Un mois et demi après le séisme et le tsunami du 11 mars, le professeur Eiji Ohtani, éminent géophysicien à l’université Tohoku de Sendai et vice-président de la Japan Geoscience Union, a accepté de témoigner pour La Recherche.
Dans ce premier volet, Eiji Ohtani nous raconte comment il a vécu la catastrophe. Demain, il nous livrera son analyse, sans complaisance, de la situation.
Où vous trouviez vous, le 11 mars dernier quand le séisme a eu lieu?
Je travaillais à mon bureau, au quatrième étage de notre bâtiment à l’université Tohoku de Sendai. Je consultais mon e-mail. J’ai d’abord cru que ce séisme n’était pas très fort qu’il s’agissait d’une secousse comme nous en connaissons souvent. Cependant, ce séisme était différent des précédents : il était lent et les vibrations étaient de basses fréquences, comme sur un bateau au milieu de l’océan.
Après quelques secondes, je pensais que cela allait s’arrêter, mais des mouvements plus forts ont alors secoué le bureau : les étagères se sont effondrées, tous mes livres et documents se sont éparpillés sur le sol, l’ordinateur portable et les écrans sont tombés par terre : j’ai réalisé instantanément que c’était le plus gros séisme que nous n’avions jamais vécu.
Comment les gens autour de vous ont-ils réagi, y a-t-il eu une alerte au tsunami ?
Les gens sont restés très calmes en général. Ils n’ont jamais paniqué. Ceci, parce que nous faisons régulièrement des exercices d’évacuation et de préparation aux séismes, même si nous n’imaginions pas qu’un tel séisme survienne en réalité.
Tout le personnel et les étudiants ont leur casque et connaissent l’endroit sécurisé où se rassembler en cas de séisme. Ainsi, les 1000 personnes qui se trouvaient dans les bâtiments d’enseignement des sciences se sont retrouvées à l’endroit prévu pour chaque bâtiment, juste après la grosse secousse.
En ce qui concerne le bâtiment des sciences de la Terre, qui abrite notre laboratoire, nous avons pu vérifier que les 150 personnes étaient saines et sauves. Le séisme a eu lieu à 14:46 et nous sommes restés à l’endroit sécurisé jusqu’à 16 heures. Il commençait à faire sombre et froid, nous avons donc décidé de rentrer dans le bâtiment pour récupérer des choses importantes et rentrer chez nous.
Notre université est loin de la côte, à 14 kilomètres, et notre département est sur le haut d’une colline (voir la carte).
Nous n’avons donc pas su que le tsunami avait atteint la côte. Nous l’avons appris que plus tard. Je suis resté à l’université jusqu’à environ 17 heures. Puis je me suis trouvé dans des embouteillages monstres : chacun ayant pris sa voiture pour rentrer. Il n’y avait plus d’électricité et donc plus de signalisation dans les rues, mais étonnamment il n’y avait pas d’accident. J’ai mis environ 3 heures pour rentrer chez moi en voiture, alors qu’il me faut environ 20 minutes d’habitude pour effectuer les quelque 10 kilomètres à parcourir.
L’un de mes collègues, dont la maison se trouvait près de la côte de la ville de Ishinomaki (légèrement au nord-ouest sur la carte précédente) a pris une voiture du département pour rentrer car le train en fonctionnait plus. Quand il est arrivé, le rez-de chaussée de sa maison était inondé par le tsunami, mais sa famille était sauve.
Dans quelle mesure votre université a-t-elle été touchée ?
Pour l’instant, je n’ai pas d’information précise pour l’ensemble de l’université. Cependant, sur le campus Aobayama, qui regroupe les cursus de sciences, d’ingénieurs et de pharmacie, les bâtiments ne sont pas très endommagés : ils venaient d’avoir été consolidés pour être aux normes des nouvelles règles antisismiques.
Trois bâtiments du département d’ingéniérie sont en revanche sérieusement touchés et on ne peut y entrer. Mais la plupart ont bien résisté et sont utilisables : l’électricité et l’eau ont été rétablis.
Les dégâts sur nos équipements et instruments scientifiques, eux, semblent sérieux. Nous sommes en train d’évaluer les dommages. Dans notre laboratoire, il semble que nous pourrons réparer les instruments, mais nous aurons besoin de temps et d’ingénieurs spécialisés pour les rendre à nouveau opérationnels.
Un mois et demi après le séisme géant et le tsunami, quelle est la situation générale ?
L’électricité a été rétablie en quelques jours. L’eau aussi, après deux semaines. Aujourd’hui, la plupart des gens viennent à nouveau travailler. Et nous sommes en train d’évaluer les dommages pour les communiquer au gouvernement.
Nous travaillons aussi aux rapports annuels, car la fin de l’année fiscale 2010 était à la fin du mois de mars. Il nous faut boucler les budgets de l’année 2011 et planifier le calendrier des enseignements universitaires. Nous avons décidé de commencer le premier semestre début mai, soit un mois plus tard que d’habitude. La plupart des membres de l’institut travaillent ainsi à rétablir les moyens pour la recherche et l’enseignement, quelques uns ont quand même déjà repris leur activité de recherche.
Mais d’autres n’ont pas encore repris le travail, leur maison ayant été sévèrement touchée par le tsunami. Dans la ville de Sendai, les situations sont très diverses : les maisons et bâtiments le long de la côte ont été rasés par le tsunami, beaucoup de gens sont morts et les soldats recherchent toujours les nombreux disparus. A la date du 25 avril, les chiffres pour la ville de Sendai sont de 622 personnes tuées, 2240 blessés et 3190 personnes sans abri.
Mais dans d’autres parties de la ville, comme à l’université, les services essentiels comme l’eau, l’électricité et le gaz fonctionnent. Beaucoup de magasins ont réouvert et nous n’avons plus les problèmes d’approvisionnement alimentaire ou de carburant que nous avions deux semaines après le séisme.
Au début avril, la situation s’est nettement améliorée avec le rétablissement, en partie, des moyens de transport (route, trains, bateaux). L’aéroport de Sendai fonctionne à nouveau depuis le 13 avril mais uniquement pour les vols internes, et le train qui lie Tokyo à Sendai, le Shinkansen, a repris son service lundi 25 avril.
Quels sont les problèmes auxquels vous êtes confrontés maintenant ?
Le principal problème est de faire face aux répliques et à la crise de la centrale nucléaire. Depuis le séisme principal de magnitude 9 sur l’échelle de Richter, nous devons nous attendre à des répliques très fortes de magnitude comprise entre 7 et 8 pendant encore deux mois au moins.
La crise nucléaire nous préoccupe aussi beaucoup, même si il n’y a pas de nouvelle fuite radioactive dans l’air et que les niveaux de contamination restent stables pour le moment, et en dessous de ceux problématiques pour la santé. Cependant, les ingénieurs n’arrivent pas à contrôler les réacteurs endommagés à Fukushima. Il leur faut énormément d’eau pour les refroidir et il faut ensuite stocker cette eau très polluée ensuite. Ils ne sont pas encore à même de construire un système de refroidissement opérationnel, alors que c’est le point essentiel pour contrôler la crise.
Malgré tous leurs efforts, la forte radioactivité et les répliques rendent leur tâche très difficile. Un autre problème important vient du fait que le tsunami a recouvert des champs de riz. Cette région était l’une des plus importante productrice de riz du pays, mais elle ne peut plus l’être en raison des quantités de sel déposées par l’eau de mer.
Selon la source « La Recherche ».