Magazine Asie

Le lendemain, c'est le printemps ...

Publié le 27 avril 2011 par Asiemute

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Mots que j'aime : le mot "ample", le mot "meurtri" aussi. Sans doute parce que je n'ai plus l'âge où l'on se sent - ni ne se souhaite - absolument intact. Les fruits ou les visages meurtris ont plus à offrir que les autres. Vieux, j'espère aimer la vieillesse.

Quand le pays me fatigue ou m'exaspère, je pense à ce poème de Whitman dans lequel le mot "yes" apparaît au moins quinze fois (s'est une femme qui se le murmure en se donnant). Pour moi, ce "yes" est aux antipodes du "hai" japonais, si plein de chaînes et de privations. C'est un de mes antidotes ; j'en ai d'autres.

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Premier Japon. J'y trottais éperdument (Tokyo) chaussé de belles godasses en suède rouge de pointure différente - gauche 40, droite 41 - que, pour cette raison, j'avais obtenues pour la moitié du prix dans une boutique de Kowloon. Trottais à toute allure dans ces chaussures si douloureuses que je ne pouvais "tenir en place" et qui me donnaient un air d'activité frénétique auquel je finissais par me laisser prendre.

Photo. Avant d'être un pacte avec la couleur, c'est un pacte avec la lumière. Or nos rapports avec la lumière varient chaque jour : il y a des périodes où l'on est comme une vitre sale qui ne laisse rien passer, d'autres où elle se pose naturellement et sans faire d'histoire sur ce que l'on photographie, où l'on nage et se place d'instinct dans le sens du courant lumineux (état printanier de grâce et de germination). La technique - il en faut - ne saurait suffire à tout et la photo, comme n'importe quel acte, est finalement un acte religieux. Aussi y a-t-il des états de totale indigence spirituelle, des états d'ingratitude - dans le sens d'âge ingrat et dans celui de reconnaissance - où le soleil même vous apparaît comme une assiette sale.

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Re-Japon. Une compréhension méthodique, rationnelle : on voudrait bien ! et que de temps gagné ! Mais le pays ne s'y prête pas. Il joue avec nos nerfs, peu faits à sa musique, nous impose son rythme qui est rompu et nous fait passer plusieurs fois par jour de l'aigreur chagrine à la gratitude sans mélange. Nous autres Occidentaux avons été formés, dans l'intelligence progressive des choses, à une méthode qui ne vaut rien ici. Il faut s'assouplir et attendre. Amasser des notes et attendre. Travailler et attendre une éclaircie, ou plutôt une clairière d'où l'on puisse voir la forêt.

Nicolas BOUVIER
Le vide et le plein
Carnets du Japon 1964-1970

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Photos à Daikanyama (Tokyo) mai 2010

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