Et mince, encore une confirmation que des médecins employés par le Département de la défense américain à la prison de Guanatanamo auraient fermé les yeux sur des signes de torture perpétrée sur des détenus qu'ils soignaient. Ou, plus exactement, il semble que ces médecins aient soigneusement relevé les symptômes physiques (contusions, fractures, lacérations...) et psychologiques (syndrome de stress post-traumatique, dépression...) de leurs patients, sans jamais se demander quelles étaient leurs causes. Dans un cas il est documenté au dossier qu'un détenu présentant un état déprimé, des cauchemars, des trous de mémoire, une perte d'appétit et de concentration, et des idées suicidaires a été traité avec des antidépresseurs et a reçu le conseil de 'se détendre...lorsque les gardiens se comportent de manière plus agressives'. L'article est en accès libre, mais attention: lecture difficile.
Alors bon, oui, malheureusement, ce n'est pas la première fois qu'on évoque une participation médicale aux 'techniques d'interrogation poussées' à la prison de Guantanamo. L'ONG Physicians for Human Rights nous avait même fourni il y a presqu'un an un résumé de documents officiels montrant que l'aval médical avait été employé pour justifier la torture.
Reste à savoir si cette étude aura une quelconque conséquence. Des poursuites juridiques contre des médecins ayant participé à la torture, il n'y en a pas eu tant que ça dans le monde. Et aux États-Unis, aucun précédent pour le moment. Et puis, s'agit-il cette fois de participation à la torture? Difficile question. La American Medical Association interdit bien sûr la participation des médecins à la torture. Leur déclaration sur la question précise que les soins aux victimes de la torture sont bien sûr licites. Mais sont interdits tout soutien, sous forme matérielle ou d'information, à la pratique de la torture; la présence de médecins lorsqu'elle est pratiquée ou menacés; la certification qu'un détenu est 'apte'. Il est également précisé que les médecins doivent offrir un soutien aux victimes et, chaque fois que c'est possible, tenter de changer les situations dans lesquels un fort potentiel de torture existe.
Au sens stricte, il n'est donc pas sûr que la plupart des comportements décrits dans l'étude puissent être considérés comme une participation médicale à la torture. Mais voir cela, c'est aussi voir que le problème est plus profond. Car fermer les yeux sur les causes de blessures et de traumatismes, c'est au minimum ne pas mettre l'intérêt de son patient avant. En lisant cette étude, on a comme l'impression de voir l'effritement des valeurs professionnelles, le côté concret du danger qu'encourent nos collègues dans une situation effroyablement difficile. Encore un signe que maintenir le rôle de la médecine en prison alors que les praticiens sont employés par les autorités de cette prison, et bien ce n'est pas une chose facile. Et encore moins dans une situation comme celle-ci...