Gens de la Ruhr
Ce livre est énorme – à tous points de vue. Il fait 3 000 pages et compte 887 auteurs qui, pendant un an, ont écrit plus de 10 000 contributions dans seize langues – et tout ça sans se connaître. Ce livre énorme s’intituleText*.Ce texte énorme fait partie du projet 2-3 Straßen mis sur pied dans le cadre de Ruhr 2010-Capitale européenne de la culture. Soixante-dix-huit personnes sont venues dans la Ruhr et ont pris un an durant leurs quartiers dans des rues tout à fait ordinaires de Dortmund, de Duisburg et de Mülheim, dans des quartiers dits “à problèmes”, avec un chômage élevé et une absence totale de perspectives. L’objectif du projet artistique était que les nouveaux venus dans le quartier enrichissent les vieux habitants par leur présence et leurs visions du monde, qu’ils apportent des projets culturels, contribuent tous les jours au grand texte du 2-3 Straßen et invitent les gens autour d’eux à en faire autant. Comme écrit une Dortmundoise de 53 ans dansText : “Et aujourd’hui un jeune homme de 2-3 Straßen m’a priée d’écrire tout simplement ce qui me passait par la tête sur la vie ici, place Borsig.”Et elle participe. Et elle donne un merveilleux éclairage sur son quotidien – comme beaucoup d’autres qui ont fait croîtreTextjour après jour. C’est un livre sans pause, où il est question d’amour et de mort, de voisins bizarres et de voisins sympas, de vivre-ensemble, de côtoyer ses voisins sans les connaître, de la catastrophe de la Love Parade [le 24 juillet 2010, 21 personnes sont mortes piétinées dans une bousculade à Duisburg lors de cette fête techno], d’achats quotidiens, de porte-monnaie perdu, de chiots vendus et de paillassons échangés par erreur, ainsi que de souvenirs du temps jadis, de l’époque où l’on fondait encore de l’acier et où l’on exploitait le charbon dans la Ruhr. Un texte sans fin qui forme un chœur de mille voix sorti de la vie quotidienne des gens de la Ruhr. Un texte captivant qui associe étroitement le banal et le philosophique, l’essentiel et l’insignifiant, et qui fascine dès la première phrase :“Nous sommes six, c’est la première contribution et voilà ce que nous avons à dire au monde.”Quel début prometteur ! Plongez dedans, lisez, laissez-vous porter par ce fleuve de vie. Cela en vaut la peine.
Note :* Ed. DuMont, Cologne, 2011.
Source : http://www.courrierinternational.com/article/2011/04/28/gens-de-la-ruhr