Par Jean-Paul Damaggio •
Cette myopie a eu pour conséquence une absence de riposte appropriée qui, de SOS racisme, à Ras l’Front, n’a pas réussi à contrer le soutien électoral au FN. Le seul succès en la matière a été remporté par Sarkozy en 2007 et les commentateurs en ont fait aussitôt un événement durable… qui pourtant ne pouvait l’être.
La dernière opération en cours est un sondage révélant l’actuel soutien ouvrier au FN et qui pendant deux jours a été matraqué sur les ondes. Ce sondage ne révèle rien à qui ouvre les yeux sur la réalité, mais répondre à cette manipulation par un déni du fait, c’est cautionner indirectement l’opération ! Alexis Corbières, défenseur de Mélenchon, aura été le plus emblématique pour défendre son parti. Chez lui est d’autres, le constate est le suivant : un vote FN annoncé comme important, va réduire le vote écolo, NPA ou Front de gauche, donc il faut à tout prix « calmer » les esprits, et attirer le regard ailleurs.
Depuis 1981, toutes les campagnes électorales présidentielles voient baisser les intentions de votes accordés à la gauche communiste ou alternative, et en 2012 à cause de l’appel au vote utile, et le talent de Mélenchon (ou d’autres) ne changera rien au phénomène. Même en 2002, la machine du vote utile a fonctionné à plein régime sans sauver Jospin, qui ne doit son échec qu’à la désastreuse politique de 1997 à 2002 (avec l’appui du PCF et des Verts).
Bref, inutile d’inviter le regard à se porter sur les abstentionnistes ouvriers pour minimiser le soutien apporté par cette couche sociale, au FN. Dans l’esprit de certains, il suffirait qu’un « bon » discours de gauche mobilise les abstentionnistes, et la victoire est au bout du chemin. Je me souviens d’un ami déclarant en réunion publique en mars 2007 : « Bové fera 10% car il a le soutien des abstentionnistes des cités qui ne sont pas comptés dans les sondages. » Bové comme tant d’autres était parti avec 4% dans les sondages et se trouva avec moins de 2 à l’arrivée (seul les sondages pour Besancenot restèrent fixes et ont correspondu au résultat).
La réalité du phénomène et ses conséquencesDepuis 1984 le FN a su surfer sur l’actualité : anti-communiste acharné en 1984 (pour rassembler un électorat qui n’avait pas digéré la présence de ministres communistes) il s’appuie aujourd’hui sur la crise, et propose des mesures sociales d’autant plus faciles qu’il n’aura pas à les mettre en œuvre. Marine Le Pen a pu s’imposer par le Nord de la France (où la crise industrielle et donc ouvrière est ancienne) quand son père s’imposa par la Provence, et les succès se cumulent, plus qu’ils ne s’opposent. D’un électorat né en partie de la guerre d’Algérie, on passe à un électorat né en partie de la guerre sociale. Et il me semble inutile de répondre que Le Pen est un milliardaire et les propositions FN de la poudre aux yeux. Depuis trente ans, ce slogan pourtant vrai a été sans résultat. Les électeurs retiennent autre chose : ce parti n’est pas dans le système politique, et comme le système politique a été totalement décevant… On peut tourner la question comme on veut, en 2012 le FN fera autour de 21%, ce qui ne signifie pas qu’il faille automatiquement s’aligner derrière le PS mais seulement réfléchir en fonction de cette donnée, y compris au PS (où le rêve d’un duel PS-FN au second tour doit en frapper plus d’un).
La question posée à la gauche comme aux Verts me paraît la suivante : « comment en finir avec le dégoût du politique ? ». Contrairement à ce que pense Alexis Corbières, les abstentionnistes ne sont pas à deux doigts de voter Front de Gauche grâce aux propositions sociales avancées, mais à deux doigts de voter FN, et de ce point de vue le second tour des élections cantonales 2011 est un signal d’alarme important. Dans les duels entre FN et droite, au moins 15% de l’électorat de gauche à préféré le FN ! (ce ne fut absolument pas le cas en 2002). Le phénomène abstention, comme le phénomène extrême-droite dépasse largement les frontières françaises car la crise du politique est profonde, globale et souvent dramatique. Pensez à la situation belge, italienne, portugaise ? Partout, que ce soit la gauche ou la droite qui gouverne, le peuple paie les pots cassés. Et le Front de Gauche ou les Ecolos sont inclus dans cette crise, car ils sont de fait des alliés de la gauche alors que le FN se présente toujours, seul contre tous.
Après l’espoir en la mort du chef pour entraîner la mort du FN, les mêmes espèrent qu’une arrivée aux affaires du FN serait le début de son déclin. Ce déclin ne viendra que d’une gauche capable de lancer, globalement et dans sa diversité, une opération de retour à la démocratie claire, propre et nette, et j’entends par démocratie une union d’un type nouveau entre le social et le politique. Le Front de Gauche, le NPA, les Ecolos comme le PS peuvent jouer leur rôle mais à condition que l’électeur ou l’électrice n’aient pas la sensation que les intérêts de parti dépassent les intérêts généraux. Au sein de la gauche alternative (au sens large) rappelons qu’en 2007 le parti phare fut le NPA qui a obtenu seul plus que la somme du PCF, de Bové, et de LO. Ce parti démontre qu’il ne court pas d’abord pour des « postes » mais pour des idées. Que les autres mouvements de gauche en fassent autant, y compris au PS, et l’avenir du FN s’assombrira. Malheureusement, et ce n’est pas le système des primaires qui est en cause, nous sommes loin du compte. Que le choix d’un bon candidat soit difficile dans tous les partis, sauf au FN, est naturel quand le politique devient surtout l’élection présiden-tielle et sa personnalisation. Malheureusement l’appel à la « démocratie » avec les primaires apparaît comme la recherche du candidat le plus « à la mode » des médias. Si les partis ont encore un sens, les membres se choisissent un responsable qui devient leur leader aux élections. Ce que fait le FN. Quand il y a une coalition de plusieurs partis, quelle solution ? Soit ils sont unis sérieusement et ils n’en forment qu’un, soit ils ne le sont pas et tentent chacun de présenter leur candidat. Le reste apparaît comme magouilles et compagnie : je te laisse une place à la présidentielle contre des centaines de place aux législatives, je te laisse une place à la présidentielle contre une place de premier ministre. D’un côté les primaires pour la façade, et de l’autre les couloirs pour les vrais décisions. Le FN a eu deux candidats à la tête du parti : celle qui l’emporta est la candidate à la présidentielle, c’est clair et net. Ce parti antidémocrate donne l’apparence de la démocratie !
Cette crise du politique dépasse la crise des organisations politiques. Au contraire, la crise des organisations (malgré la défiscalisation des adhésions) est le symptôme de la crise globale. Il s’agit par exemple, dans les campagnes électorales, de proposer des réformes en disant qui va les payer. Mélenchon de ce point de vue a tenté un discours courageux mais il ne faut pas viser juste sur un point, et taper en touche sur un autre.
Même avec un éventuel 21%, si on compare avec 2007, Marine Le Pen n’aurait aucune chance d’être au second tour. Le refus populaire des deux grands partis, PS et UMP, est un constat que seuls ces partis peuvent changer. Avant de montrer du doigt l’autre, finiront-ils par se regarder dans la glace ? J’en doute beaucoup plus que de la montée du FN. Tant que les ingrédients qui permettent à Le Pen d’entendre des voix chaque 1er mai resteront en place, sa récolte sera évidente. Et ces ingrédients tournent autour d’un fait : le refus à gauche, de voir la réalité en face, la réalité en France, pour mieux se rassurer ou s’illusionner. En Midi-Pyrénées, Louis Aliot débarqua aux Régionales de 2004 ; l’évolution du FN (sa capacité à renouer des liens avec les classes populaires) fut largement visible après l’époque classique de Bernard Antony. L’évolution de la riposte fut par contre invisible.
27-04-2011 Jean-Paul Damaggio