, de boutons et de pédales se distingue assez peu d’un véhicule plus commun, tel que voiture, moto ou camion, où la distinction entre l’engin et son pilote reste totale ; de plus, ça n’explique pas pourquoi d’autres nations industrialisées n’oint pas développé leur propre engouement pour le genre mecha.

D’autres, comme Bounthavy Suvilay (4), y voient une image de l’« homme augmenté » par la technologie, une sorte de cousin japonais des super-héros anglo-saxons : le pilote du mecha, en effet, bénéficie d’une forme de super-pouvoirs en prenant les commandes de son mecha ; et notamment, il rappelle beaucoup le personnage de Tony Stark créé par Marvel Comics quand celui-ci enfile son armure mécanisée pour devenir Iron Man – la seule réelle différence tenant dans la taille du mecha, bien supérieure à celle de l’armure de Stark. En tant que source de puissance, le mecha devient ainsi le moyen pour le jeune spectateur encore faible de fantasmer sa force ; ceci explique aussi, au passage, le succès de ces productions chez le public masculin. Par contre, ça n’explique toujours pas pourquoi seul le Japon a développé ce genre précis…

D’autres commentateurs, plus nombreux, voient dans le mecha une image du samouraï modernisé par le biais de la technologie, un chevalier d’antan en armure cybernétique en quelque sorte. Cette représentation du genre s’explique en partie par l’aspect effrayant de ces machines géantes qui rappelle les masques des samouraïs dont la fonction était de provoquer la terreur chez l’adversaire. Ceci permet de comprendre une partie de l’engouement des japonais pour les mechas : véritables incarnations de l’esprit traditionnel du Japon féodal, qui se battent avec des sabres titanesques et des hallebardes colossales contre des hordes d’extraterrestres, de démons et d’envahisseurs venus du fond des âges ou de dimensions parallèles, ils s’affirment comme le pur guerrier, au sens traditionnel du terme, celui qui protège contre les forces obscures, c’est-à-dire l’ennemi dans le sens le plus large ; mais ils arborent pourtant un niveau de technologie typique des aspirations du Japon d’après-guerre qui s’est jeté à corps perdu dans cette révolution industrielle qui restait à l’époque le meilleur moyen pour cette nation de sortir du Moyen-Âge des traditions impériales : à travers cette image du samouraï modernisé par les technologies les plus avancées mais aussi grandi jusqu’à devenir invincible, le perdant de la guerre du Pacifique affirme donc sa force nouvelle. En d’autres termes, les spectateurs reconnaissent dans les mechas une image de ces temps anciens que le vainqueur américain leur avait en quelque sorte ravi, image tout à fait comparable à celle des chevaliers de nos mythes et légendes dont le samouraï reste bien sûr l’équivalent. Plus prosaïquement, Thierry Groensteen écrit : « la figure du robot tout puissant va, semble-t-il, incarner à la fois le formidable développement technologique du Japon et la revanche symbolique d’un pays maintenu en état de démilitarisation » (5) – un message d’ordre idéologique, ou assimilé, que ce jeune public parvient à saisir, au moins à sa manière : celle d’enfants friands d’images simples et spectaculaires mais néanmoins révélatrices.

À y regarder de plus près, cependant, il reste de quoi creuser davantage. Car un détail prépondérant attire l’attention : ces ennemis qu’affrontent les héros des séries de mechas sont presque tous des images du passé ; qu’il s’agisse de machines infernales résidus d’une civilisation antique très avancée mais à présent disparue (Mazinger Z), de descendants de cette société plus ou moins dégénérés et voués à conquérir le monde (Great Mazinger), d’un empire de dinosaures ayant survécu à l’extinction de leur espèce en se réfugiant sous terre (Getter Robot), de démons issus du folklore traditionnel japonais (Getter Robot G), d’un peuple souterrain utilisant la magie pour animer des golems de craie et d’argile (Koutetsu Jeeg), d’une race extraterrestre à la technologie prodigieuse mais pourtant toujours ancrée dans une société féodale (UFO Robot Grendizer), etc, les envahisseurs des séries de « Super Robots » restent presque toujours des représentations d’antan. Bref, le héros utilise un robot à la sophistication technique extrême, soit un symbole de l’avenir, pour lutter contre des ennemis qui incarnent les temps anciens, ce qui suffit pour voir dans le mecha et son pilote une représentation du Japon d’après-guerre, celui qui « a perdu la guerre mais gagné la paix« , et notamment à travers le développement industriel, c’est-à-dire technologique, en lutte contre des ennemis qui représentent donc, par l’image du passé qu’ils donnent, le Japon d’avant-guerre, traditionaliste, féodal et réactionnaire : le mecha symbolise ainsi le Japon moderne en lutte incessante contre ses racines traditionnelles qui l’ont jadis amené à cette guerre du Pacifique dont il est ressorti anéanti – en d’autres termes, le mecha est la parfaite représentation de cette dichotomie, pour ne pas dire cette schizophrénie, qui caractérise le Japon d’après-guerre, souvent présenté « entre tradition et modernité » alors que la réalité reste en fait bien plus subtile.

À moins qu’il faille y voir un portrait iconoclaste, comme la culture manga en a présenté beaucoup dans les années 60 et 70 en condamnant les excès du passé, ceux-là même qui ont conduit l’archipel dans la guerre déjà mentionnée (6), Go Nagai n’étant d’ailleurs pas en reste de ce mouvement contestataire dans certaines de ses autres productions, loin de là, et au moins à sa manière…

Mais que cette conclusion ne trompe personne, car en dépit de ce symbole le genre « Super Robots » reste tout à fait stérile, pour plusieurs raisons. La principale critique qu’on lui adresse, concerne le schéma narratif des épisodes qui ne varie presque jamais : les envahisseurs introduisent au début de l’acte une nouvelle menace que les héros finissent invariablement par vaincre à la fin, avec plus ou moins de difficultés selon les besoins du scénario, et toujours à travers l’utilisation de la même attaque spéciale ; le plus souvent, un combat plus dur que la moyenne a lieu vers le milieu de la série où le chef des envahisseurs se fait tuer et se voit remplacé par un autre qui connaît le même sort à la toute fin de l’histoire, en même temps que le leader suprême des agresseurs.

Un second reproche tient dans la simplicité des personnages : la plupart du temps de purs archétypes, ils reflètent une approche très manichéenne de la narration, présentant systématiquement les envahisseurs comme cruels, violents et mauvais, atteints de mégalomanie impérialistes ou de pulsions génocidaires, alors que les héros sont toujours généreux, amicaux et bons, pleinement dévoués à la défense du genre humain même au péril de leur vie. Ces derniers sont le plus souvent épaulés par un savant, souvent un génie d’ailleurs, qui utilise les équipements hyper sophistiqués d’une base unique en son genre pour réparer, modifier ou même améliorer le mecha vedette, celui que pilotent les protagonistes principaux – et ceci, même quand il s’agit d’un engin extraterrestre ou aux origines mystiques dont la conception dépasse tous les niveaux de connaissance humains. Enfin, un ou plusieurs enfants parachèvent le tableau du camp des « gentils » et servent de toute évidence à rendre la série attrayante pour le plus jeune public des petits frères et des petites sœurs de la tranche d’âge cible – avec le temps, d’ailleurs, les productions du genre en viennent à présenter certains de ces protagonistes comme partageant le pilotage du mecha avec les héros principaux.

Une troisième remarque récurrente concerne l’invincibilité du mecha vedette : prodige de la technologie, il s’avère toujours indestructible, sauf si les exigences de l’intrigue en décident autrement, bien que ceci reste assez ponctuel, et seuls ses pilotes se font blesser à l’occasion – mais comme il s’agit de purs héros, ils se remettent très vite, ou alors, s’ils doivent se battre bien qu’encore convalescents, ils verront leur combativité à peine entamée.

Enfin, en tant que productions rattachées au courant shônen, dans le sens où elles présentent des héros réglant leurs problèmes par la violence, les productions « Super Robots« peuvent difficilement proposer une réelle sophistication sur le plan des idées comme sur celui des relations entre les personnages ou de leur évolution psychologique.

Mérite néanmoins d’être souligné qu’aucune de ces critiques n’est tout à fait exclusive aux « Super Robots » puisqu’on la retrouve dans nombre d’autres genres. On peut citer par exemple les comics de super-héros dont la parenté avec le genre mecha a déjà été évoquée plus haut ; mais on pourrait aussi mentionner les récits d’heroic fantasy, du moins les plus classiques d’entre eux, qui s’articulent souvent autour de thèmes et de techniques narratives comparables. Au final, il s’avère que les « Super Robots » s’inscrivent simplement dans le très vaste registre des productions populaires destinées à un public peu exigeant – ce qui ne se veut en aucun cas un jugement de valeur…

Mais il reste néanmoins une dernière critique possible, plus exclusive aux « Super Robots » et moins citée par les détracteurs : ce genre s’avère surtout manquer cruellement de réalisme – et je veux parler de réalisme technique. Je vais tâcher de me montrer le plus clair possible : le système technique est incapable de produire des robots géants développés et construits à partir de rien, sans étape de conception intermédiaire. On oublie vite que tous les appareils qui nous entourent résultent d’un développement progressif de la technique, constitué de plusieurs paliers successifs qu’il a d’abord fallu rentabiliser avant de pouvoir passer au suivant. Car le développement technologique est une question d’argent : en d’autres termes, on peut fabriquer ce qu’on veut tant qu’on a assez d’argent pour financer les recherches qui permettent la mise au point des dispositifs dont on a besoin pour développer son idée.

Les industriels trouvent cet argent avec des emprunts qu’ils remboursent par la vente des brevets qu’ils développent ou des biens qu’ils produisent à partir de ces mêmes brevets, ce qui implique que la plus grande partie du résultat de leurs recherches et développements contribue au progrès social d’une manière ou d’une autre. Formulé autrement : une invention, aussi révolutionnaire soit-elle, ne peut exister seule – elle provoque forcément des bouleversements sociaux à plus ou moins grande échelle selon sa portée. Or, les « Super Robots » sont toujours des machines uniques, dont l’existence est d’autant plus impossible que leurs capacités sont prodigieuses alors pourtant qu’on ne peut développer un « Super Robot » seul puisque celui-ci résulte obligatoirement d’une succession d’inventions ponctuelles qu’on ne peut rentabiliser qu’en les rendant publiques, ce qui en retour fait progresser la société (7).

Quant au « Super Robot » issu d’une technologie oubliée, il présente un autre problème, plus insidieux celui-ci : il y a peu de chance qu’un ingénieur d’aujourd’hui possède le bagage technique nécessaire pour comprendre le fonctionnement de la technique utilisée dans la conception de cette machine – il suffit de voir combien de temps s’avéra nécessaire pour comprendre comment furent construites les pyramides, pourtant beaucoup plus simples… Et dans le cas d’un robot extraterrestre, c’est encore pire. Sans non plus perdre de vue que même si l’ingénieur, le chercheur ou le savant finit par comprendre comment fonctionne l’appareil, il faudra bien qu’il développe des systèmes capables de produire des pièces de rechange pour réparer l’engin après un combat ou tout simplement pour son entretien, ce qui nous renvoie dans le même circuit de recherches et développements exposé ci-dessus…

Or, et c’est bien là que le bât blesse, à cette époque aucune série de « Super Robots » ne montre jamais les impacts que provoque sur la société le développement de ces machines fabuleuses : elles se contentent d’y exister, en dehors de toutes formes de logique ou de la moindre bribe de bon sens. Et les choses ne s’amélioreront guère dans les années suivantes… Au reste, c’est une composante essentielle d’un récit de science-fiction de montrer quelles sont les conséquences d’une invention hors norme sur l’univers où elle apparaît ; ainsi, Michael Ashley écrit-il à propos de John W. Campbell (1910-1971) dans le chapitre « Pulps et magazines » de l’Encyclopédie de la science-fiction dirigée par Robert Holdstock (1948-2009) (8) : « Ce furent Campbell et Weinbaum qui modifièrent le cours de la science-fiction. Campbell allait bientôt devenir le plus influent de tous lorsque, en 1937, il s’installa dans le fauteuil de rédacteur en chef de Astounding. [...] Il demanda aux auteurs [NDA : parmi lesquels on peut compter Robert A. Heinlein (1907-1988), Alfred E. van Vogt (1912-2000) ou Isaac Asimov (1920-1992)] d’avoir constamment à l’esprit que dans la S.F. l’aspect humain comptait autant que l’aspect scientifique et qu’ils devaient réfléchir un peu plus aux implications sociales du progrès scientifique. » En d’autres termes, devient indésirable le cliché à l’époque déjà bien éculé du « savant fou » créateur d’une invention fantastique qu’il garde au secret dans son laboratoire, car un tel truisme empêche de développer les aspects humains de cette invention inédite. C’est en effet une conséquence du développement technologique trop souvent négligée : les innovations techniques provoquent des bouleversements des modèles sociaux où elles apparaissent ; qu’il s’agisse de la taille des silex, de la maîtrise du feu, de la forge des métaux, de l’invention de la roue, du développement de l’agriculture, de la diffusion de l’imprimerie, de l’avènement de la Révolution industrielle,… toutes ces inventions amenèrent en leur temps des modifications radicales des paradigmes sociaux, c’est-à-dire non seulement des rapports des gens entre eux mais aussi avec le monde qui les entoure, soit une appréciation du réel – et ce mouvement se perpétue de nos jours à travers la généralisation de l’informatique et l’accroissement des réseaux : c’est d’ailleurs grâce au premier d’entre eux que vous pouvez lire ces lignes. Dès lors, il va de soi qu’une invention même fictive, donc un élément du registre de la science-fiction, produit lui aussi un impact sur le système social où il apparaît, tout aussi fictif soit-il lui aussi : l’intérêt de la science-fiction par rapport aux autres genres littéraires se trouve là – dans le moyen qu’il donne d’explorer des types de société inédits, de nouveaux possibles…

Tomino veut appliquer un raisonnement semblable au genre mecha, pour en tirer un récit plus mûr et plus à la hauteur du potentiel narratif du thème quant à ses implications vis-à-vis des personnages et de l’univers dans lequel de tels géants évoluent. Mais il se trouve pour le moment occupé sur la réalisation de Yuusha Raideen, un concept originellement créé par Yoshitake Suzuki, et sa vision adopte à cette époque des accents mystiques très nets par le portrait qu’il dresse d’une machine géante aux origines mystérieuses et magiques au lieu de techno-scientifiques : une démarcation pour le moins inattendue à une époque où les mechas restent vus comme un triomphe de la science et de la technique, et qui influencera beaucoup de réalisateurs et autant de productions de renom – comme le RahXephon de Yutaka Izubuchi (2002). Mais Sunrise semble ne pas vouloir le suivre dans la voie qu’il souhaite explorer : trois ans seulement après sa création, en effet, le studio tient déjà avec Yuusha Raideen la production à succès qui lui garantit une liberté de création presque totale – un rêve d’artistes… Aussi la réalisation de la seconde moitié de Raideen se voit-elle confiée à un certain Tadao Nagahama (1936-1980) dont le travail sur cette série représente pour beaucoup l’ébauche de sa « Trilogie Romantique » à venir, qui ajoute des éléments de la comédie dramatique au genre « Super Robots« , alors que Tomino quitte le projet de plein gré pour retourner à ses activités de freelance à travers des productions comme Haha wo Tazunete Sanzen Ri (I. Takahata ; 1976) ou Araiguma Rascal (S. Endô, S. Koshi & H. Saitô ; 1977).

Mais il n’échappe pas aux « Super Robots » pour autant et se retrouve lui aussi – via les divers contrats du studio Sunrise – aux génériques de productions du genre dont certaines comptent parmi les plus influentes, comme justement la « Trilogie Romantique » de Nagahama évoquée ci-dessus, à travers Cho Denji Robo Combattler V (1976-1977) et Choudenji Machine Voltes V (1977-1978). Tomino travaille sur la première comme réalisateur d’épisodes, soit comme un acteur de la production qui participe aussi, et entre autres, à échafauder le scénario de la série (9) : souvent présentée comme une réalisation d’importance, par des admirateurs peut-être un peu trop enthousiastes, Combattler V s’avère en fait une production assez commune ; si on y trouve quelques bonnes idées, celles-ci ne dépassent hélas jamais l’épisode où elles apparaissent et en fin de compte ne parviennent pas à pousser le récit dans une direction vraiment innovante – seule la conclusion du tout dernier épisode montre que les choses n’étaient en fait pas si simples que ça, mais à travers une révélation aux allures de Deus Ex Machina qui fait tomber toute l’idée un peu à plat en plus de s’avérer assez improductive puisque ce coup de théâtre conclut le récit…

Sur Voltes V, par contre, Tomino est producteur, c’est-à-dire qu’il participe activement à l’organisation du projet et au choix du personnel – réalisateurs et artistes – qui sera chargé de le concrétiser : si le début de cette série donne l’impression d’une copie quasi carbone de Combattler V, surtout dans les designs des protagonistes principaux, la suite de la production montre vite une évolution assez nette de la narration, notamment en proposant un récit où presque chaque épisode s’inscrit dans une trame globale au lieu d’être une simple répétition de n’importe quel autre ; ensuite, l’univers de cette série s’avère plus sophistiqué que la moyenne, en particulier du côté des envahisseurs extraterrestres qui connaissent des luttes de pouvoir internes pour le moins fratricides : la conclusion de la série, amenée avec une certaine habileté cette fois, permettra de comprendre que les relations entre les héros et leur ennemi étaient en fait plus inattendues que ce qu’on pouvait le croire au premier abord, et ceci bien que cette révélation finale se montre encore une fois assez stérile puisqu’en arrivant dans le tout dernier acte elle ne peut plus orienter la narration vers une direction nouvelle – sans compter que l’impression qui s’en dégage ne va pas sans rappeler les mélodrames larmoyants de certaines séries américaines…

Toutefois, il reste difficile d’évaluer la portée réelle de l’impact de Tomino sur ces deux productions car celui-ci n’a pu exercer qu’une influence, au mieux, alors que les décisions finales revenaient de toutes manières à Nagahama puisque celui-ci était réalisateur en chef ; on ne peut malgré tout se tromper beaucoup en affirmant que, pour avoir accepté de travailler ensemble à deux reprises, les deux hommes avaient très certainement de l’estime l’un pour l’autre, et peut-être même plusieurs inspirations communes.

Quoi qu’il en soit, c’est quelques mois à peine après le lancement de Voltes V que Tomino propose une idée plus en adéquation avec les aspirations de Sunrise et les réalités du marché audiovisuel de l’époque : ainsi créé-t-il en 1977 Muteki Choujin Zanbot 3 avec son vieux complice Yoshitake Suzuki, créateur original de Yuusha Raideen. Il s’agit de la première production indépendante de Sunrise et en dépit de ses épisodes de début assez conventionnels elle évolue vite vers un récit sombre et ultra-violent où la mortalité de masse touche souvent les plus innocents – voilà où prend racine la réputation de Tomino et son surnom de « Kill’Em All » (« Tues-Les Tous »). Mais au-delà de cet aspect dramatique, Zambot 3 reste avant tout une représentation originale, voire innovante, du concept mecha : ici en effet, celui-ci n’est pas vu par les habitants de la Terre comme le héros qui va les sauver de l’invasion extraterrestre mais bel et bien comme une menace pour eux et toute la planète ; Tomino met là en scène ce qui semble un détail de simple bon sens mais qui n’a jamais été vu jusqu’ici : si le mecha est une arme à la puissance prodigieuse, alors les dégâts qu’il produit sont tout autant prodigieux… y compris sur les innocents – car ici comme dans toutes les guerres, il y a bien sûr des dommages collatéraux. Il s’agit donc d’un récit décrivant avant tout des êtres humains comme victimes de leur défenseur robot – soit une inversion totale des rôles par rapport à toutes les autres productions du genre « Super Robots » jusque-là – et où les envahisseurs ne jouent qu’un rôle en fin de compte mineur – aspect renforcé par leur présentation sous forme de parfaits comiques sans cesse ridiculisés, y compris par eux-mêmes. Mais c’est aussi la toute première représentation du mecha comme une source de danger, voire même de mort, pour ceux qu’il est pourtant supposé protéger, soit un revirement complet des mécaniques du genre : cette image du défenseur qui s’avère en réalité un pire danger que l’envahisseur qu’il combat évoque même presque une dénonciation du « tout technologique » dans laquelle s’enfonce de plus en plus le Japon à cette époque, soit une autre forme de revirement en regard du symbole que représente alors le mecha dans l’inconscient collectif japonais, celui d’une apologie de la technique comme je l’expliquais plus haut.

Cependant, cette nouvelle réputation de tueur de masse de Tomino se voit mise à mal quand, après une brève participation au Conan le fils du futur (Mirai Shounen Conan ; 1978) d’Hayao Miyazaki, il crée Muteki Kojin Daitarn 3 en 1978. Car cette série de longueur respectable – 40 épisodes, contre 23 seulement pour Zambot 3 – s’affirme assez vite comme une production… comique. Sous bien des aspects, en fait, Daitarn 3 s’avère même une parodie du genre « Super Robots » et peut-être d’ailleurs une satire : on ne compte plus en effet le nombre de répliques qui mettent à mal le genre, qu’elles viennent des héros de la série – en en dénonçant les mécaniques narratives récurrentes, pour ne pas dire répétitives – ou bien qu’elles viennent des envahisseurs – en moquant le héros, par exemple quand il appelle son mecha chaque fois qu’il voit arriver un adversaire plus gros que lui, soit à chaque épisode – sans oublier certaines situations tout simplement grotesques, et surtout celles concernant l’invulnérabilité physique du protagoniste principal dans tous les combats, à mains nues comme armées ; et cette liste reste loin de l’exhaustif… Il vaut d’ailleurs de préciser que, si on considère les parodies comme des hommages, c’est-à-dire des preuves d’une certaine affection, alors Tomino semble assez loin de détester le genre « Super Robots » comme l’affirment certaines rumeurs qui me semblent de plus en plus infondées. Enfin, mérite d’être souligné qu’on trouve dans le personnage d’Haran Banjô, le héros de cette série qui a fui son monde pour échapper à l’invention de son père ayant mal tourné, un certain aspect du Char Aznable de Mobile Suit Gundam, et à un point tel qu’il ne paraît pas exagéré de voir dans ce personnage-là un prototype du prince déchu de Zeon

C’est donc assez naturellement qu’après un passage sur Anne la maison aux pignons verts (Akage no Anne ; S. Koshi & I. Takahata, 1979) Tomino poursuit sa collaboration avec Sunrise en créant Mobile Suit Gundam : un projet qu’il veut bien plus adulte que la moyenne du genre « Super Robots » à travers un récit reposant sur le thème si sérieux et tragique de la guerre, où l’accent est mis sur les relations psychologiques plutôt que l’action pure et simple, où les personnages échappent aux schémas manichéens et surhumains typiques de ce genre de productions, où l’intrigue s’affirme par sa complexité et son univers par sa sophistication comme par son réalisme techno-scientifique.

Dans un article de Toma Machiyama publié dans le numéro 12 du volume 10 d’Animerica, il explique sa démarche : « Au fond, je voulais créer une série de robot plus réaliste – au contraire des Super Robots – où tout serait plus ancré dans le réel, basé sur un robot humanoïde. Dès le départ, les mobile suits (10) viendraient des robots de chantier (spatiaux) qui avaient servi jadis à construire les colonies de l’espace et qui se sophistiqueraient jusqu’à devenir de nouveaux types d’armes ; voilà quelle idée d’évolution industrielle j’avais en tête dès le début. De sorte que l’idée générale, mon idée, de faire une histoire de robots dans l’espace sans qu’elle devienne stupide se basait sur la volonté de bâtir une histoire et de l’implanter dans un réel possible – davantage d’options réalistes était le concept principal. »

Bon. Mais concrètement ? Tomino donne plus de détail dans sa conférence du 7 juillet 2009 au Club des Correspondants étrangers du Japon (11) : « [...] Nous devions créer quelque chose qui convienne à ces sponsors fabricants de jouets de sorte qu’il nous fallait écrire une histoire qui utiliserait ces robots que les fabricants voulaient vendre. Alors – si vous avez ces robots de 18 ou 20 mètres de haut qui peuvent être pilotés et qui ont une apparence humaine, vous ne pouvez pas espérer pouvoir mouvoir ces robots sur un monde comme la Terre où la gravité est bien trop importante. Donc, par élimination, vous devez placer votre intrigue dans l’espace où la gravité ne pose pas de problème. Ainsi, nous devions avoir des batailles dans l’espace.

« Mais nous avions aussi une autre contrainte, à savoir que les fabricants de jouets souhaitaient pouvoir toujours sortir de nouveaux modèles de jouets, ce qui impliquait que chaque semaine il fallait introduire un nouveau modèle de mobile suit et de nouvelles armes. De sorte que, dans le contexte du récit, il fallait avoir des factions capables de très grandes capacités financières, c’est-à-dire des états, donc de vastes et puissants états s’affronteraient dans une guerre spatiale.

« Et comme je le mentionnais, nous ne pouvions pas avoir ces robots en action sur la Terre à cause de la gravité. Même sur la Lune, il y a bien trop de gravité, de sorte qu’il nous fallait d’une manière ou d’une autre utiliser l’espace entre la Terre et la Lune. Ainsi la question se posa d’elle-même, “pouvons-nous créer un état qui existerait dans l’espace ?”, et bien évidemment la réponse consistait en des colonies de l’espace.

« Et bien sûr, pour en venir à ces jeunes gens sans entraînement militaire, comment peuvent-ils soudain savoir se servir de ces équipements si complexes, qu’il s’agisse de robots, de tanks ou d’armes ? Nous devions trouver une explication. Celle que nous trouvâmes était qu’ils disposaient d’une sorte de perception extrasensorielle. »

Voilà donc comment on échafaude l’univers d’un projet d’anime – du moins si on veut le rendre… réaliste.

Pour le reste, c’est de l’histoire. Les colonies de l’espace dans l’univers de Gundam sont élaborées sur le modèle conçu à la demande de la NASA par le professeur Gerard K. O’Neill (1927-1992) de la prestigieuse université de Princeton, aussi auteur de l’essai deux fois réédité et augmenté The High Frontier: Human Colonies in Space (1977) qui décrit comment coloniser l’orbite de la Terre pour vaincre la crise de l’énergie et la surpopulation – deux thèmes d’ailleurs prépondérants dans Gundam, ce qui prouve combien ses créateurs ont suivi scrupuleusement les données échafaudées par la science pour un meilleur réalisme. Quant aux mobile suits, et si on en croit l’introduction de Frederik L. Schodt au volume un de la toute première édition américaine du roman de Mobile Suit Gundam (12), ils s’inspirent en droite ligne des scaphandres de combat blindés et mécanisés que présente Robert A. Heinlein, auteur déjà cité ici, dans son roman Étoiles, garde-à-vous ! (Starship Troopers ; 1959) – une œuvre pour le moins controversée compte tenu de l’apologie qu’elle présente du militarisme…

Mais bien que l’ensemble du studio Sunrise adhère à ce projet, et que chacun des artistes y apporte sa propre pierre à travers des éléments qui ne comptent pas parmi les plus triviaux (13), les sponsors ne voient pas les choses du même œil. Car jusque-là, les plus grands succès du genre suivaient tous un schéma très différent de celui-ci, et cette volonté aux accents iconoclastes de changer la donne représente au final un risque financier important pour les annonceurs, les fabricants de jouets et les chaînes de télévision. Alors les diverses parties négocient, avancent leurs pions, font des compromis, et le projet se concrétise petit à petit : en dépit des souhaits de Tomino et de Sunrise, le résultat ne se montre pas aussi innovant qu’il aurait pu, le récit reste encore assez clairement orienté vers un jeune public et de nombreux clichés propre aux « Super Robots » restent présents.

Parmi les divers points qui posent problème lors de ces négociations, on peut évoquer les demandes insistantes des sponsors pour localiser la première partie du récit sur Terre, afin que les spectateurs puissent se figurer la taille des mobile suits en les comparant à leur environnement immédiat – alors que Tomino souhaite voir son histoire prendre place « dans l’univers », pour la raison évoquée plus haut du réalisme, en regard de l’impossibilité de manœuvrer des mechas dans la gravité terrestre, mais aussi pour mieux complimenter ce concept newtype qui sert de clé de voute au récit. De même, on trouve dans le groupe des protagonistes principaux trois jeunes enfants qui ne contribuent pas du tout à rendre le récit plus mûr, même si les admirateurs de longue date ont appris à les apprécier avec le temps, et qui restent encore le poncif le plus manifeste du genre « Super Robots » dans cette production. Enfin, on peut évoquer la facilité avec laquelle Amuro prend le contrôle du RX-78-2 Gundam dans le tout premier épisode, d’une manière que le concept newtype ne rend pas vraiment crédible, et d’autant plus que le spectateur en ignore tout à ce stade du récit – rappelons que dans le roman, qui est le véritable sujet de ce dossier, Amuro est un soldat dès le début de l’histoire et il a appris à piloter le Gundam pendant son entraînement… Et cette liste des points de divergence entre les artistes de Sunrise et les sponsors du projet reste loin de l’exhaustif.

Bref, la série Mobile Suit Gundam commence sa diffusion le 7 avril 1979… avec un succès mitigé. En dépit des concessions des artistes aux sponsors et du prestige de Sunrise, le public boude la série – peut-être parce qu’il se trouve décontenancé devant autant d’innovations, ou bien parce que celles-ci leur restent obscures en raison d’une narration qui ne dévoile que petit à petit pour ne pas noyer l’audience sous un déluge d’informations. Et les chiffres de l’audience ne s’arrangent pas au cours de la diffusion, de sorte que les sponsors commencent à retirer leurs billes et que la série se trouve condamnée à s’interrompre au 39e épisode – soit bien loin des 52 prévus au départ… Sunrise parvient néanmoins à négocier quatre semaines supplémentaires pour offrir à son bébé un semblant de conclusion, même si tous les éléments narratifs devant donner toute son ampleur au concept de départ passent à la trappe, et la diffusion s’arrête définitivement le 26 janvier 1980 en laissant un goût amer à chacun des artistes impliqué dans le projet. C’est dans la même indifférence que sortit le premier volume du roman de Tomino adaptant la série, environ deux mois avant l’interruption de la série TV.

C’est alors de tout cœur que Tomino se jette dans son projet suivant, toujours produit par le studio Sunrise avec lequel il partage un échec retentissant. Et encore une fois, Tomino propose un concept inédit : le mecha, ici particulièrement immense, y est un artefact extraterrestre que des colonisateurs humains découvrent par hasard sur une planète éloignée et qu’ils s’approprient pour l’étudier, jusqu’à ce que les descendants de ses propriétaires légitimes viennent chercher l’énergie fabuleuse qui l’anime et dont ils ont besoin… Bien que basé sur un postulat de départ assez semblable à celui de Gundam, pour son portrait d’un jeune équipage forcé à naviguer dans l’espace afin d’échapper à ses poursuivants, Densetsu Kyojin Ideon (Space Runaway Ideon ; 1980-1981) innove sur plusieurs points ; d’abord en introduisant le concept du mecha doué d’une forme de conscience et capable d’agir par lui-même, une caractéristique non seulement inédite à l’époque mais qui joue aussi un rôle moteur essentiel dans le récit ; ensuite en décrivant une guerre basée sur un malentendu et une incompréhension entre deux cultures aux langages et aux mœurs bien trop différents pour pouvoir communiquer, ce qui permet de gommer tous manichéismes ; enfin, en présentant un mecha composé de plusieurs autres qui se transforment pour se combiner de manière réaliste, c’est-à-dire sans pseudo-morphose comme c’était le cas jusque-là : c’est une autre caractéristique inédite qui engendrera bien des émules, notamment à travers The Super Dimension Fortress Macross (Cho Jiku Yosai Macross ; Noboru Ishiguro, 1982-1983). Mais c’est encore Neon Genesis Evangelion (Shin Seiki Evangelion ; Hideaki Anno, 1995-1996) qui reste le plus redevable à cette production hors normes, et de l’aveu même des gens du Studio Gainax : Anno, en effet, a déclaré publiquement que les œuvres de Tomino en général, et Ideon en particulier, restaient ses plus grandes inspirations…

Et pourtant, tout comme Gundam l’année précédente, Ideon sera lui aussi boudé par l’audience, peut-être en raison du focus que fait le récit sur les relations entre les personnages au lieu de l’action pure : forcé de trouver une conclusion qui tienne en un seul épisode, Tomino termine son récit en queue de poisson, à travers une fin qui n’en est pas une mais dont il ne se soucie plus puisque le public, de toutes manières, semble bien incapable de le comprendre…

Ce qui n’est pas le cas des professionnels de l’industrie par contre, car en janvier 1980 le prestigieux magazine Animage décerne son premier Anime Grand Prix à… Mobile Suit Gundam. Et, comme pour conjurer un mauvais sort qui s’est acharné trop longtemps, le même prix est attribué l’année suivante à Ideon

Suite du dossier (L’auteur : c. Le triomphe)

(1) mérite d’être rappelé que les premiers mechas, au sens du terme désignant des véhicules de combat géants, apparaissent dans le roman La Guerre des mondes de H. G. Wells, sorti en 1898, sous la forme des tripodes utilisés par les martiens pour envahir la Terre.

(2) Antonia Levi, Samurai from Outer Space: Understanding Japanese Animation (Open Court Publishing Company, 1996, ISBN : 978-0-8126-9332-4), chapitre cinq.

(3) les férus du genre ne manqueront pas de mentionner que deux jours à peine après la parution des premières planches de Mazinger Z dans Shônen Jump, soit le 4 octobre 1972, une série TV intitulée Astroganger débuta sur Nippon Television : je me permets d’occulter cette production en raison de son peu de pertinence puisque à y regarder de près, ce n’est jamais qu’un autre clone de Tetsujin 28.

(4) Bounthavy Suvilay, « Robot géant : de l’instrumentalisation à la fusion », dans Belphegor, Dalhousie University, vol. 3, no 2 « Terreurs de la science-fiction et du fantastique », 2004 ; lire ce texte en ligne.

(5) Thierry Groensteen, L’Univers des mangas (Casterman, 1991, ISBN : 978-2-203-32606-4), p. 71-72.

(6) ayant déjà développé cette thèse dans la première partie de mon dossier « Akira : 20 ans après », je n’y reviendrais pas ici ; j’invite néanmoins le lecteur curieux à consulter ce travail pour obtenir tous les éclaircissement dont il pourrait avoir besoin.

(7) pour une meilleure compréhension du rôle de la recherche et du développement dans le progrès technique et l’impact de celle-ci sur la société, le lecteur curieux se penchera sur l’ouvrage de Jacques Ellul déjà évoqué dans la partie précédente, Le Système technicien (Le Cherche Midi, collection Documents et Guides, mai 2004, ISBN : 2-749-10244-8).

(8) Robert Holdstock, Encyclopédie de la science-fiction (Compagnie Internationale du Livre, coll. Beaux livres, 1er trimestre 1980, ISBN : 2-7318-0001-1), p.57.

(9) du moins si on en croit les déclarations de Tomino dans son interview du 23 octobre 2009 accordé à Anime News Network : « [...] dans une série TV, beaucoup de réalisateurs d’épisodes sont aussi impliqués dans la création de l’histoire » – la retranscription (en) complète sur le site officiel d’Anime News Network.

(10) nom donné aux mechas dans Mobile Suit Gundam.

(11) la retranscription (en) complète du 14 septembre 2009 chez Anime News Network.

(12) Martin Ouellette, « What’s “Gundam”? » (Mecha-Press n°1, Ianus / New Order Publications, janvier-février 1992, ISSN : 1183-5443), p.5.

(13) on peut citer en particulier Kenichi Matsuzaki : scénariste et responsable de la construction de l’univers de la série ainsi que des recherches en matière de science-fiction, il reste crédité pour le modèle de colonisation de l’espace mais aussi pour la physique Minovski et le canon Solar System – source (en).

L’auteur :

a. Les débuts
b. Premiers succès (le présent billet)
c. Le triomphe (à venir)
d. Dix ans de Gundam (à venir)
e. L’après Gundam (à venir)

Sommaire :

1. Introduction
2. L’univers de Gundam
3. L’auteur (le présent billet)
4. L’innovation (à venir)
5. La colonisation de l’espace (à venir)
6. La métaphore (à venir)
7. Le newtype (à venir)
8. Conclusion et sources (à venir)