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Racisme à la FFF : un coup monté par Mediapart ?

Publié le 02 mai 2011 par Variae

Recette pour construire un scandale médiatique et faire exploser les abonnements à votre journal. (1) Sélectionnez un pays au bord de la crise de nerfs ou du malaise – par exemple la France (2) Repérez quelques thématiques ultra sensibles au cœur dudit malaise – par exemple, l’équipe nationale de football, l’identité nationale, le racisme, les quotas ethniques. (3) Agitez un peu vos réseaux d’informateurs pour qu’ils vous sortent un gros coup – par exemple une réunion de travail où ont été tenus des propos confus sur les thématiques que vous avez sélectionnées. (4) Procurez-vous un enregistrement de la réunion en question. Annoncez urbi et orbi que des propos scandaleux – « les dirigeants du foot veulent moins de noirs et d’arabes » – ont été tenus dans une réunion de travail, pardon, une réunion secrète, avec quelques sommités du football français. Répétez en boucle vos thématiques : racisme, discriminations, quotas de couleur. (5) Laissez ces sommités s’enfoncer en démentant ces propos dont ils ne se souviennent peut-être même plus exactement ; publiez parallèlement, au compte-goutte, des bouts de vos enregistrements, qui vont les prendre à revers. (6) Restreignez l’accès de ces enregistrements à vos seuls abonnés, pour gagner de nouveaux abonnés, et laisser les autres dans l’ignorance de ce qui a vraiment été dit – et donc en proie à la seule tempête médiatique, elle-même fondée sur vos seuls éléments de langage repris par l’AFP (6) Mettez à contribution vos réseaux de copains pour bien faire chauffer la marmite à scandale – un ancien de chez vous pourra faire un éditorial chez Libé, par exemple. (7) Soulevez le couvercle : responsables politiques et professionnels de l’indignation – footballeur à lunettes, ancienne ministre communiste, avocat des statistiques ethniques … – devraient déjà avoir réagi, réclamant à cors et à cris suspensions et sanctions, annonçant le Retour Des Heures Les Plus Sombres De Notre Histoire™. Si, sous la pression, des sanctions sont prises, elle crédibilisent encore votre opération. Vous pouvez retirer la marmite du feu : votre scandale est prêt à être servi, et va vous faire de nombreux repas.

Racisme à la FFF : un coup monté par Mediapart ?

C’est cette recette que Mediapart vient d’appliquer à la lettre au sujet de la désormais célèbre réunion de la direction technique nationale du football, qui aurait vu un quarteron de comploteurs réfléchir aux meilleurs moyens de blanchir la sélection nationale. Du moins est-ce là la version qui circule depuis vendredi, amplifiée par le bruit médiatique, par l’accès limité à la source disponible (de manière payante) sur le site d’information participatif, et par l’hystérie que provoquent les sujets évoqués, dans la France déboussolée par la montée de Marine Le Pen.

La première chose à faire est donc de lire calmement le verbatim de l’enregistrement de la réunion. Qu’y découvre-t-on ? Une discussion entremêlant plusieurs questions auxquelles est confrontée la DTN : (1) le cas des joueurs binationaux, formés par les structures fédérales françaises, mais partant ensuite jouer dans la sélection de leur autre nationalité, faute de débouché dans les sélections françaises ; (2) le problème des types de joueurs sélectionnés par la détection et la formation françaises, qui privilégieraient les grands gabarits et les physiques puissants, au détriment de joueurs plus mobiles et techniques. Jusqu’ici, rien de choquant : il s’agit de questions régulièrement abordées dans le monde du football et les médias sportifs. Ce sont deux autres éléments qui donnent son aspect parfois « limite » à l’échange : premièrement, la proposition un temps discutée de mettre en place des quotas en douce, pour réduire le nombre de joueurs binationaux dans les programmes de formation fédéraux ; deuxièmement, une série de raccourcis verbaux, notamment dans la bouche de Laurent Blanc, sur le fait que ce sont les joueurs de couleur qui seraient concernés par la binationalité (quelle découverte !), et que les « grands costauds » actuellement privilégiés seraient surtout des noirs. A partir de là, les pièces du puzzle sont en place : il suffit de touiller un peu l’ensemble pour que tout se mélange, limitation des binationaux, limitations des joueurs trop physiques, donc noirs, donc stupides, donc que l’on va écarter au faciès de nos structures de formation ! Mediapart ne fait rien pour démêler ce complexe écheveau – bien au contraire. On découvre ainsi à la lecture que le verbatim proposé est une sélection de moments de la discussion, prélevés dans une réunion beaucoup plus longue dont on ne connaît pas l’exacte teneur – on gardera seulement le sentiment d’un séminaire entièrement dédié aux quotas ethniques, et c’est bien sûr l’effet recherché. Effet encore amplifié par les articles d’accompagnement, qui poussent à fond dans le sens de l’accusation de racisme.

Mais ce n’est pas tout. Mediapart laisse dans l’ombre un aspect pourtant essentiel : les propos rapportés viennent d’un séminaire de réflexion. Le verbatim montre d’ailleurs qu’il n’y a absolument pas unanimité à leur sujet, et que la discussion est vive, sans à aucun moment prendre de tour réellement raciste. Il n’y a pas non plus – pour le moment – de preuves claires de la mise en place effective d’une politique discriminatoire à grande échelle suite à cette réunion. Et pourtant, on peut penser que si un tel système existait, des langues se seraient déjà déliées. Il y a donc une question que l’on a très envie de poser à Mediapart : est-il interdit, au cours d’un brainstorming, d’avoir des expressions maladroites, des idées contestables, voire stupides et douteuses ? Est-ce que le simple fait d’avoir commis une faute verbale (si faute il y a) dans un cadre privé doit être puni, si cette faute n’a pas été suivie de conséquences concrètes ? Y a-t-il des questions que l’on n’a même pas le droit de poser ?

Ceci repose le problème de l’idéologie de la transparence propre au phénomène Wikileaks, auquel Mediapart et Edwy Plenel se sont d’ailleurs très vite associés et référés. Pour ce courant de pensée, le summum – et la norme – de l’information journalistique devient le dévoilement systématique et permanent de tout ce qui est privé ou caché, le caractère privé devenant en lui-même douteux et suspect. Il n’y alors plus de hiérarchie entre ce qui se passe réellement et ce qui n’est que discuté ou prémédité : l’important devient la révélation en elle-même. Révélation d’autant plus spectaculaire que les propos confidentiels ou privés sont toujours plus relâchés, moins contrôlés que les expressions publiques. Que découvririons-nous si nous surprenions les conversations dans notre dos de nos collègues ou même amis ? Qu’est-ce qui nous prouve que quelques idées stupides ou nauséabondes ne passent pas, parfois, dans l’esprit d’Edwy Plenel ? Les met-il nécessairement en œuvre pour autant ?

Si Mediapart n’est pas en mesure de démontrer clairement qu’un système de discrimination raciste et identitaire a effectivement été mis en place dans les structures de la Fédération Française de Football, tel que le site d’information l’a laissé entendre, alors il ne restera de cette affaire que ce constat sordide : à savoir, qu’un site d’information se parant des plus hauts idéaux républicains est en réalité prêt à manipuler des sujets explosifs, dans un pays malade, dans le seul objectif d’améliorer son aura et ses résultats financiers. Je me demande, finalement, l’option que je préfère.

Romain Pigenel


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