TOURISTES de l'UNIVERS - CHAPITRE VII

Publié le 29 avril 2011 par Abarguillet


- Lors de notre dernière discussion, dis-je à Simon et Minouchka, nous en étions rendus à ce moment merveilleux entre tous dans l’histoire de l’univers où, un à deux milliards d’années après le Big Bang, sont apparues les premières étoiles. L’univers qui, à ses débuts, était dans un état de désorganisation totale et de grande et plate uniformité, a fini par mettre de l’ordre dans le désordre et de se donner d’étonnantes structures. Il en était même rendu à fabriquer des étoiles. Il a donc fallu constater que notre bonhomme univers était engagé dans un processus d’évolution, une marche vers la complexité. C’est alors que vous m’avez posé cette fort judicieuse question : «Où donc s’en va-t-il cet immense et mystérieux bonhomme ?».
Reprenons donc l’histoire, si vous le voulez, depuis le moment où sont apparues les premières étoiles.
Ces étoiles, on s’en souvient, ont surgi d’immenses nuages de gaz et de poussières disséminées dans l’univers et qui faisaient office de pouponnières d’étoiles.[i]
Avec le temps, ces nuages se sont compactés sous l’effet de la gravitation avec le résultat qu’ils se sont réchauffés au point de prendre feu. C’est ainsi qu’ont surgi, ici et là, des étoiles qui étaient de petites loupiotes dans l’immensité d’un univers qui, en gonflant, s’était presque complètement obscurci.[ii] «Petites loupiotes», est une façon de dire car, en fait, l’univers devait bien être découragé d’enfanter ces bébés joufflus qu’étaient les premières étoiles. Les poupons étaient des étoiles géantes, jusqu’à cent à mille fois la masse du soleil et de un à trente millions de fois sa luminosité.
- Quoi ? s’exclama aussitôt Minouchka. Trente millions de fois la luminosité du soleil !
- Eh bien, ma cocotte, lui répliqua affectueusement Simon, pas question de séance à la plage dans les environs de ces fourneaux, n’est-ce pas ?
Je les laissai rigoler un moment puis poursuivis :
- Mais, devant l’immensité de la mère univers dont ces étoiles ont jailli, celles-ci, comme je l’ai dit, ne faisaient figure que de petites ampoules. Fragiles au surplus car vous savez comment sont les gros, n’est-ce pas : beaux comme les enfants du peintre Raphaël, ils s’empiffrent et meurent jeunes. Eh bien, c’est ce qui est arrivé à nos bébés joufflus : après avoir englouti leurs immenses réserves d’hydrogène et d’hélium fabriqués à la naissance de l’univers et les avoir mâchouillées sans retenue, ils ont gonflé démesurément et, comme la grenouille de La Fontaine, ils ont pété dans d’inimaginables explosions (que les hommes de science appellent «supernovae»[iii])…après quelques millions d’années (ce qui est relativement jeune si on les compare à notre soleil dont la vie s’étire sur près de dix milliards d’années).
Il faut dire que, en digérant, ces bébés étoiles avaient combiné leurs réserves d’hydrogène et d’hélium pour en faire la panoplie complète des quatre-vingt-un éléments chimiques stables dont la nature se sert pour fabriquer la complexité et la beauté du monde. Mais, pour arriver à cette fin, ce n’est pas tout de fabriquer ces éléments, il fallait dès lors en ensemencer l’univers. C’est là qu’interviennent les supernovae : en explosant, ils projetèrent dans l’espace interstellaire tous ces nouveaux éléments issus de la cuisson stellaire et ensemencèrent ainsi l’univers qui ne connaissait rien de cette nouvelle pâture.
On venait de franchir là un pas de plus vers la complexité, vers l’épanouissement de l’univers. L’immonde désorganisation initiale prenait graduellement forme. La pâte levait. Le petit pétard du début («l’atome primitif» comme l’appelait Georges Lemaître), avait connu une expansion formidable, s’était lancé dans une guerre à finir (matière/antimatière), avait laissé filtrer des rayons de lumière dans l’opacité du départ et avait éparpillé quelques nuages de gaz et de poussières dans cet univers en expansion. Puis, en se compactant, ces nuages avaient généré des étoiles. Et voilà que maintenant, on ensemençait l’univers d’une multitude de nouveaux éléments !
Dieu soit loué ! Allah est grand ! Alléluia ! Je vous laisse le choix de l’exclamation car rien de mieux ne pouvait nous arriver, pour faire surgir la vie un jour, que cette multitude de nouveaux éléments projetés dans l’espace. Sans eux, Niet ! Nous ne serions même pas là pour en parler.
Il ne faut pas croire pour autant que la naissance d’une étoile est un phénomène isolé. La «mise à feu» d’une étoile produit une onde de choc dans le nuage qui l’enveloppe et cette onde compresse son enveloppe nuageuse au point d’en faire surgir de nouvelles étoiles qui, si elles ont une masse suffisamment importante, éclateront pour, à leur tour, ensemencer l’univers de nouveaux éléments.
C’est ainsi que l’on peut dire que les étoiles naissent de réactions en chaîne et qu’une étoile ne naît jamais seule. Et, une fois nées, les étoiles ne restent jamais seules non plus : effrayées, peut-on dire, de vivre dans la noirceur, elles se regroupent en d’immenses troupeaux contenant des milliards d’étoiles et qu’on appelle galaxies. Et voilà un autre pas de plus : l’univers construit des galaxies.
Il ne faudrait pas croire non plus que l’univers donne naissance à des enfants tous semblables. L’univers est comme un innombrable bestiaire, une immense arche de Noé : étoiles géantes qui vivent à peine quelques millions d’années, naines blanches qui résultent de la mort d’étoiles autrefois flamboyantes, étoiles à neutrons dont la matière est si compactée qu’une cuillerée pèse des tonnes, pulsars lancés dans des pirouettes effrénées, trous noirs qui avalent les malheureuses qui osent s’en approcher, etc., etc. Nous y reviendrons.
Contentons-nous pour le moment de dire que la pléiade d’étoiles, de galaxies et de nébuleuses que nous révèle le télescope Hubble est d’une fabuleuse beauté.
Et, pour en revenir à notre question de départ : « Jusqu’où donc s’en va-t-il cet immense et mystérieux bonhomme qu’est notre univers? », bien malin celui qui pourrait y répondre. Force nous est à tout le moins de constater qu’il n’est pas figé, qu’il se développe en devenant de plus en plus complexe. Qu’il est animé, dirait-on, d’une vie propre.
Certains appellent Dieu cet animateur et voient ce Dieu comme un puissant personnage installé dans un paradis d’où il tirerait les ficelles. Rien ne se passerait sans son intervention, aussi bien la création que l’évolution des êtres et des choses. On pourrait même communiquer avec lui et il nous entendrait, exauçant ou non nos vœux selon son bon vouloir.
D’autres croient que le monde s’est créé tout seul et pensent comme le mathématicien et astronome Pierre-Simon Laplace qui avait présenté à Napoléon sa vision du monde. Lorsque celui-ci lui dit "Comment, vous faites tout le système du monde, vous donnez les lois de toute la création et dans tout votre livre vous ne parlez pas une seule fois de l'existence de Dieu !" Laplace lui répondit: “ Sire, je n’ai pas besoin de cette hypothèse
C’est leur affaire à ces gens de penser ce qu’ils veulent. Pour notre part, nous continuerons à suivre le développement de l’univers. Peut-être alors pourrons-nous risquer notre propre théorie ?
Minouchka et Simon me regardaient, l’air perplexe.
Si vous avez toujours le goût de m’accompagner, leur dis-je, nous ferons un autre bout de route la prochaine fois.
Jean MARCOUX
[i] Lorsqu’on parle de l’univers, les unités de grandeur sont tout à fait relatives. Donc, ces «immenses nuages» sont de bien petites touffes de poussières si on les compare à l’immensité de l’univers alors en voie d’expansion.
[ii] Il faut dire ici que lorsque les véhicules de lumière que sont les photons ont réussi (380 000 ans après le Big Bang) à percer la gangue obscure de l’univers primordial, le ciel est devenu momentanément blanc à pleine grandeur mais qu’il s’est presque aussitôt obscurci en se dilatant de façon effrénée et en laissant ainsi d’énormes distances entre les poches de gaz et de poussières disséminées dans l’univers en voie d’expansion.
[iii] Toutefois, les plus massives de ces étoiles (appelées supernovae de type II) se convertissent en étoiles à neutrons ou en d’effrayants trous noirs dont nous parlerons plus tard.

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