Tiken Jah Fakoly.
Philippe Bordas
Une chanson que vous chantait votre grand-mère?Je n'ai pas eu la chance d'être bercé par une chanson chantée par ma grand-mère. Quand j'avais 11 ans, je me souviens d'une chanson d'une artiste nigériane. Je dansais dessus. La danse était d'ailleurs une source d'accrochages avec mon père. Il aurait préféré que j'occupe mon temps à étudier. A l'époque nous habitions Odienné, à 850km d'Abidjan dans le Nord Ouest de la côte d'Ivoire. On louait la maison d'un réparateur de frigos. Le soir on poussait les frigos contre les murs et on dansait. Mon père m'a envoyé dans un petit village, sans électricité pour que je consacre mon temps aux études. Je dansais déjà sur du reggae et les gens dans le village s'arrêtait pour regarder ce garçon qui venait de la ville. Ensuite j'ai commencé à m'intéresser aux textes, aux combats du reggae et à composer quelques chansons.
Si vous étiez un autre chanteur, ce serait?Burning Spear. Il est très très attaché à l'histoire. Je suis d'accord avec lui quand il dit qu'un arbre sans racine est un arbre qui ne peut vivre. Un peuple sans histoire est un peuple qui ne peut avancer. L'histoire c'est le repère, c'est la base. J'ai beaucoup aimé Bob Marley, comme tout le monde, mais je me sens très proche de Burning Spear et de ces textes sur l'esclavage, la décolonisation et l'histoire de l'Afrique. On s'est rencontré une fois à Bercy au Garance reggae festival il y a 5 ans. Je n'ai pas été déçu.
Quel disque avez-vous offert le plus souvent?Je n'offre que le mien. Je l'envoie à mes amis, à des enfants au Mali, où j'habite, qui travaillent bien à l'école.
Quel est votre souvenir le plus fort dans ce métier?C'est le retour dans mon village natal en 1997, un an après la sortie de mon premier album Mangercratie en Côte d'Ivoire. J'ai rempli un stade de 30 000 personnes. Dans les gradins, j'ai revu beaucoup de gens qui disaient à mes débuts "ça ne marchera jamais pour lui". J'habitais à 850 km d'Abidjan, pas de télé, pas de radio. On nous voyait répété dans des conditions difficiles, évidement personne n'y croyait. C'était grand de revenir. Les gens étaient fiers de moi. Je viens d'une région où 99% des habitants sont musulmans et pour lesquels la musique est perçue comme une sonorité de l'enfer. J'étais mal vu. C'était important de réussir pour moi et pour les générations suivantes.
Regrettez-vous des rencontres qui n'ont pas pu se faire?Non. Le seul regret de ma carrière c'est qu'on n'ait pas fait de clip pour le titre que j'ai fait avec Akon sur l'album L'Africain (2007). C'est la faute de la maison de disques qui n'y croyait pas. C'est dommage cela aurait pu m'ouvrir les portes des Etats-Unis
Question complémentaire: Vous habitez au Mali. Envisagez-vous de vous installer en Côte d'Ivoire?Ce n'est pas envisageable aujourd'hui. Mais quand la sécurité sera une réalité et la réconciliation sera accomplie, oui, pourquoi pas. J'aimerais revenir même si je suis bien au Mali. La réconciliation sera concrète quand les gens se reparleront et se fréquenteront. Nous nous étions réconciliés en 2007. Laurent Gbagbo avait allumé la flamme de la paix avec le chef de la rébellion. Tout allait bien jusqu'au deuxième tour de l'élection présidentielle et la non reconnaissance du résultat par le président sortant. Dans le souci d'être équitable et juste, je n'ai pas voté. Je ne suis pas fier de le dire car le devoir d'un citoyen c'est de voter et j'encourage les jeunes à voter. Mais je voulais être neutre. On m'a proposé de faire des concerts. J'ai même refusé beaucoup d'argent. Si Alassane Ouattara se comporte comme ce sont comportés les présidents précédents, nous serons obligés de reprendre nos gants pour l'attaquer avec la musique. Notre arme fatale.