"L'Homme d'à côté " et "Medianeras" : voisins à Buenos Aires

Par Vierasouto

Par hasard, j'ai enchaîné deux projections de deux films argentins avec un point commun de taille : ces deux films  se passent à Buenos Aires et parlent de relations entre deux voisins qui se sont jamais rencontrés. Dans "L"Homme d'à côté", un architecte connu, habitant une maison classée, fait la connaissance de son voisin quand ce dernier décide de percer une fenêtre sans autorisation. Dans "Medianeras" (murs mitoyens") deux jeunes gens vivent chacun dans des tours mitoyennes dans la plus extrême solitude, rivés à leur ordinateur.

   "L'Homme d'à côté" de Mariano Cohn et  Gaston Duprat

Pitch.
Un architecte en vogue, habitant une maison dessinée par Le Corbusier, est réveillé un matin par des coups obsédants dans le mur : il semble qu'un voisin soit en train de percer un mur mitoyen...



photo Bodega

Comédie sociale acide, le film met en présence deux hommes issus de deux classes socio-professionnelles aux antipodes : le très chic designer Leonardo Kachanovsky qui a même créé une chaise qui porte son nom et habite une maison exceptionnelle construite par Le Corbusier dans le quartier de La Plata à Buenos Aires. Le charismatique Victor, beau parleur aux manières de truand qui habite la maison quasiment mitoyenne.
Le film commence par des coups, pendant le générique : un mur. Ce mur qu'on est en train de percer, ces coups de marteau, un couple couché l'entend dans son sommeil interrompu. Soudain, Leonardo Kachanovsky se rend compte que le voisin mitoyen, qu'il n'a jamais vu, est en train de percer le mur qui donne sur sa maison, affolé, il tente de faire valoir ses droits car le voisin, un certain Victor Chubello, n'a pas le droit de faire des modifications de façade sans son accord. On entre là dans les relations de voisinage universelles où le droit ne vaut pas grand chose en regard des conflits que l'application du droit pourrait susciter.

photo Bodega
Comédie sociale et humour grinçant mettant en opposition les préjugés et usages des deux classes sociales, la condescendance, le snobisme, la lâcheté, le courage : cette scène fameuse où Leonardo et un ami écoutent en s'extasiant des musiques modernes dissonnantes pas loin de rappeler le coups dans le mur de Victor... Dialogue de sourds, l'un parle architecture, l'autre veut du soleil, l'un parle de légalité, l'autre de bon sens. Lâcheté de Leonardo qui a l'autorité professionnelle au delà des frontières et aucune chez lui, sa femme lui répond mal, sa fille ne l'écoute pas. Courage de Victor qui n'a pas d'assise sociale mais des c... pour se faire respecter, lui et son Oncle Carlos, vieux monsieur autiste.
Maison construite autrefois en 1948 par le Corbusier pour un chirurgien, le docteur Pedro D. Curutichet, la "Maison Curutchet" est un personnage à part entière avec ses beautés et son absence se sens pratique, vouée au Dieu design, on ferme une porte d'entrée alors que tout le reste est ouvert, on monte et on descend sans cesse. Meublée/démeublée par Leonardo de meubles et objets design, chaises en altuglas, fauteuils boules obèses, espaces vides, la fenêtre "normale" de Victor, pire que l'ouverture dans le mur, aparaît à Leonardo comme monstrueusement laide et cheap.
Le cinéma argentin semble moins dépressif que par un passé proche, drôle, caustique, finement observés les rapports humains régis par les codes sociaux qui laisse encore un peu de place au facteur humain, le sous-titre du film "Le Voisin que Le Corbusier n'avait pas prévu" dit bien les choses : dans un univers élitiste dédié au design, dans des classes sociales privilégiées, coupées du monde réel, y a-t-il encore de la place pour des relations humaines? Ce conflit qu'il faut régler d'homme à homme par la volonté de Victor qui oblige Leonardo à se confronter physiquement à lui va laisser apparaître les failles de l'impuissance relationnelle d'un homme socialement puissant. Le film est d'autant plus réussi que la mise en scène en appelle à son sujet : l'architecture, épurée, géométrique, filmant les objets comme des oeuvres d'art, les visages comme le sentiments qu'ils expriment ou répriment. Un must à ne pas rater!

"Medianeras" de Gustavo TarretoPitch.
Dans des immeubles de Buenos Aires, Martin et Mariana sont cloîtrés chacun dans un petit appartement, fréquentant les mêmes lieux sans jamais se rencontrer, faire attention l'un à l'autre.

photo Jour 2 Fête
Buenos Aires, ville à l'architecture anarchique, tours et buildings de toutes les hauteurs, trois millions d'habitants que cette architecture moderne, deshumanisée, voue à ne jamais de rencontrer. Le film part du principe que dans chaque immeuble, il y a une façade inutile en béton, sans fenêtres. Ces murs mitoyens ou presque qui séparent deux immeubles quasiment contigus. Dans une tour, Martin, dans une autre tour, Mariana, le premier habite au 4ième étage, la seconde au 8ième étage. Cet enfermement dans chacun 40 m2, un palier sinistre, des voisins invisibles, pour seules visites, parfois, un postier et un paquet, engendre toutes sortes de névroses : Martin, phobique, a passé deux ans chez lui sans oser sortir. Depuis qu'il fréquente un psy, il peut sortir mais sous certaines conditions : ni en métro, ni en bus, encore moins en avion ou en train, mais seulement à pied. Pour conjurer l'angoisse, Martin transporte un sac trop lourd de près de 6kg empli de quantités d'objets de secours, ce qui ralentit la marche... Créateur de sites web, Martin ne se déplace vraiment que sur le net. Plaqué par sa fiancée, il a hérité d'un petit chien, à la fois compagnie et servitude. Marianna, elle-même seule et déprimée après une rupture amoureuse, architecte sans emploi, est employée à faire des vitrines de grands magasins la nuit où elle se sent à peu près aussi vivante que les mannequins en plastique qu'elle habille.
Contrairement au film précédent "L'Homme dà côté", sur le cas particulier d'un architecte, représentant une classe sociale privilégiée, habitant à Buenos Aires, "Medianeras" est un film sur la mégapole monstre  de Buenos Aires, la ville, abordée en tant qu'architecture géante générant ses maux et vice-versa : ces immeubles "cages à poules" ont été conçus, construits, par les mêmes hommes stressés que ceux qui y habitent. Le film démontre combien chacun habitant de ces tours se sent plus seul avec 50 voisins enfermés chez eux, comme lui, que s'il habitait seul à la campagne. Au passage, le film tacle les nouvelles technologies, arrimés à leurs ordinateurs, dans le confort de ne pas se montrer à l'extérieur, de se protéger de la réalité, les relations virtuelles on pris le relais sans pallier au sentiment panique de solitude, d'isolement. Dans ces conditons, cette fenêtre que vont tenter d'ouvrir Martin et Mariana dans leurs murs mitoyens (medianeras), commence par la fenêtre d'un site de chat sur le web, la communication virtuelle...
Le film est sympa, la description des névroses bien vue, lucidité, humour, style un peu BD, assez "jeune", mais dans sa construction, beaucoup de trous d'air pour passer de Martin à Mariana, pour surfer entre ces deux histoires en parallèles, on a souvent l'impression que le film est fini et ça repart... Beaucoup moins abouti que "L'Homme d'à côté" mais attachant, empathique, très parlant pour un habitant d'une grande ville. Premier long-métrage d'un réalisateur argentin, Gustavo Taretto, "Medianeras" avait été sélectionné dans le section Panorama du  61° festival de Berlin.