27/04/2011 | Critique | Fiction
Insupportable : tel est le premier mot qui vient à l’esprit pour caractériser le héros du nouveau roman d’Orhan Pamuk. Kemal Bey, trentenaire, directeur général d’une société d’import-export, fils à papa et homme gâté, devient fou amoureux d’une cousine lointaine le jour où il achète dans le magasin d’accessoires de celle-ci un sac pour sa fiancée… Nous sommes en 1975 à Istanbul, dans la meilleure société bourgeoise, acquise à un certain Occident. Tout à son double bonheur, Kemal retrouve sa très jeune maîtresse, Füsun, dans un appartement insoupçonné de la famille, tout en planifiant la cérémonie de fiançailles au Hilton avec sa promise, Sibel. Incapable de sacrifier à la première son engagement avec la deuxième, il ne le rompt qu’au moment le moins opportun, quand tout a déjà été brisé. Mis au ban par sa famille, ses amis, ses associés, il va désormais devoir conquérir avec une patience infinie ce que la grâce lui avait donné sans partage. Le roman, lui, se transforme en terrible apprentissage des signes.
Dans le récit égotiste du bonheur de Kemal, sa bien-aimée Füsun n’apparaissait qu’en creux, fantasme à disposition, fantôme des réminiscences du héros, que celui-ci convoquait à loisir sur la scène de son petit théâtre intérieur. Désormais, Füsun a réellement disparu, et, dans un renversement ironique, Kemal croit la reconnaître en chaque passante dans les rues de son délire. L’amour se révèle une maladie, très littéraire, des signes. Tout devient pour Kemal matière à interprétation ; un rien le fait basculer dans la folie herméneutique. Symptomatiquement, le héros déchu de son nuage se met à collectionner tout ce qui constitue un témoignage de son idylle passée, mégots, réclames, boucle d’oreille… Ayant hésité à choisir une femme, il se voit condamné à sélectionner les signes évocateurs de son amour et à muséifier ce qu’il n’a su retenir.
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