Magazine Humeur

Le dépasseur de bornes

Publié le 29 avril 2011 par Jlhuss

“Une fois les bornes franchies, il n’y a plus de limites” …

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Les bornes se caractérisent par leur faible mobilité. Quoi de plus simple, en apparence, que de les dépasser ! Pourtant ce sport n’est pas à la portée de n’importe qui. Il faut, pour le pratiquer, posséder une parfaite maîtrise de la bornologie, science qui ne s’acquiert pas en un jour.
Il y a, en effet, borne et borne et l’on se doit de choisir avec soin celles qu’on veut dépasser si l’on souhaite retirer de l’expérience un quelconque profit. Telle borne, jusque là anodine, vous vaudra si vous la franchissez, le  pilori médiatique en attendant une mise en examen pour infraction au politiquement correct, telle autre, dont le dépassement vous aurait, jadis, valu de finir en chemise et la corde au cou, a non seulement perdu toute dangerosité, mais peut vous apporter honneur, gloire et richesse.

Parmi les bornes de cette dernière variété, les plus rentables, et de loin, sont celles qui délimitaient au temps passé le territoire de l’art académique. Elles ont été franchies avec allégresse, talent et, parfois, génie, au début du siècle dernier. Hélas, trois fois hélas, l’aphorisme attribué à feu le Président Pompidou selon lequel : une fois les bornes franchies, il n’y a plus de limites s’est révélé redoutablement exact. De modernes plasticiens (1) ne craignent pas d’exposer et de vendre des productions dont il n’est pas injurieux de dire que c’est de la merde puisque c’en est réellement. D’autres, plus éthérés mais pas moins audacieux, ont choisi, à l’enseigne du minimalisme conceptuel, de débiter du rien. Preuve évidente que la finance internationale n’a pas le monopole des produits pourris et de l’escroquerie de haut vol, ces objets (le terme d’œuvre serait impropre) sont cotées dans des catalogues de galeristes à des prix qui mettent leur acquisition très largement hors de la portée de l’individu moyen.

Villepin sans vergogne

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Comment en est-on arrivé là ? Une anecdote peu originale, mais récente, est de nature à éclairer le processus. La semaine passée, au Grand Journal de Canal +, Dominique de Villepin était invité à réagir aux manifestations déclenchées en Avignon par  l’exposition de « Piss Christ » une photo du Christ plongée dans un bain d’urine et de sang. Secouant sa crinière aussi poétique qu’argentée, l’ancien premier ministre régala l’auditoire d’une tirade enflammée d’où il résultait que l’artiste, justement parce qu’il était artiste, avait tous les droits, que nulle barrière, surtout morale, ne pouvait être opposée à sa créativité. Bref, il alla si loin que Jean-Michel Apathie, sidéré par ce déchaînement romantico-libertarien, se permit de faire timidement observer que la liberté d’expression d’un individu, fut-il génial, s’arrête peut-être où commence celle des autres. En deux phrases, Villepin l’écrasa de son mépris puis il conclut en affirmant, à peu près, qu’en matière d’art contemporain le public n’a qu’un droit : se taire, admirer et payer.
Dire qu’il nous faut supporter des âneries de cette dimension parce que les ancêtres de Galouzot et de ses semblables, en même temps qu’ils plaçaient leurs économies en emprunts russes au lieu d’acheter des actions dans l’industrie automobile, ont préféré les Pompiers aux Impressionnistes. Leurs descendants ne regrettent pas, soyons en sûrs, que leurs aïeux soient passés à côté du génie, mais bien qu’ils aient manqué une bonne affaire. Les margoulins qui sévissent dans le commerce de l’art l’ont compris depuis longtemps. Ils exploitent sans vergogne le filon d’une culpabilité qui se renouvelle de génération en génération. Pourquoi s’en priveraient-ils ? Il ne s’agit, après tout, que de dépasser les bornes.

Chambolle

(1) « Plasticien » le terme est assez vague pour permettre à n’importe qui de s’intituler artiste sans savoir le moins du monde sculpter, peindre ou dessiner.


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