Le titre Mood Indingo m'avait déjà été annoncé dans le dernier roman que j'ai chroniqué ici, celui de Daniel Maximin, L'île et une nuit, dans lequel on peut lire ceci : "Avec des mélodies couleur bleue, Mood indigo, belles à pleurer la perte de l'innocence et du sentimental." (p. 108) J'aime qu'un roman me replonge dans les eaux d'une précédente lecture, surtout lorsque j'ai pris plaisir à m'y baigner. J'ai ainsi l'impression de suivre le même courant de fleuve, de continuer la même lecture, mais dans un autre livre. C'est le plaisir du nouveau dans l'ancien ou de l'ancien dans le nouveau. Dans Mood Indigo de Mamadou Mahmoud N'Dongo, outre le titre, qui renvoie à la couleur mais aussi à la musique, le jazz, des passages, un en particulier, touchant à l'expression de l'amour, m'ont fait repenser au roman de Daniel Maximin. On peut trouver par exemple une familiarité entre cette formule : "Vaut mieux vivre pleinement une histoire, même avec une rupture, qu'une absence d'histoire avec une jolie rupture" (Mood Indigo, p. 39-40) et celle-ci : "Car tu m'as bel et bien dit un jour qu'il vaut mieux vivre libéré de ses sentiments avoués que survivre esclave des sentiments étouffés." (L'île et une nuit, p. 58).
Le livre de Mamadou Mahmoud N'Dongo, sous-titré "Improvisations amoureuses" annonce une thématique amoureuse que l'on retrouve effectivement dès l'ouverture du livre. Les premières nouvelles attestent en quelque sorte la "perte de l'innocence et du sentimental" évoquée dans le bref extrait de Daniel Maximin. Je veux dire par là que les narrateurs, en racontant leurs rencontres amoureuses, expérimentent en même temps combien le couple peut être un haut lieu de méconnaissance, de "fabriqué", entendu comme étant le contraire du naturel, sincère, du vrai. Dans un couple, vit-on vraiment en symbiose ? Est-on une personne ? Au contraire on est deux personnes irrémédiablement différentes, au point que l'autre peut nous apparaître parfois comme un inconnu. "Je n'ai jamais vécu avec elle, mais à côté d'elle", déclare le narrateur du récit intitulé "Ginger" (p. 19) Il dit plus haut : "on n'est jamais véritablement avec une femme, mais avec une femme et son corps de femme." (p. 16) Que faut-il retenir de la vie de couple ? C'est qu'elle "tient vraiment à très peu de chose". (p. 30) Un rien peut la briser.
L'amour est-il donc le sujet principal de ces récits ? Pas du tout, il n'est que le fil par lequel l'auteur vous entraîne dans son labyrinthe. Entrer dans ce recueil, c'est comme s'engager dans une succession de pièces, la dernière n'étant pas celle à laquelle vous vous attendez. On commence apparemment par l'amour, comme le suggère la déclaration initiale : "Toutes les femmes que j'ai aimées m'ont quitté un mardi", puis on bascule très vite dans le cinéma, l'art, le théâtre, la littérature, la politique, en particulier la politique française, mais ce n'est pas encore la dernière case. Surprise, suprise ! Tous ces thèmes étaient présents dans La Géométrie des variables, dont je vous ai parlé il y a peu.
La mise en page est toujours aussi théâtralisée que dans la précédente publication de l'auteur. Mamadou Mahmoud N'Dongo semble construire "sa" marque, reconnaissable aussi bien dans la théamtique que dans la présentation du texte. J'apprécie surtout les références culturelles et littéraires. Ce roman a par exemple éveillé mon intérêt pour le théâtre de Jean Genet, au point que je me suis souvenue que je possédais une de ses pièces de théâtre : "Les Paravents"... que je n'ai pas encore lue ! Je l'avais tout juste commencée, je crois, il y a des années maintenant, et je l'avais finalement rangée en rayon.
Le dernier livre de Mamadou Mahmoud N'Dongo n'attend que vous.
Une belle critique lui est consacrée sur Cultures Sud : http://www.culturessud.com/contenu.php?id=434
Mamadou Mahmoud N'Dongo, Mood Indigo, Gallimard, collection Continents noirs, 240 pages, 18 €.