Faut-il dire clairement? La vie spirituelle, pas plus que la vie tout court, n'a rien à voir avec le bonheur. Le succès final ou le fait de se sentir bien n'ont aucun rapport avec le spirituel, d'après Moss. “L'extase vient après la discipline que l'on s'impose, elle vient après la peine”, reprend pour sa part Robert Bly. Il poursuit: “Un enfant ne deviendra pas un adulte jusqu'à ce qu'il ait brisé son attachement à une vie harmonieuse et qu'il choisisse l'unique but précieux de sa vie, qu'il en paye le prix et participe pleinement aux tensions du monde”.
Ilya Prigogine, le grand scientifique, parle des structures dissipatives, qui se manifestent lorsqu'un organisme ou un environnement subit un tel stress qu'il ne peut plus le supporter. Il y a alors une désintégration, suivie d'une réintégration, à un autre niveau par quoi les vieilles tensions et les stress sont assimilés… Lorsque les formes de la vie sont incapables d'endurer les vieux stress, elles se réintègrent à un niveau différent… Un saut est fait qui est accompagné de douleurs et d'un traumatisme. Cette douleur peut être la précondition à la croissance. Nous ne voulons pas le reconnaître pendant que nous souffrons. Mais il est peut-être inévitable que la vraie croissance soit accompagnée de douleurs car c'est la douleur d'une transition à partir d'un certain état d'être où nous nous sentions bien à l'aise, à un autre état où nous ne le sommes plus. Devenir est toujours difficile.
Dans notre culture, nous évitons à tout prix la souffrance. En conséquence, cette attitude produit un engourdissement, ce qui est déjà en soi une forme de souffrance. Aussi longtemps que nous vivons, croissons et devenons, nous ne devons pas éviter la souffrance, puisque c'est ainsi qu'est fait l'univers.
Dans l'univers des anges, cela pourrait être autrement, mais dans le monde d'humains contingents, c'est ainsi”.
En réalité, le bonheur en soi, dit Moss, n'est pas la meilleure condition pour attirer l'éveil de la conscience, ce n'est donc pas le but de quelqu'un qui cherche la transformation. Le bonheur, comme vénère tout le monde, implique habituellement une sécurité sociale et une estime de soi qui produit de l'insensibilité, de la distance et de la non-implication.
Être heureux est un concept qui évoque un bien-être protégé contre les drames et les souffrances de la vie, il s'oppose au malheur et aux dimensions de l'ombre en nous. Ce qu'il s'agit de faire, c'est d'embrasser le malheur aussi bien que le bonheur. C'est cela l'attitude adulte qui rend capable de dire oui à tout et d'essuyer avec courage les coups durs et les coups bas de la vie, les laideurs et les ténèbres de sa conscience. Comme l'a si bien dit Alan Watts : “Consentir à être insécure est l'ultime sécurité. Consentir à souffrir est l'essence de la joie divine. Consentir à être limité, c'est connaître sa propre infinité. Consentir à être soumis, c'est être vraiment libre. Consentir à être fou et un pécheur c'est être à la fois un sage et un saint”.
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