Pour voir ce film, il faut un ciné-club ! Agen en possède un : Mes Montreurs d’Images. Aussi, hier soir, on s’est fait cette toile, ”Winter’s Bone“, film de Debra Granik, qui bien que lauréat de nombreux prix, n’a pas eu la distribution qu’il méritait. Il est vrai que le sujet n’est pas aussi facile que les grosses “soupes” hollywoodiennes. Rien que le titre en dit long. Dès les premiers plans, nous savons que l’atmosphère sera pesante. Un ciel gris, chargé de nuages, une saison réclamant du bois de chauffage, qu’il faut nécessairement fendre dans ce pays paumé du Missouri. On est chez les bouseux. Non pas ceux d’une campagne riante et bucolique, mais plutôt ceux d’une glèbe oubliée, parsemée de fermes décrépies où, au sein d’une communauté d’arriérés, on tente de survivre, de bric et de broc pas tous bien légaux. Une Amérique au fond du trou ou la méthamphétamine fait des ravages mais portent aussi l’espoir. La ruralité passe ici par les laboratoires clandestins et les deals cachés dans les forêts d’Ozarks Mountains. A l’époque de la prohibition, les grands-parents devaient distiller. Il suffit de reprendre les habitudes, réapprendre la prudence, céder à nouveau aux compromis, et se faire oublier, ne pas se faire prendre.
Le père de Ree n’a pas eu cette chance. Pire, il a préféré « baver ». Pour sauver sa famille. Parler, c’était trahir la communauté, mais c’était aussi éviter la prison. Ne pas laisser seule Ree s’occuper de son petit frère et sa petite sœur, de sa mère, déconnectée de la vie, que l’on comprend complètement paumée, le cerveau grillé par la drogue. Alors Ree cherche son père, d’autant que la demeure familiale, toute délabrée qu’elle soit, va être saisie, caution de cette liberté temporaire tant désirée par le père. L’histoire, bouleversante, peut débuter. La quête d’une jeune fille volontaire et opiniâtre, qui prendra à son compte la protection familiale, quitte à se plonger dans des situations déchirantes. On est bien loin de ces banlieues américaines aux jardins proprets, aux intérieurs riants et fonctionnels. Ici, les terrains sont remplis de détritus. On sent le froid et l’humidité traverser les murs de planches et de rondins. Les pièces sont meublées de bric et de broc ; chargés d’un bric à brac improbable, objets récupérés, réutilisés, réparés, car quand on a rien, on a besoin de tout.
C’est un autre visage de l’Amérique que les « majors » veulent sans doute cacher en ne diffusant pas ce film sur les réseaux des multinationales. Ne pas montrer au monde cet aspect d’une société qui ne se préoccupe guère des laissés pour compte. Qu’il s’agisse d’un grand film ne le justifie en rien. Dommage !