En feuilletant quelques numéros de La Plume…
Tout d’abord un article sur Francis Vielé-Griffin, par le fantasque Adolphe Retté, qui fait l’objet de l’article suivant signé par Edouard Dubus, afin de faire bonne mesure et de fermer ma poupée russe pour aujourd’hui, la préface de Laurent Tailhade à la réédition de Quand les violons sont partis du même Dubus.
Francis Vielé-Griffin
I
M. Vielé-Griffin donna aussi des articles, des vers, des traductions de Swinburne et de Walt Whitman à la Revue Indépendante de Kahn et Dujardin, il fut du bataillon sacré qui tenta l’éphémère et non moins introuvable seconde Vogue. Enfin il a écrit à la Wallonie qui lui consacra un numéro spécial, et il publia dans l’Art et Critique de Jean Jullien, sous le pseudonyme d’Alaric Thome, un article qui fit grand bruit dans la littérature.
Mais le périodique auquel il sied surtout d’attacher son nom, c’est : Les Entretiens Politiques et Littéraires fondaient par lui en Janvier 1890 et dont il reste l’inspirateur. Avec MM. de Régnier, Paul Adam et quelques autres (I) il y a mené la plus brillante campagne et il a contribué, plus que pas un, au succès définitif de ce groupe, bien vivant quoiqu’on dise, qu’il est convenu d’étiqueter symboliste.
Concurremment, M. Vielé-Griffin publiait en 1886 Cueille d’Avril, vers de jeunesse où s’indiquait déjà une note nettement personnelle ; en 1887 les premiers Cygnes, suite de poèmes gracieusement mélancoliques ; en 1888 Ancaeus drame imprégné de la Fatalité antique, évoquant, en décors de songe, les roses et les pampres d’Ionie ; en 1889 Joies un des tout premiers livres de vers livres qui ait été donné par notre génération ; enfin en 1892 les seconds Cygnes où la formule d’art posée dans Joies s’éployait maîtresse d’elle-même et génératrice de vers exquis.
Aujourd’hui, voici que l’éditeur Vanier met en vente La Chevauchée d’Yeldis qui est, pensons-nous, le chef d’œuvre de M. Vielé-Griffin – chef d’œuvre par le rythme et par la rare hauteur de l’idée.
II
Plutôt qu’une analyse forcément succincte de chaque volume nous essaierons de donner une impression d’ensemble de l’œuvre de M. Vielé-Griffin. Sa caractéristique principale, c’est l’ordonnance dans la mesure. Chez lui rien d’outré, point de couleurs violentes, nulle débauche de tons excessifs ; dans le décor fin où il évoque ses rêves toutes choses sont à leur plan ; les lignes heureusement combinées et concourant rigoureusement à l’effet cherché circonscrivent des gammes de nuances douces et de l’ensemble il se dégage une merveilleuse eurythmie. Nous comparerions volontiers tels de ses poèmes à des aquarelles où chanteraient la douceur des mauves et des lilas aprilins, la candeur des matins blonds – aussi, des flûtes arcadiennes chuchotant, parmi des saulaies assoupies, au bord d’une eau paisible où se fondrent, reflétés, les verts défaillants et les ors roses d’un crépuscule féerique. Telle est surtout la note de Joies transposant dans le songe et dans le lointain qu’il faut la molle ampleur des paysages de Touraine. Mais il y a d’autres notes : vigoureuses et, si l’on peut dire, héroïques, elles racontent la vie et ses rancoeurs (voir dans les seconds Cygnes cet admirable Porcher) : ou bien, tels des oiseaux d’or, les vers s’évaguent dans la nuit pour escorter Yeldis et ses suivants d’amour.
Tandis que d’autres se complaise,t surtout à évoquer la vie en rêve par des lacis de sensations significatives, M. Vielé-Griffin hausse sans cesse son émotion à l’Idée pure. Stuart Merrill, ce Siegried auréolé d’aurore, bondit sur les cimes et, brandissant une lance d’argent incrustée d’escarboucles, accélère éperduement les cavalcades fastueuses de ses rêves vers des vergers d’étoiles, M. de Régnier déroule d’élégantes, de nobles tapisseries. Vielé-Griffin, aux parterres de l’Apparence, cueille des touffes de pensées ; il en forme des bouquets sévères ou, profondément religieux, des guirlandes platoniciennes dont il fait l’oblation à la Divinité. De tous les poètes de notre génération il est incontestablement celui qui pense le plus.
La beauté, il l’aime introublée et pareille à une vierge dont les yeux de sérénité s’illuminent d’une âme apaisée ne reflétant que des ciels profonds où les folles nuées de la passion n’ont fait que passer. La vie elle est là-bas : dans les feuillages à l’horizon, moires à peine devinées où se mirent des fleurs bizarres que la vierge a cueillies naguère mais qu’elle ne cueillera plus – car tous les astres du ciel ont ravi ses yeux vers les lys lumineux de Là-Haut.
Il faut louer la technique que M. Vielé-Griffin mit au service de ses concepts. Elle comporte le vers libre dans toute sa logique et toute sa difficulté – laquelle n’est pas minime. Le vers libre, tel que le pratiquent quelques uns des poètes de ce temps, exige un rythme parfait et rigoureusement adéquat à l’émotion que le poète veut exprimer.
Tout à peu près – plus encore que dans les vers astreints aux règles périmées – y est impossible. Il exige une connaissance parfaite de toutes les ressources prosodiques, un tact sûr et la plus réelle maîtrise. L’employer, c’est s’astreindre à « dire quelque chose ». En effet au rebours de la méthode parnassienne qui enseignait à bien faire le vers mais essentiellement se souciait assez peu qu’il présentât autre chose que des sonorités curieuses et conformes au canon établi par quelques uns, le vers libre se mue en prose médiocre dès qu’il cesse d’être le mode d’expression personnel d’une pensée personnelle. C’est ce que M. Vielé-Griffin a fort bien expliqué dans la préface de Joies disant : « … Nulle forme fixe n’est plus considérée comme le moule nécessaire à l’expression de toute pensée poétique… désormais comme toujours, mais consciemment libre cette fois, le Poète obéira au rythme personnel auquel il doit être… le talent devra resplendir ailleurs que dans les traditionnelles et illusoires « difficultés vaincues » de la poétique rhétoricienne. »
M. Vielé-Griffin a quelquefois échoué, surtout au début mais lorsqu’il a réussi – et c’est le plus souvent – il a atteint la perfection. Pour preuve l’impeccable, Chevauchée d’Yeldis et aussi ces vers inédits, prélude d’un prochain volume :
Exorde pour la clarté de vie
ETIRE-toi, la Vie est lasse à ton côté
- Qu’elle dorme de l’aube au soir,
Belle, lasse,
Qu’elle dorme –
Toi, lève-toi : le rêve appelle et passe
Dans l’ombre énorme,
Et, si tu tardes à croire,
Je ne sais quel guide il te pourra rester
- Le rêve appelle et passe,
Vers la Divinité.
Laisse, ne prends qu’un viatique
Et de tout cet amour qui double chaque pas
Ne prends que le désir, et va,
Dépêche-toi :
Le rêve appelle et passe,
Passe – et n’appelle qu’une fois.
Marche dans l’ombre, cours !
Est-il un abîme que tu craignes ?
O hâte-toi ! … il est trop tard :
La belle Vie en son sommeil d’amour
Etend ses doux bras qui t’étreignent
- Trop tard : le rêve appelle et passe,
Appelle en vain,
Passe et dédaigne…
ALORS,
Etreins la Vie, encore, de baisser lasse,
Engendre d’elle un art ;
Si tu ne fus vers Dieu, à l’infini,
Selon le rêve muet et qui prie,
Retourne-toi, étreins la belle vie ;
Immortalise en elle ta seule heure :
De ta douleur de mort et de sa joie
Procréant quelque Verbe harmonieux
Qui te survive et rie et pleure
Quand le printemps verdoie
Aux bois joyeux
Du jeune leurre d’amour qu’il faut redire ;
Et chante dans la clarté de son sourire ….
De tels vers couronnant une telle œuvre sont pour ternir singulièrement les paillons et la friperie archéologique de l’école romane et donneront peut-être à réfléchir à tels mineurs étourdis dont le pic creuse un pilon coriace afin d’en extraire « la vie profonde du cœur. »
Adolphe Retté, La Plume, N° 96, 15 Avril 1893
[I] Bernard-Lazare, Georges Vanor.
Adolphe Retté
Le Gilles de Watteau, binoclé, ayant oublié de raser sa moustache, et vaguant, en costume sombre, dans un décor nocturne de quai séquanais ou de taverne exotique, tel apparaît Adolphe Retté.
De grands silences, interrompus soudain par la vaticination d’héroïques paradoxes, voire aussi par l’harmonieuse mélopée de strophes serpentines – pépiements de flûtes ou rugissements de cuivres ! – et ce leitmotif : « La vie, c’est des ombres chinoises », voilà sa conversation.
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Il naquit à la vie littéraire en 1888, d’un article que publia la Revue Moderne. Il s’y campait en adversaire du naturalisme et se réclamait de l’esthétique symboliste, avec intrépidité.
A l’appui de ses doctrines, après six mois de silence, il fit tirer à 170 exemplaires les Cloches en la Nuit, un premier livre de vers.
Ce n’était point un recueil de pièces écrites au hasard de l’inspiration, et rassemblées sous un titre à effet ; c’était une œuvre de rigoureuse unité.
Un poème initial pose une série de motifs psychiques, exprimant les différents aspects d’un même état d’âme, plutôt dolent. Chacun des motifs est ensuite développe dans une forme souvent dramatique, comme dans le fragment reproduit plus loin, et, dans un morceau final, la conclusion philosophique et sentimentale : « la seule réalité du Moi sur l’inanité des contingences », surgit.
Quand à l’écriture, elle assume toutes les ondoyances du sujet.
Chacun des thèmes psychiques est exprimé par un thème verbal qui lui est adéquat, le blasonne pour ainsi dire, et en enserre le complet développement dans un vêtement de sonorités correspondantes.
Pour rendre les moindres nuances, les attitudes les plus fugitives de la pensée, M. Retté a cru devoir adopter le vers et la strophe libres, basés sur des valeurs rythmiques, où domine l’allitération.
Je n’ai pas ici à critiquer ici le procédé en lui-même. J’ai à remarquer simplement que le poète, en voulant écrire un poème wagnérien, a oublié que l’une des principales causes de l’émotion esthétique procurée par le drame lyrique, était la variété et l’opposition des divers leitmotifs. Or, dans les Cloches en la Nuit, pas une seule fois les leitmotifs ne sont en antagonisme ; des nuances seulement, et des plus ténues, les séparent ; ils rendent seulement les différents aspects d’un seul état d’âme, de telle sorte que tout l’art déployé à profusion dans l’œuvre ne la sauve point d’une certaine monotonie. M. Retté convient d’ailleurs avec bonne grâce que le résultat n’a pas répondu complètement à ses désirs. Quand on lui parle aujourd’hui des Cloches en la Nuit, il répond volontiers avec cet air détaché de toutes choses qui le caractérise :
- « Peuh ! je ferais mieux ! »
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Son volume de début ouvrit à M. Retté les revues qui combattaient alors pour l’esthétique nouvelle. A la seconde Vogue, dirigée par Gustave Kahn, il fit, en qualité de secrétaire de rédaction, un passage remarquable à côté de MM. Fénéon, Adam, H. de Régnier, Albert St-Paul… Il y révéla de longs fragments de la Forêt bruissante, un poème de plus de mille vers, qu’une conscience artistique trop sévèrement hautaine lui ordonna depuis de jeter au feu.
La Wallonie a publié aussi nombre de ses productions. L’an dernier, elle lui consacra tout un numéro, aujourd’hui introuvable, où se rencontrent quelques morceaux de Thulé des Brumes, une nouvelle œuvre, en prose, que la Bibliothèque artistique et littéraire va publier sous peu. On lisait dans le même fascicule, un superbe poème : Soir Trinitaire, où, en une forme absolue, chantent des phrases mystérieuses d’un ésotérisme transcendant que le peintre Maurice Denis a merveilleusement exprimé dans un tableau exposé aujourd’hui à St-Germain.
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Thulé des Brumes n’a pas, à ma connaissance, son équivalent parmi les langues latines ou germaniques. C’est véritablement l’expression la plus parfaite de la littérature exaspérée. Sa prose, d’un éblouissement et d’une phosphorescence sans exemple, avec des langueurs et des violences inimaginables, y donne à chaque instant l’illusion du vers, tout en maintenant rigoureusement sa qualité de prose. Le style a partout la fièvre, et souvent la fièvre chaude. C’est, comme le concept du livre, une création superbement monstrueuse, qui use et abuse de toutes les ressources de la musique et de la poésie.
L’ordonnance de Thulé des Brumes est encore wagnérienne, mais, cette fois, les principales incarnations de la pensée ont chacune une allure, un costume, un langage personnels, et, lorsque elles entrent en scène, c’est toujours pour le triomphe d’une fantasmagorique diversité.
Une analyse de l’œuvre est impossible : à peine est-il permis de traduire vaguement les sensations qu’on éprouve à lire M. Retté.
Entre un prestigieux prologue et un mélancolique épilogue en vers, apparaît l’empire du rêve puis s’efface Thulé des Brume, site enchanté qu’émane, pour y vivre ou y mourir un peu, une âme en tristesse. Les causes, surtout passionnelles, de cette tristesse et les effets qu’elle engendre sont exprimés par un long cortège de visions – dirai-je d’hallucinations ? – symboliques : féeries ruisselantes de lumière, qui aveugle ; drames joués dans la nuit par des fantômes d’ombre ; orient fastueux, d’une volupté âcre et navrée, où le sadisme flamboie en rubacelles de sang… et, venus on ne sait d’où, des princes charmants, des pauvres sinistres… mille marionnettes effarantes, aux gestes falots.
Faut-il croire que l’auteur a écrit parfois sous l’empire d’excitants terribles, décuplant la puissance créatrice du sentiment passionnel qui l’a envahi ? Est-il permis d’affirmer la domination d’herbes magiques, telles que le haschich, dans certains spectacles qui semble l’avoir plus spécialement hanté ? – Il serait difficile de se prononcer, et cependant, si l’on voulait bien étudier Thulé des Brumes, aux seules lumières de l’occultisme, peut-être y découvrirait-on les traces d’une véritable possession.
Il est inutile, après cet aperçu bien imparfait, de proclamer la nouveauté absolue de l’œuvre de M. Retté, et d’insister davantage. Tout ce que je pourrais ajouter n’apprendrait rien de plus au lecteur. Je l’avertis simplement, pour finir, que Thulé des Brumes est, en vérité, le grimoire évocateur d’un monde captivant et terrifiant, mais avide d’âmes, qu’ont exploré à peine de rares adeptes, et dont plusieurs ne sont pas revenus.
Edouard Dubus, La Plume, N° 59, 1er octobre 1891.
Edouard Dubus par Laurent Tailhade.
Une seringue de Pravaz, recueillie dans sa poche, ainsi que deux fioles contenant quelques gouttes d'une liqueur amère, donnaient la plus grande vraisemblance à l'hypothèse d'un suicide manqué.
Admis à l'hôpital sans que rien ne dévoilât son identité, l'agonisant de la place Maubert, expirait deux jours après. Il ne s'était point éveillé de la torpeur comateuse ; il n'avait pu fournir, avant l'heure suprême, aucun indice propre à désigner les siens.Dans l'amphithéâtre, la table de dissection attendait sa dépouille, parmi cette foule anonyme de cadavres qui, chaque jour, paient à la Science future une rançon de "chair à faire pauvreté".
Par bonheur, M. Jean Court, rédacteur au Mercure de France en même temps que secrétaire de police pour le quartier du Panthéon, apprenait la mort du suicide présumé.Le signalement rendu par les subalternes qui, dès la vespasienne de la Maub, avaient donné les premiers soins au malheureux, quelques indices dont le plus caractéristique, sans doute, fut l'outillage du morphinomane trouvé sur le défunt, éveillèrent les soupçons de M. Jean Court. Ce personnage mystérieux dont les jours s'achevaient d'une manière à la fois si triviale et si pathétique, n'était-ce point un confrère, un artiste faisant gloire de s'adonner à l'opium, au hachisch, à la cocaïne, sans préjudice de l'alcool et autres vulgaires excitants ?
M. Jean Court ne s'était pas trompé. Couché sur le marbre hideux, il eut vite fait de reconnaître son collaborateur au Mercure, son ancien ami, le poète Edouard Dubus, mort en la trente-deuxième année de son âge, emporté par la tuberculose, qu'aggravait sinistrement cette bizarre hygiène de poisons.
Les plus intimes du défunt, M. Alfred Vallette, directeur du Mercure de France, M. Georges Desplas, ancien président du Conseil municipal, communiquèrent en grande hâte à la mère d'Edouard Dubus le trépas misérable de son fils. Pour dérober le cadavre aux hommages posthumes, Mme Dubus qui, pareille à la mégère de Bénédiction, nourrissait contre l'enfant de ses entrailles, une haine hystérique, fit enlever nuitament ses restes de l'amphithéâtre, si bien M. Dubus le père, non plus que ses deux filles, ne durent assister aux obsèques du malheureux garçon. Le souvenir des coeurs amis, seul accompagna au cimetière la dépouille de l'abandonné qui, par l'ironique hasard de son méchant destin, venait d'être appelé à un héritage suffisant à l'exempter pour toujours des chaînes de la pauvreté.
Un volume de vers au titre gracieux : Quand les violons sont parti, quelques rimes posthumes que l'on trouvera dans le présent recueil, forment, avec Les vrais sous-offs, brochure de circonstance publiée chez l'éditeur Savine, à la remorque de M. Lucien Descaves, tout le bagage imprimé d'Edouard Dubus. Malgré l'influence évidente de Mallarmé, de Baudelaire, de Verlaine et de Charles Cros (Complainte pour Don Juan, Cavalier Spleen), malgré des réminiscences et des emprunts candides, la joliesse des oeuvrettes que M. A. Messein réunit fort à propos en un tome définitif, défendra de l'oubli ce poète nonchalant et délicat.
Avec son visage lunaire de Pierrot tuberculeux, sa bouche au rire enfantin, avec ses yeux gris de myope dont le regard ne peut embrasser le contour des choses, Dubus fut, malgré son esprit si fin, l'homme du monde le mieux organisé pour donner dans tous les panneaux tendus à sa crédulité. Ce fut un disciple, se conformant avec docilité aux Idoles du Maître, à qui le premier venu montrait la lune dans un sac et faisait prendre, non pour des lanternes, mais pour de reluisants soleils les plus abjectes vessies. Boulangisme, occultisme, symbolisme, perversité, Dubus adopta sans fatigue les calembredaines à la mode chez ses contemporains. De notre temps, il eût été malthusien ou silloniste, peut-être l'un et l'autre, car le besoin "d'imiter pour être original" lui conférait un éclectisme singulier.
La seringue trouvée sur lui à l'heure de sa mort ne le quittait pas depuis longtemps. Par esprit d'imitation, il buvait de l'absinthe comme Verlaine, il s'injectait de la morphine comme Guaïta. La "noire idole" de Quincey l'avait réduit en esclavage. Cette morne luxure des poisons où roule notre siècle d'hypocrisie et de douleur avait conquis cet enfant anémique, de sang trop pauvre pour lutter contre l'opium. Une fois conclu, le pacte diabolique, la victime ne se peut plus dédire sans un effort peu commun de volonté. Quiconque, au mépris de sa dignité, de son intelligence, voulut un soir goûter aux plantes endormeuses, engage sa vie à de rudes expiations, encourt la chance effroyable de ne voir jamais sa peine remise ou atténuée.Pourtant, ces herbes maudites du rêve et de la paresse ont adouci dans
l'infini bercement du loisir embaumé
tant de maux étendus sur le poète malade que sa mère abandonna ? "La vie - disait Chamfort - est un mal dont le sommeil repose toutes les seize heures. C'est un palliatif. La mort est le remède."Vous le savourez désormais, ce remède efficace, ami que nous déplorons encore. Ce n'est plus l'ivresse temporaire mais le sommeil infini qui vous délasse du mal d'avoir été, cependant que le souvenir de votre âme exquise, et les vers de vos jeunes saisons refleurissent perpétuellement votre image dans l'esprit, dans le coeur de ceux qui vous ont aimé.
Préface de Laurent Tailhade à
Quand les Violons sont partis. Vers posthumes.
Librairie Vanier, A. Messein Succr, 1905
Bibliographie de Francis-Vielé-Griffin jusqu’en 1900
Cueille d'avril. Paris, L. Vanier, 1886, In-16, 63 p
Les Cygnes, poésies, 1885-86. Paris, Alcan-Lévy, [1887], In-16, 139 p.
Les Cygnes : nouveaux poèmes : 1890-91. Paris, L. Vanier, 1892, 107 p., 20 cm
Ancaeus, poème dramatique. 1885-87. Paris, Vanier, 1888, In-16, 93 p., addendum.
Joies, poèmes (1888-1889). Paris : Tresse et Stock, 1889, In-16, 139 p.
Diptyque. Paris, impr. de A.-M. Beaudelot, 1891, In-16, 39 p. L'achevé d'imprimer porte «pour le compte des Entretiens politiques et littéraires».
La Chevauchée d'Yeldis et autres poèmes (1892). Paris : L. Vanier, 1893, In-18, 100 p.
Ǽ ÆÞ [Corinne de Tanagra. Myrtis d'Anthédon. Lassos d'Hermione] Paris, édition du "Mercure de France", 1894, 69 p. ; In-16
Poèmes et poésies. Cueille d'avril. Joies. Les Cygnes. Fleurs du chemin et chansons de la route. La Chevauchée d'Yeldis... augmentés de plusieurs poèmes. Paris, Mercure de France, 1895, 324 pp., in-16
Albert Mockel. Émile Verhaeren, avec une note biographique par Francis Vielé-Griffin. Paris, Édition du ″Mercure de France″, 1895, In-12, 72 p.
La Clarté de vie. Chansons à l'ombre. Au gré de l'heure. ″In memoriam″. En Arcadie. Paris, Société du Mercure de France, 1897, In-12, 233 p.
Phocas le jardinier, précédé de Swanhilde, Ancaeus, les Fiançailles d'Euphrosine. Paris, Société du Mercure de France, 1898, In-18, 229 p.
″La Partenza″. Étampes, impr. de C. Enard, 1899, In-16, 29 p. Hors commerce. - Publié dans ″L'Ermitage″, vol. I, janvier-juin 1899
La Légende ailée de Wieland le forgeron. Paris, Société du Mercure de France, 1900, In-8, 123 p.
Traduction :
Swinburne, Algernon Charles : ″Laus Veneris″, traduit par Francis Vielé-Griffin. Paris, édition du Mercure de France, 1895, In-24, 107 p.