Lorsque j’étais ado et tourmentée (à juste titre) par mon apparence lunetteuse, boutonneuse et boulotteuse, je me rappelle avoir posé la question suivante ma mère :
- Maman, si on est parfaitement habillée, coiffée et maquillée, ce n’est pas très grave d’avoir cinq kilos en trop, si ?
Ma mère, devinant comme seules les mamans savent le faire toute la portée de ma question, sut trouver les mots pour me réconforter :
- Bien sûr que non, ma chérie. C’est bien plus important de soigner son apparence.
Je ne sais pas par quel miracle je pensais que la puberté allait me faire m’intéresser à la mode, sans parler de « soigner mon apparence » ; j’avais simplement déjà dû abandonner l’espoir qu’elle me transforme en sylphide. Sans surprise, je suis tout bonnement devenue une jeune femme moins lunetteuse, moins boutonneuse et moins boulotteuse que ne l’était l’Eva in London adolescente. Mais entre l’option « perdre cinq kilos » et l’option « être parfaitement habillée, coiffée et maquillée », je n’ai jamais sérieusement envisagé ni l’une ni l’autre. Au fil du temps, je me suis plus ou moins bien accomodée de mon imperfection voluptueuse, un peu comme on s’habitue à une ampoule grillée à la cave : en se disant de temps en temps qu’il faudrait la changer, et en oubliant généralement aussitôt.
Mais ces derniers temps, mariage oblige, mes kilos en trop se rappellent à mon bon souvenir. J’ai donc décidé de « faire attention » à l’aide du plan Vigikilos, niveau écarlate (menace certaine). Je m’enorgueillis déjà de tout le bon sens dont je vais faire preuve, moi – sous-entendu : pas comme toutes ces mijaurées « au régime » qui déclarent après une tranche de jambon découenné qu’elles ne peuvent plus rien avaler.
Enfin, régime ou pas, une journée où je fais attention se distingue aisément d’une journée habituelle :
- 7h : levée une demi-heure plus tôt que d’ordinaire, je suis d’ores et déjà de mauvaise humeur. Pourquoi suis-je si matinale ? C’est que, pleine de bonne volonté, j’ai décidé de remplacer mon petit déjeuner à base de sucre (céréales, lait, pain, beurre, confiture, miel – parce que chez Eva in London, on ne lésine pas sur le premier repas de la journée : c’est bien céréales ET pain, confiture ET miel, et même chocolat les jours de grande déprime) par un petit déjeuner à base de protéines : deux œufs. J’ai beau abhorrer le salé le matin, je me félicite de ce changement nutritionnel salutaire. Tiens, et pour faire les choses dans les règles, j’ajoute même un fruit. Allez, cette fois, je me fais plaisir, pas juste un petit kiwii ou une orange ; une mangue. Entière. Bon, c’est pas grave, ce sont des sucres naturels.
- 10h30 : j’ai faim. Ca, c’est comme d’habitude. Mais au lieu de trois Digestives au chocolat, je n’en mange que deux, et nature en plus. Bizarrement, ça ne me procure pas la même satisfaction.
- 10h45 : j’ai encore faim. Je me fais un thé pour me caler l’estomac. Les magazines l’affirment catégoriquement : « Souvent, lorsque vous croyez avoir faim, il s’agit en réalité d’un sentiment de soif. Dans ce cas, n’hésitez pas à boire un grand verre d’eau »
- 10h58 : je ne sais pas si j’avais soif, mais en tout cas, j’ai toujours faim. Mon estomac n’est donc pas dupe. Que faire ? Je décide d’attendre courageusement l’heure du déjeuner.
- 11h59 : je bondis de ma chaise pour aller me chercher un plat cuisiné. Ah non, c’est vrai, je me suis fait une salade. Mais, comme je ne suis pas au régime, c’est une salade de pâtes, avec des protéines, des légumes, et tout et tout. J’en ai fait beaucoup, mais c’est parce qu’il paraît que pour maigrir du-ra-ble-ment, il ne faut pas avoir faim. Ca tombe bien, parce qu’affamée comme je suis, je termine sans problème mon tupperware géant. La route de l’enfer est pavée de bonnes intentions.
- 12h30 : où est la dose de chocolat indispensable à mon équilibre mental, si ce n’est nutritionnel ? J’ai dû oublier d’en apporter de la maison. Mais je possède une volonté de fer. Oui, je peux me passer de chocolat aujourd’hui ce midi.
- 12h39 : oubliée, ma volonté de fer. L’obsession du chocolat a envahi tout mon esprit au point de me faire perdre toute concentration sur des bases de données de salaire pourtant fascinantes. A peine consciente de me lever, je me dirige comme inexorablement vers le distributeur de bonbons. Et, raisonné-je, si je me contente d’un demi-Twix et que je résiste à l’appel de la deuxième de barre de biscuit et de caramel enrobée de chocolat, mais je m’égare, eh bien, ce sera toujours la moitié de mon quota quotidien.
- 16h : la faim me tenaille à nouveau. Heureusement, je débusque au fond d’un tiroir un sachet de fruits secs. Et un autre thé, parce que « souvent, lorsque vous croyez avoir faim, il s’agit en réalité d’un sentiment de soif, etc.». L’honneur est sauf.
- 19h : je presse Prince de rentrer à la maison. J’ai faim, pour changer. A mon troisième mail en dix minutes, il semble enfin saisir tout l’impératif de la situation et arrête de faire le banquier pour la journée.
- 19h35 : j’ai à peine salué Prince à son retour, mais l’essentiel est accompli. Nous sommes à table. Conformément à mes bonnes résolutions – petit déjeuner pas salé mais copieux, déjeuner équilibré avec un peu de chocolat mais pas trop, en-cas sains et nutritifs – mon dîner est léger. Ben oui, parce que si je veux maigrir, je ne peux pas passer mon temps à manger, non plus. Au menu, donc : soupe de légumes maison et… une tranche de jambon découenné. Et un yaourt nature. Et un mi-nu-scule bout de chocolat.
- 23h : décidément, rien ne semble apaiser mon appétit. Sans conviction, je me répète « Souvent, lorsque vous croyez avoir faim, il s’agit en réalité, etc. » et me prépare une tisane avant d’aller dormir, quelque peu abattue par cette étrange journée. J’ai l’impression de ne jamais avoir autant mangé (c’est vrai) tout en n’ayant jamais été aussi frustrée (c’est vrai aussi).
- 3h30 : une fringale d’une intensité rare me force à émerger soudainement des bras de Morphée. Je m’interroge : si je me lève pour déguster « un tout petit peu » de mon en-cas nocturne favori, un bol de céréales détrempées dans du lait, Prince se réveillera-t-il en me maudissant ? La réponse ne se fait pas attendre : c’est oui. Mais au moins, je n’ai plus ni faim, ni soif, et me rendors du sommeil du juste.
Il paraît que dans un régime – zut, j’avais oublié que je n’étais pas au régime, je « fais attention » – les trois premiers jours sont les plus difficiles. C’est faux : le reste de la semaine est à l’avenant. Mon moral plonge, mon jean est toujours aussi serré (en vertu du principe « si j’achète une taille au-dessus je la remplirai illico, cela fait un an et demi que je refuse d’investir dans un jean neuf) et Prince se montre de plus en plus agacé de vivre avec une Eva in London plus agitée, mais guère plus mince.
Pourtant, je tiens bon : toujours en vertu du bon sens, je ne mange qu’une petite part de gâteau au chocolat au dîner d’anniversaire de ma meilleure amie, je continue à bien petit déjeuner (même si les œufs sont passés à la trappe dès le mardi) et je ne m’affame pas. Et surtout, je ne me pèse pas : les experts sont formels, le poids varie parfois considérablement d’un jour à l’autre. Autant ne pas me laisser perturber par ces petites fluctuations.
Enfin arrive le lundi, et avec lui, le droit de me peser pour tirer le bilan de cette semaine.
Eh bien, il n’y a pas de mystère : les dîners légers et les en-cas en quantité raisonnable ont fait leur effet. Enfin, surtout les en-cas. Bilan du plan Vigikilos : un kilo et demi en plus.
Désemparée face à cet échec retentissant, j’envisage de passer au niveau supérieur du plan Vigikilos, avant de me souvenir qu’hélas, il n’y en a pas. Peut-être ma solution, certes astucieuse et séduisante, de mettre bout à bout le « best of » de chaque régime – petit déjeuner copieux, en-cas gourmands, déjeuner très très équilibré, pas de privation de chocolat, manger de tout, pas besoin de faire de sport – n’est-elle pas tout à fait au point.
Il va donc me falloir adopter une stratégie différente… mais laquelle ?