Il convient de saluer un travail transversal d’envergure, qui a mobilisé l’ensemble du collège des Commissaires, huit d’entre eux étant plus particulièrement concernés par les opérations de mise en œuvre qui vont maintenant commencer. Face à une opinion renfrognée et souvent sceptique, Michel Barnier se souvient de l’échec de la stratégie de Lisbonne, largement dû au fait qu’intentions et incantations ne valent pas un bon programme d’action. Il ne verse donc pas dans la rhétorique, qui serait hors de propos dans ces périodes difficiles, mais se veut très concret et pragmatique, au risque de décevoir ceux qui trouvent ses propositions somme toute assez banales.
Une deuxième étape vient donc d’être franchie, après celle d’octobre dernier. Mais, maintenant que l’architecte a établi ses plans et les a présentés à ses « clients », c’est-à-dire aux Etats et à l’opinion, il est, si l’on peut dire, au pied du mur ! Et il ne faut pas sous-estimer ou escamoter les difficultés qu’il est susceptible de rencontrer, dans cinq domaines au moins.
Sur le fond, tout d’abord, Michel Barnier confirme que ce programme vise à permettre à l’Europe « de garder une base productive et de ne pas seulement être une terre de consommation ». Il estime aussi que ses propositions « doivent renforcer la dimension externe du marché intérieur ». L’objectif est louable, certes, mais, dans la démarche ainsi exposée, cette « dimension externe » est peu présente (sauf, peut-être, à travers l’avancée que constitue le brevet unifié et le rappel de la nécessité de lutter contre la contrefaçon) (*).
Or, c’est bien la pression exercée sur l’Europe par son environnement international qui est à la fois la cause et le révélateur de son déclin relatif car elle est confrontée à des puissances mondiales plus « massives », plus réactives, plus déterminées…et moins complexées. La compétitivité de l’Europe ne peut pas se décréter, elle doit se conquérir. Et, s’il est effectivement nécessaire de rendre l’Europe plus efficace à l’intérieur de ses frontières, des mesures visant à tenir davantage compte du comportement des autres grands acteurs de la scène économique mondiale auraient été les bienvenues. Gageons que la « grande oubliée » se rappellera, tôt ou tard, au bon souvenir des européens !
En matière de gouvernance, ensuite, les plans de Michel Barnier peuvent être contrariés par les courants qui agitent les co-législateurs. En effet, le Parlement européen a bien adopté, le 6 avril dernier, à une très large majorité, sa contribution, plutôt positive, à ce débat à travers l’adoption de trois rapports distincts. La semaine suivante, il a aussi réservé un bon accueil au « père » de l’Acte pour le Marché intérieur.
Mais les débats préalables ont été houleux, s’agissant notamment du volet social qui n’a pas vraiment convaincu l’aile gauche de l’institution.
Pour leur part, les Etats membres ont aussi des différences de vues en ce qui concerne la hiérarchie des priorités. Si l’Allemagne et la Belgique privilégient nettement tout ce qui peut contribuer à la croissance et à l’emploi, les Britanniques sont très réservés sur la clause sociale, la fiscalité des entreprises et la réciprocité dans les relations commerciales, ce qui est diamétralement opposé à la position française !
Une fois les objectifs exposés, il faut ensuite passer à l’élaboration des propositions réglementaires ou législatives, sans lesquelles aucune mise en œuvre effective n’est possible. Prudent, Michel Barnier a préféré évoquer des « chantiers », ce terme relativement large lui permettant de mettre en avant, au cas par cas, une « action-clé », en se réservant la possibilité de l’étoffer par le biais d’actions « complémentaires », qui « devraient bénéficier de l’élan créé par l’initiative-phare pour progresser, parfois en parallèle, parfois un peu plus lentement ». On voit bien, dès à présent, que le processus consistant à bâtir en parallèle ces 12 constructions, ainsi que leurs 60 dépendances, ne sera pas chose aisée. Développer des réseaux transeuropéens, simplifier l’environnement réglementaire des entreprises ou améliorer l’accès de celles-ci au financement, représentent par exemple de très vastes champs d’intervention, déjà abordés dans le passé. Ces chantiers ont certes progressé, mais non sans difficultés et sur le long terme.
Or le facteur temps est aussi à prendre en considération. Selon l’enquête citée par Michel Barnier lors de sa présentation devant les parlementaires de la Commission IMCO, les prévisions de croissance excluent la plupart des pays européens (excepté deux, dont probablement l’Allemagne) du top 10 des nations mondiales les plus importantes sur le plan économique en 2050. Il faut donc que l’Europe se mobilise significativement et rapidement ! Pour concilier nécessité stratégique et vision symbolique, l’échéance globale fixée est celle de la fin de l’année prochaine, qui coïncidera avec le 20° anniversaire de la concrétisation du projet de J. Delors. Les dix-huit prochains mois seront donc très lourds pour le « régénérateur du Marché intérieur ».
Enfin, malgré les efforts de communication déployés par Bruxelles pour que les citoyens s’approprient – à nouveau – ce Marché intérieur qui conditionne bien des aspects de leur vie quotidienne, ce projet reste désespérément confidentiel sur le plan national, en France notamment. Est-ce totalement imputable à la lassitude de l’opinion ? Certes, les citoyens doivent gérer les contraintes que la crise leur impose et ils sont désabusés vis-à-vis de l’Europe, qui peine à avancer collectivement. Pour autant, moins d’Europe ne ferait guère progresser leur situation, ramenant chaque Etat à son poids réel à l’échelle de la planète, ce qui conduirait inéluctablement à de saisissantes déconvenues ! C’est donc aux institutions européennes, mais aussi aux Etats membres et aux médias de toute nature, de prendre résolument en main cette valorisation, qui touche à l’essence même du fait européen. En l’espèce, il ne s’agit pas de publicité, mais bien de démocratie. Entretenir le flou et les contradictions ne peut-être que contre-productif pour tous. La crise bancaire a montré que c’est le citoyen qui paye in fine l’addition des errements de certains. Cette expérience amère devrait être méditée afin de ne pas être rééditée !