Comment résister, en effet, à un double programme dédié à Steven Seagal dans ce temple de la cinéphilie qu’est la Cinémathèque Française ? L’occasion est trop rare et jouissive pour manquer un tel évènement ! Vendredi dernier donc, l’ex-star du cinéma d’action des années 90, depuis reléguée au marché vidéo, était la star de la Cinémathèque Française. A juste titre, Jean-François Rauger, directeur de la programmation de la Cinémathèque et notamment des soirées Bis, nous annonçait en préambule des projections qu’il s’agissait là certainement de la première fois que l’homme au catogan voyait ses films montrés dans ce haut lieu cinéphile de la capitale parisienne. Rauger nous dégoûtait même en nous révélant qu’il s’en était fallu de peu que Seagal ait été présent à la soirée. Dingue, n’est-ce pas ? Tant pis.
Il n’était nul besoin de la présence du fameux interprète de Casey Ryback (« Vous êtes qui vous, un genre d’agent des forces spécial ? - Nan moi j’suis le cuistot ») pour mettre le feu à la grande salle de la Cinémathèque vendredi soir. Les deux films s’en sont chargés d’eux-mêmes.
Désigné pour mourir, c’est un peu l’archétype parfait du film d’action américain des années 80/90 : de la castagne bien saignante, des dialogues souvent hilarants, des personnages forcés, et une bonne ambiance bien réac’. Bref une jubilation intense pour amateur de nanars. Les copies que la Cinémathèque nous a présenté auraient pu passer pour neuves, Jean-François Rauger soulignant à juste titre qu’à l’époque, ce genre de film ne tournait pas beaucoup en VOST dans les salles françaises, or les copies auxquelles nous avons eu droit ce soir-là étaient bien en version originale. Certes on pouvait un peu regretter de ne pas avoir droit à une VF qui aurait à coup sûr renforcé l’aspect nanaresque des films, mais en fin de compte, force était de constater que les films n’avaient pas besoin de version française pour nous amuser.
La confrontation aux ravages de la drogue et aux dealers dans le cinéma d’action à la Steven Seagal ou Chuck Norris a toujours été une mine pour des répliques savoureuses, et Désigné pour mourir l’a une fois de plus prouvé. Je crois que ce que je retiendrai le plus longtemps de ce film de Dwight Little, ce sont les tentatives de Keith David, qui interprète le meilleur ami de Seagal, pour convaincre son vieux pote qu’il est temps de se bouger les fesses pour nettoyer la ville de cette vermine dealeuse. Première tentative de David, coach de foot, alors que les deux amis viennent de se retrouver : « L’année dernière, j’ai perdu mon meilleur joueur, il est mort d’une overdose. Avant, le pire qui pouvait arriver, c’était qu’un joueur mette une fille en cloque ». Petit rictus de Seagal. Nan, Keith, tu l’as pas convaincu.
Finalement, la seule chose qui fera enfin bouger Steven, c’est lorsque les Jamaïcains vont mitrailler la maison de sa sœur, laissant sa nièce dans un piteux état à l’hôpital. Là, le Steven va sortir ses flingues et aller tâter de ses bras véloces dans la tronche des dealeurs. Un régal. Pour la petite anecdote, dans la scène d’ouverture, Steven court après un mexicain, l’attrape et le rétame au sol. Ce mexicain, c’est Danny Trejo, futur Machete, un film dans lequel Seagal a fait un retour fracassant l’année dernière.
Mais le film que j’avais le plus hâte de voir sur grand écran, c’était Terrain Miné. Peut-être parce qu’il s’agissait de la première tentative de Steven derrière la caméra. Peut-être parce qu’on connaît tous une réplique grandiose du film, en VF, et qu’il s’agissait là de la découvrir en VO. Peut-être aussi parce que le film, sous ses atours de film d’action estampillé Steven Seagal, est un film écolo engagé (oui oui !) qui lui tenait particulièrement à cœur. La salle avait beau s’être vidée un peu pour la séance de 22h, les vrais amateurs étaient encore là pour voir Steven affronter un Michael Caine teint en brun et gominé qui nous rappelait là à quel point sa carrière était au plus mal dans les années 90. L’acteur britannique cabotine à outrance, tant qu’il est difficile de croire que quelques années plus tard, Caine allait voir sa filmographie reprendre des couleurs et son nom de nouveau associé aux Oscars.
Ce qui fait le sel de Terrain miné, ce n’est pas le casting dans lequel on trouve également Joan Chen, John C. McGinley, ou un Billy Bob Thornton difficile à reconnaître, ni l’action, finalement assez light comparé au film précédent, mais bien le détournement effectué par Steven Seagal du film que l’on attend de lui. On attend de lui un film d’action bourrin et marrant, mais Seagal avait un autre plan en tête. Il fait preuve d’une ambition à la fois admirable, naïve et ridicule qui finalement frise le génie. Car Seagal fait glisser son long-métrage du film d’action lambda au quasi documentaire écolo lorsque le générique de fin se profile. C’est un plaisir à voir, car bien sûr, le scénario est gratiné en répliques savoureuses, aussi bien au niveau de l’ambition philosophique (les banalités comme « Combien de temps faut-il pour changer la nature d’un homme ? » en pleine baston fait pouffer) qu’au niveau des dialogues purement bastonneurs (l’inénarrable et culte « C’est le genre de type qui boirait un bidon d’essence pour pouvoir pisser sur ton feu de camp. Ce mec là, tu le largues au Pôle Nord, sur la banquise, avec un slip de bain pour tout vêtement, sans une brosse à dents, et demain après-midi tu le vois débarquer au bord de ta piscine avec un sourire jusqu’aux oreilles et les poches bourrées de pesos. »).
P.S. : quelques jours plus tard, Piège en haute mer passait sur la TNT, et je n’ai pas pu y résister… Après le souvenir de mon premier film aux Halles, c'est décidément une semaine Steven Seagal pour moi !