Dans un récent sondage de l’institut Enmid, les Grünen (Verts allemands) seraient crédités de 24 % d’intention de vote en cas d’élections législatives, devançant pour la première fois le SPD (23 %) dans un sondage national. Cette poussée écologiste n’est bien sûr pas sans lien avec le très vif regain du débat sur le nucléaire en Allemagne, consécutif à la catastrophe de Fukushima. Ce sujet est bien plus au centre des discussions politiques qu’en France et il semble bien que les écologistes soient parvenus à imposer leurs vues à l’ensemble du monde politique car même Angela Merkel se déclare aujourd’hui en faveur d’une sortie rapide du nucléaire.
Cette dynamique positive pour les Grünen s’est d’ailleurs traduite dans les trois élections régionales qui ont eu lieu le 20 mars dernier. Ils ont en effet atteint le niveau historique de 24,2 % des voix dans le très conservateur Bade-Württemberg (en progression de 12,5 points), 15,4 % en Rhénanie-Palatinat (+10,8 points) et 7,1 % (mais néanmoins en progrès de 3,6 points) en Saxe-Anhalt, où le parti post-communiste die Linke reste très influent (23,7 % des voix) et occupe toute une partie de l’espace politique à gauche. En Rhénanie-Palatinat comme en Saxe-Anhalt, les Grünen sont donc de nouveau représentés au Landtag (Parlement régional) en franchissant la barre des 5 %, ce qui ne leur était pas arrivé depuis 1994 en Saxe-Anhalt.
La percée des écologistes dans le Bade-Württemberg est historique à plus d’un titre. D’une part, jamais les Grünen n’avaient atteint un tel score dans ce Land, d’autre part, ils devancent le SPD et enfin, cette très forte progression permet à la coalition rot-grün (rouge/verte, c’est-à-dire sociaux-démocrates et écologistes) de l’emporter dans un Land acquis à la droite depuis la fin de la seconde guerre mondiale. C’est donc un écologiste (ceci constituant là aussi une première), Winfried Kretschmann qui devrait devenir Ministre-Président du Land de Bade-Württemberg.
Comme l’indique l’institut Forschungsgruppe Wahlen E.V, ce séisme politique est dû pour partie à des considérations locales : une forte dégradation de l’image de la coalition CDU/FDP et de son Président sortant et un bilan gouvernemental assez maigre ont nourri une forte volonté d’alternance. 57 % des personnes interviewées indiquaient ainsi avant le vote qu’elles souhaitaient voir une nouvelle coalition au pouvoir. Mais ce souhait de changement a encore été renforcé par les prises de position alambiquées du gouvernement sur le nucléaire. Après avoir racheté au prix fort à l’automne la participation d’EDF dans l’électricien local EnBW, exploitant deux centrales nucléaires dans la région, et avoir ardemment plaidé pour cette filière, le gouvernement local a dû se ranger à l’annonce d’Angela Merkel d’un moratoire sur la prolongation de l’activité des centrales jusqu’à 2035, annonce intervenue après l’accident de Fukushima, qui a beaucoup troublé outre-Rhin. Ainsi, d’après le « Politbarometer » de la chaîne ZDF, 60 % des Allemands souhaitaient qu’on arrête le plus rapidement possible l’exploitation des centrales nucléaires et 70 % estimaient possible qu’une telle catastrophe se produise en Allemagne (sondage Infrastest). Mais cette volteface de Berlin et de Stuttgart a été interprétée comme une manœuvre politicienne par 67 % des habitants du Land. Et si dans cette région conservatrice, 43 % des électeurs[1] estimaient que la CDU était la plus compétente en matière économique (contre 20 % pour le SPD et 4 % seulement pour les Grünen), sur la question centrale du nucléaire, 53 % se disaient proches des écologistes, ce parti s’assurant ainsi une très forte prime de crédibilité sur le thème décisif (11 % au SPD et 18 % à la CDU). Dans le Land voisin de Rhénanie-Palatinat, les Verts étaient également jugés les plus compétents sur la question du nucléaire mais de manière un peu moins importante (44 % contre 53 % en Bade-Württemberg) et surtout ce sujet n’arrivait qu’en troisième position des priorités alors qu’il était en tête des préoccupations en Bade-Württemberg.
Bien positionné sur le thème central de la campagne, les Grünen allaient pouvoir défaire la coalition CDU/FDP dans son bastion et élargir très fortement leur assise électorale dans ce Land conservateur. Ainsi par exemple avec 27 % des voix parmi les chefs d’entreprise et les indépendants (en progression de 16 points dans cette catégorie), ils ont obtenu un score trois fois supérieur aux libéraux du FDP (9 %, – 10 points) habituellement assez implanté dans cette catégorie. Et si les Grünen obtiennent assez classiquement leurs meilleurs résultats dans les franges les plus éduquées de l’électorat, les scores sont impressionnants : 36 % parmi les diplômés du supérieur contre 31 % à la CDU et 20 % au SPD. C’est d’ailleurs dans les villes universitaires ou abritant de nombreux diplômés que les écologistes allaient enregistrer leurs meilleurs résultats : 42,5 % dans la première circonscription de Stuttgart, 39,9 % dans la seconde de Freiburg, 36,7 % à Heidbelberg ou bien encore 32,1 % à Tübingen. Mais comme le montre le tableau suivant, les écologistes sont également parvenus à atteindre des niveaux significatifs dans les fiefs conservateurs[2].
% CDU % Grünen
Ehingen 51 % 19,2 %
Biberach 50,7 % 18,8 %
Sigmaringen 50,2 % 19,3 %
Wangen 48,6 % 22,4 %
Main-Tauber 47,7 % 18,4 %
Une personnalité comme Boris Palmer[3], maire de Tübingen, incarne bien le positionnement réaliste et pragmatique adopté par les Grünen dans les communes aisées du sud de l’Allemagne, positionnement qui a su séduire toute une partie de la clientèle traditionnelle de la CDU au nom notamment de la défense du cadre de vie. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le second enjeu de ces élections régionales en Bade-Württemberg concernait précisément un enjeu d’aménagement. Baptisé « Stuttgart 21 », un gigantesque projet de réfection de la gare centrale de Stuttgart porté par le gouvernement régional sortant a engendré de très importantes mobilisations et a suscité de vifs débats dans toute l’Allemagne. A l’instar par exemple des manifestations et des occupations de site pour protester contre l’agrandissement de l’aéroport de Francfort au début des années 80, les Verts locaux ont également su capitaliser, parallèlement à leur engagement anti-nucléaire, sur ce climat d’opinion très porteur pour fortement progresser dans les urnes au point de parvenir à conquérir la présidence d’un des Länder économiquement les plus prospères et berceau de bon nombre de géants industriels allemands comme Daimler, Porsche ou bien encore Liebherr.
[1] Sondage Forschungsgruppe Wahlen.
[2] A noter également les scores significatifs atteints dans les circonscriptions de Karlsruhe (30 %) et d’Heilbronn (21,5 %) abritant les deux centrales nucléaires en activité celle de Philippsburg et celle de Neckarwestheim.
[3] Cf par exemple « Boris Palmer, le Vert de lance » in Libération le 28/03/2011