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Trois chroniques intéressantes d'Alain Madelin, ancien Ministre des Finances en 1995 et ancien candidat à l'élection présidentielle en 2002.
La mondialisation, vous dis-je !
4 avril 2011 Alain Madelin 12 commentaires
Au chevet de nos maladies économiques et sociales, nos modernes médecins politiques, de gauche comme de droite, ne connaissent, tels ceux de Molière, qu’un seul diagnostic : «Un manque d’État,
vous dis-je.» Malheureusement, après tant d’échecs de cette médecine officielle, d’autant plus inefficace qu’elle est aujourd’hui sans le sou, la tentation est grande de faire appel aux
rebouteux. Nos populaires rebouteux cependant n’ont guère d’imagination, ils ne font que promettre d’augmenter la dose du «toujours plus d’Etat».
Le Front national, qui affole aujourd’hui les baromètres politiques, a désigné la cause de tous nos maux. C’est la «mondialisation ultralibérale imposée par les Etats-Unis et la finance
internationale». Son remède, c’est la reprise du contrôle de l’économie et de nos frontières par le politique. Sa promesse, c’est celle d’un Etat fort pour mettre en oeuvre «un protectionnisme
social et territorial». En fait, le refus de la mondialisation libérale et la condamnation des excès de la finance internationale sont des discours convenus, à gauche comme à droite.
Tout comme la volonté de protéger les Français contre tous les soi-disant dumpings fiscaux, sociaux, environnementaux. Après tout, la «préférence communautaire» – c’est-à-dire la version
européenne de la préférence nationale – est une proposition de l’actuel président de la république. Tout comme la TVA sociale qui prétend faire contribuer les produits étrangers au financement de
notre protection sociale ou la taxe carbone sur les produits importés. Et les propositions les plus radicales du Front national sur la rupture européenne ne font que suivre celles des
souverainistes de gauche et de droite. En fait, le Front national ne fait le plus souvent que surenchérir dans des propositions puisées chez ses adversaires. Du maintien exigeant des services
publics jusqu’aux nationalisations sanctions pour les banques !
Certes, sur la difficile question de l’immigration, le Front national, d’un point de vue populaire, bénéficie d’un avantage comparatif. Mais celui-ci tient davantage à la posture, volontairement
provocatrice, qu’aux propositions – d’autant plus radicales qu’elles n’ont pas à être mises en oeuvre – qui appartiennent au même registre sécuritaire que celui de la majorité au pouvoir. Quant à
«l’islamisation» absurde des problèmes de l’immigration, qui complaît assurément à une part de l’opinion, elle se voit dangereusement accompagnée par l’UMP au risque de transformer les militants
du Front national en militants laïques ! Ce faisant, on oublie que les quartiers difficiles ne sont que le miroir grossissant des échecs de l’Etat, la remise en cause des mécanismes de notre État
providence et le recentrage de l’Etat sur ses vrais métiers sont nécessaires.
Au fond, dans le méchant procès fait par le Front national à l’UMP et au PS, il serait bien difficile de trouver quelques preuves de convictions mondialistes ultralibérales. En revanche, il
existe assurément un décalage entre leurs promesses protectrices et les résultats. A gauche, c’est le constat désabusé d’un Lionel Jospin découvrant que «l’Etat ne peut pas tout». A droite, c’est
le décalage entre le très volontariste «tout est possible» de l’actuel président de la république et la réalité. Entre l’annonce du grand «retour de l’Etat» pour discipliner des marchés
financiers irresponsables et la réalité d’un retour des marchés financiers pour discipliner les États irresponsables.
Un tel décalage, contrairement aux affirmations du Front national, ne provient pas d’une insuffisance d’Etat et de volontarisme politique. Il est trop facile de dire : les lois de l’économie
dérangent, il suffit d’en voter d’autres. Nos souffrances viennent de l’euro, revenons au franc. La mondialisation opprime, sortons de la mondialisation.
La société de la connaissance et de la créativité remet justement en cause cette prétention à commander l’ensemble de la société depuis l’Etat. C’est ce que le philosophe autrichien, prix Nobel
d’économie, Friedrich Hayek, a appelé la «présomption fatale».
Les échanges d’informations de techniques de capitaux de compétences se font à l’échelle de la planète. L’éclatement du savoir entraîne l’éclatement du pouvoir. Les marchés s’affranchissent des
gouvernements et des États perdent leur pouvoir absolu. C’est pourquoi partout dans le monde aujourd’hui, le recentrage de l’Etat et la redistribution du pouvoir au profit des consommateurs et
des entreprises sont à l’ordre du jour.
C’est là une tendance lourde de la société qui dépasse les clivages politiques. Or la quasi-totalité de la classe politique s’inscrit à contre-courant de ce mouvement. Elle attise les peurs du
nouveau monde. Pire, elle les instrumentalise, parce que ces peurs engendrent un besoin de sécurité qui permet à notre État providence désargenté de jouer les prolongations sécuritaires.
En fait, dans son combat contre la «mondialisation ultralibérale», le Front national n’a pas de vrais adversaires. Ceux qui lui font face sont piégés. Négliger les peurs qu’exploite le Front
national, c’est lui laisser le terrain libre. Y répondre par des politiques dirigistes, c’est prendre le risque de l’impuissance publique et frayer le chemin de la surenchère. Car le Front
national sera toujours mieux-disant social, protectionniste et sécuritaire. En revanche, il lui serait difficile d’être mieux-disant libéral !
Alain Madelin
Source La Tribune
Ce mauvais procès que l’on fait au libre-échange
Par Alain Madelin, ancien ministre /la tribune
Dans le procès contre la « mondialisation libérale » instruit par la quasi-totalité de la classe politique, les frères dumping sont au premier rang du box des accusés.
Ils sont trois : dumping social, dumping fiscal, dumping écologique. Avec quasiment les mêmes mots, tous dénoncent leurs méfaits. Et chacun de proposer ses mesures protectionnistes : préférence
communautaire ou nationale, TVA sociale ou anti-délocalisation, taxe carbone sur les importations, écluses douanières aux frontières, harmonisation fiscale… Tous ces remèdes sont illusoires et
tout est faux dans ce procès.
À commencer par l’usage du mot « dumping » qui n’est applicable qu’à des comportements potentiellement répréhensibles de vente à des prix inférieurs à ceux du marché national. Le protectionnisme
repose sur une illusion d’optique. Ce que l’on voit, c’est une entreprise contrainte sous la pression de la concurrence de fermer ses portes ou de délocaliser. Mais le consommateur qui, en
achetant par exemple une paire de chaussures importée 110 euros au lieu de 200, a gagné un pouvoir d’achat supplémentaire de 90 euros. Ce que l’on ne voit pas derrière la perte du producteur
national, c’est le profit de cet autre producteur qui bénéficiera de ces 90 euros. Ce que l’on voit encore moins c’est que les 110 euros touchés par le producteur étranger reviendront
inéluctablement, directement ou indirectement, sous forme d’achat de bien ou de services dans notre économie au profit d’un autre producteur. Ceci revient à dire que tout avantage obtenu par le
producteur d’une activité protégée se fait nécessairement aux dépens du consommateur et de deux autres producteurs selon la règle « un profit, deux pertes » que les manuels d’économie
enseignaient naguère.
C’est pourquoi globalement le libre-échange est toujours gagnant-gagnant.
Certes, si le dynamisme entrepreunarial est insuffisant et l’économie peu compétitive, les nouveaux emplois de substitution ne verront pas le jour. Mais est-ce là la faute du libre-échange ?
D’autant que l’argent, les talents immobilisés dans les secteurs protégés du passé font défaut pour préparer l’avenir.
Le libre-échange n’exige ni la réciprocité, ni l’égalité des conditions de concurrence. S’il est toujours souhaitable de faire pression pour l’ouverture des marchés, un échange fut-il avec un
pays protectionniste reste par nature bénéfique. En protégeant durablement un secteur, ce qui détruit les signaux des prix qui permettent l’adaptation, un pays se pénalise lui-même. Quant à
l’idée d’égalité des conditions de concurrence, si elle est excellente pour une régate, elle n’a pas de sens pour le transport maritime. L’économie n’est pas un jeu, et la recherche de
l’efficacité doit primer. Le climat, les aptitudes, la législation économique, les charges publiques, les salaires, l’abondance du capital, l’accès à des réserves de matières premières sont
autant d’inégalités de conditions de concurrence qui, grâce à l’échange, vont créer de la valeur. Il n’y a pas de différence entre la concurrence d’une main-d’oeuvre étrangère bon marché et celle
d’une machine qui économise le travail humain et fait baisser les prix. D’ailleurs voudrait-on égaliser les conditions de concurrence, qu’il faudrait dire lesquelles et jusqu’où ? Le temps de
travail ? Les impôts ? Les salaires ? Et si oui, faut-il le faire par le haut, par le bas, par la moyenne ? Et les conditions naturelles ? Faudrait-il harmoniser les jours de soleil pour
préserver l’égalité des conditions de concurrence dans le tourisme ?
Dumping fiscal ? Assurément, beaucoup de pays ont des impôts inférieurs aux nôtres : un faible impôt sur les sociétés en Irlande, un impôt au taux unique d’environ 20 % dans les pays Baltes, pas
d’ISF en Allemagne… Mais cela correspond à une dépense publique inférieure. Qui doit se rapprocher de qui ? Baisser l’ISF, copier la flat tax… L’Irlande ne pourrait-elle pas reprocher à la France
la concurrence déloyale de ses exonérations de charges ?
Dumping social ? Il faudrait soustraire nos producteurs nationaux à la concurrence d’exportateurs en provenance de pays aux droits syndicaux trop faibles et aux salaires trop bas. Il y a là
beaucoup d’hypocrisie. Qu’on ne dise pas que l’on défend les droits fondamentaux quand on les réduit aux droits syndicaux. Quant aux salaires, s’ils sont bien entendu plus faibles dans les pays
pauvres que dans les pays riches, c’est que la productivité globale y est aussi beaucoup plus faible.
Dumping écologique ? Nos contraintes environnementales sont loin d’être partagées par tous. En fait, la valeur de l’air, de l’eau ou d’un paysage, n’est pas la même dans un pays riche et dans un
pays émergent confronté à la famine, aux épidémies et à la pauvreté. Et il n’est guère réaliste d’imaginer une taxe frappant les produits importés des pays qui ne pratiquent pas les mêmes
limitations de rejets de CO2 que nous. Pourquoi pas une taxe frappant les exportations des pays riches en raison de leurs rejets passés dans l’atmosphère ?
D’autant que la plupart des produits aujourd’hui sont le résultat d’assemblages extrêmement complexes à l’échelle de la planète. Une étude récente a montré toute la complexité de l’assemblage
international des pièces composant un iPhone importé de Chine. Pour une valeur d’importation de 179 dollars, la part chinoise n’est que 6,50 dollars. Le libre-échange a aujourd’hui atteint un
point de non-retour. Tous les discours protectionnistes n’y changeront rien.
Alain Madelin – 23/04/2011, /la Tribune
L’effet catastrophe : ce qu’on voit et ce qu’on
ne voit pas
28 mars 2011 Alain Madelin 1 commentaire
C’était inévitable. Il s’est trouvé de bons esprits pour expliquer que les catastrophes subies par le Japon allaient doper sa croissance. Et pas des moindres, à commencer par Larry Summers,
ancien secrétaire américain au Trésor sous Clinton et ex-directeur du Conseil économique national auprès d’Obama. Fichtre donc. Un bon tremblement de terre, un bon tsunami et pourquoi pas une
bonne guerre, rien de tel pour stimuler la croissance ! Après la destruction vient la reconstruction. Keynes ne disait-il pas dans sa «Théorie générale» que «les tremblements de terre et jusque
même les guerres» – qui sont autant d’occasions de dépenses publiques – «peuvent contribuer à augmenter la richesse».
Derrière de telles affirmations qui font bon marché de la vie humaine, il y a un raisonnement qui se veut économique. Une ville détruite, c’est une ville à reconstruire. Il va falloir investir.
Les constructions de logements, de bâtiments publics, vont faire travailler des entreprises, créer des emplois, entraîner la production d’autres biens dans de nombreux secteurs. Les ménages
devront à nouveau s’équiper, racheter des réfrigérateurs, des téléviseurs, des automobiles, des machines à laver, des ordinateurs, ce qui relancera le secteur des biens de consommation durable
!
Il y a là tout le début d’une célèbre page de l’économiste français Frédéric Bastiat (1801-1850) : «la Vitre cassée». Résumons. Un jeune vaurien brise une vitre. La foule s’amasse et se réjouit
«à quelque chose malheur est bon, voilà qui va donner du travail au vitrier». Le vitrier touchera une certaine somme d’argent. Celle-ci sera dépensée chez quelques marchands qui la redépenseront
chez d’autres et ainsi de suite. Certes, dit Bastiat, c’est là «ce qu’on voit». Mais conclure que casser une vitre est bon pour l’industrie ou pour l’emploi serait absurde. Car il y a aussi «ce
qu’on ne voit pas». L’argent dépensé pour remplacer la vitre ne servira pas à autre chose comme, par exemple, acheter une paire de chaussures. Du point de vue de la richesse, à l’origine de
l’histoire, le propriétaire avait une vitre. Il l’a maintenant à nouveau, mais il a perdu le prix d’une paire de chaussures.
Ainsi les reconstructions d’après-catastrophes ne font que déplacer la demande. Et quand bien même pour diverses raisons (utilisation de capacités de production sous-employées, mobilisation
patriotique…) y aurait-il un effet sur la croissance, celui-ci ne serait qu’illusion : un surplus de croissance ne signifie pas automatiquement un surcroît de richesse. Un pays où 10% des gens
seraient rétribués à creuser des trous et 10% à les reboucher aurait le même PIB qu’un pays où 20% seraient payés à construire de nouvelles maisons.
Avec cette «vitre cassée», Bastiat, pourra-t-on penser, ne fait qu’illustrer une évidence. Mais celle-ci est essentielle à une bonne compréhension de l’économie. «Entre un mauvais et un bon
économiste, voilà toute la différence ; l’un s’en tient à l’effet visible ; l’autre tient compte et de l’effet qu’on voit et de ceux qu’il faut prévoir», dira Bastiat. C’est d’ailleurs pour cela
que le sophisme de la vitre cassée a souvent servi de première leçon dans de célèbres manuels d’économie. Elle nous rappelle que l’économie est avant tout une branche de la logique. Dans toute
son oeuvre, Bastiat d’ailleurs excellera dans cette dénonciation logique, rigoureuse, implacable mais toujours plaisante et stimulante de tous les sophismes économiques de son époque… Une oeuvre
toujours actuelle d’ailleurs tant il est vrai que, chaque jour, des chefs d’entreprise, des hommes politiques, des journalistes refont à peu près les mêmes faux raisonnements.
Dans la foulée de «la vitre cassée», Bastiat s’attachera à montrer la part d’illusion des dépenses publiques : «l’Etat ouvre un chemin, construit un bâtiment public, redresse une rue, perce un
canal ; par là, il donne du travail à certains ouvriers, c’est ce qu’on voit, mais il prive de travail d’autres ouvriers, c’est ce qu’on ne voit pas.» Aujourd’hui, le même raisonnement s’applique
assurément aux généreux plans de relance des États. Il est d’ailleurs plaisant de constater que leurs thuriféraires néokeynésiens leur attribuent les vertus qu’ils prêtent par ailleurs aux
catastrophes naturelles !
Rien de plus actuel aussi que le Bastiat qui démonte toutes les doctrines protectionnistes. Faire obstacle à l’importation d’un produit moins cher entraîne assurément un profit pour un producteur
national ainsi protégé de la concurrence. Mais ce qu’on ne voit pas, c’est la perte d’un autre producteur qui aurait bénéficié du pouvoir d’achat gagné par le consommateur du produit importé. La
perte aussi d’un autre producteur de biens ou de services qui aurait bénéficié du retour des devises gagnées par l’exportateur étranger. Derrière la subvention accordée à une entreprise pour
créer ou sauver des emplois, ce que voit l’opinion ce sont les emplois sauvés ou créés pour le plus grand profit du politique qui distribue la subvention.
Mais derrière la main qui donne, ce que voit l’économiste, c’est la main qui prend et le fait que l’argent prélevé sur un producteur ou un consommateur eût été autrement employé ailleurs, sans
doute souvent plus utilement. Voilà qui explique pourquoi la politique ne fait pas bon ménage avec l’économie. L’enchaînement économique invisible des faits, leurs conséquences dans le temps
s’effacent devant l’exigence politique de l’immédiat et du présentable aux médias. Le montrable est plus important que le démontrable. Bref, la politique est l’art de ce qui se voit quand
l’économie est la science de ce qui ne se voit pas.
Alain Madelin
Source La Tribune