Je revenais d’une vadrouille dans le Grand Parc, j’étais rue Mansard, une petite rue étroite qui relie le vieux village à l’Hôtel de Ville et qui n’a comme seule particularité que d’accueillir une maison de retraite aux murs roses, vieux rose même, ce qui est logique. Mille fois j’ai empruntée cette ruelle, pestant contre les trottoirs pavés et si peu larges qu’on doit marcher sur la chaussée et se planquer entre les voitures garées tout du long quand en passe une qui déboule vitement des ruelles du village pour retrouver des artères plus larges qui conviennent mieux aux conducteurs pressés. Mille fois donc, je suis passé devant la boutique de l’unique commerçant de la rue, un coiffeur, mais jamais je ne me suis arrêté, ni n’ai jamais jeté un œil à la vitrine de la triste échoppe. Jusqu’à aujourd’hui.
Tout en trottinant dans le parc, la marche libérant les pensées, je réalisais qu’il faudrait que je songe à me faire couper les cheveux, car même quand on en a peu, ils poussent aussi vite que ceux qui en ont beaucoup et obligent à un rafraîchissement aussi fréquent et onéreux, ce qui n’est pas juste convenez-en. Donc, approchant de l’échoppe du figaro local, l’occasion étant trop belle j’entrais.
Par politesse mais sans douter de la réponse vu qu’il était vautré dans son fauteuil à lire son journal, m’adressant à l’as du ciseau je posais la question « Pouvez-vous me prendre tout de suite ? ». Je m’installais dans le second fauteuil, celui réservé aux clients j’imagine. En quelques mots j’exprimais mes exigences – simples - concernant la coupe, avant de laisser l’artiste œuvrer. Quant à moi, profitant de la large glace face à moi, j’examinais la boutique.
Comme dans les contes pour enfants ou les films fantastiques, en pénétrant dans cette modeste échoppe j’avais fait un bond dans le passé. Le temps semblait s’être arrêté. Deux fauteuils à l’ancienne faisant face aux deux lavabos encastrés dans un meuble à tiroirs en chêne sombre. Comme il faut tout prévoir – même l’improbable – des chaises en paille le long du mur et une table basse avec les éternels magazines, attendent une foule de clients qui doivent être décédés aujourd’hui. Des murs en faux crépi blanc, des appliques imitant les lampes à gaz de jadis. Près de la caisse, un tourne-disque et une pile de vinyles.
Les outils et accessoires de l’artisan disposés près des lavabos semblent d’époque, encore qu’il n’y ait point de grande différence entre ciseaux et tondeuses d’hier ou de maintenant. Des blaireaux, des rasoirs, deux ou trois bouteilles de cosmétiques, juste le minimum. Aucune débauche de crèmes, shampoings et autres pommades étalés aux yeux des clients comme ailleurs. Et ce silence !
Pas très bavard de nature, quand je suis chez le coiffeur le massage du cuir chevelu lors du lavage du cheveu, la coupe, tout me pousse dans une douce torpeur dans laquelle je me complais. Le merlan n’étant pas porté au bavardage lui non plus – solitude du commerçant abandonné peut-être – la conversation ne prit pas et seul le cliquetis des ciseaux ou le zonzon de la tondeuse créaient une fameuse ambiance dans le triste gourbi.
N’étant pas pris par le temps, le coiffeur s’est appliqué, le shampoing m’a semblé durer une éternité – à moins que le spécialiste ne les ayant trouvés particulièrement dégueulasses se soit vu obligé de procéder à un nettoyage profond – quant à la coupe, plus rapide mais fignolée, sans effets de manches elle paracheva l’ouvrage.
Au moment de payer – si la boutique me rappelait mon enfance, le prix me ramena bien vite à notre époque – l’homme me proposa sa carte. Le réflexe du commerçant. « Avec plaisir ! » J’acceptais dans un réflexe de client aimable et je sortis pour retrouver notre siècle.