Citoyens !
Une jolie rencontre ce matin chez Terra Nova, en petit comité, avec l’un des spin doctors les plus côtés d’Europe, Alastair Campbell. On avait notamment appris à le connaître pour son rôle crucial auprès de Tony Blair qui les avait conduits au 10, Downing Street, en 1997.
A un an des Présidentielles françaises, les questions sont multiples : que faire contre la désaffection populaire des Urnes ? Internet a-t-il un rôle à jouer ? Peut-on voir émerger en Europe des Barack Obama ?
Penser stratégie, pas tactiques
Alastair Campbell n’a eu de cesse de marteler pendant l’heure et demi d’échange une idée centrale : les campagnes modernes doivent certes intégrer les nouveaux canaux de communication ; n’empêche que reste au coeur d’une mobilisation ou d’un engagement des citoyens une stratégie claire.
Il prend l’exemple de John McCain vs Barack Obama ; McCain avait au début de sa campagne une stratégie :
“j’ai beaucoup d’expérience” + “je ne suis pas George Bush”
Mais l’expérience a tourné court quand il a pris comme second ticket Sarah Palin : il devenait incohérent avec la deuxième partie de sa stratégie
Obama en revanche est resté cohérent avec sa stratégie : Yes We Can
Yes = optimisme
We = ensemble, le hyphenated American dans toute sa splendeur
Can = un effort à faire
Une stratégie = un homme, une équipe “noyau” (core team) et des supporters (ainsi que de l’argent)
Pour Alastair Campbell, l’histoire politique a toujours été une histoire d’hommes. Pour les élections américaines, il reprécise que tout en haut se trouvait Obama, entouré d’une équipe “noyau” qui filtrait les demandes et orchestrait les injonctions aux “suiveurs”. Cet effort ne pouvait avoir lieu qu’avec une masse conséquente d’argent. Et de repréciser qu’Obama a refusé de limiter les dépenses et les flots de dons reçus, bien au contraire.
Le stratégiste précise que si en 1997, sa posture était “Command and Conquer”, internet pousse les stratèges à libérer les idées et à faire confiance au maximum aux militants.
Du temps du débat au temps de la décision
Pour Campbell, le mal français est une question de timing politique. Pour lui, la France est perpétuellement dans une période de débat…alors que les éléments de véracité d’un discours politique doivent se trouver dans les décisions prises, les actions concrètes.
Le politique doit faire la météo médiatique. Et cette météo doit donc suivre en filigrane les décisions politiques.
Pour Campbell, Sarkozy a eu raison d’occuper le terrain des médias ; en Grande Bretagne par exemple, les spin doctors doivent pouvoir générer 3 points d’intérêts par jour, avec comme enjeu de rester en ligne avec la stratégie.
La rétribution du militant : la responsabilité !
Face à la désaffection de la militance, et la panne interne aux partis (ce qui se passe à la section du Périgord reste à la section du Périgord, sic), se posent la question des moyens d’engagement et de “fidélisation” des militants.
Campbell voit dans la responsabilisation des militants la plus belle (et la plus engageante) des rétributions. Aux Etats-Unis, en devant en partie les actionnaires de la réputation d’Obama, le militant était investi d’une mission claire, avec une valorisation évidente.
Campbell compare la relation au politique aux relations amoureuses : une phase d’idéalisation, une phase d’euphorie. Et puis une rencontre avec la réalité du quotidien. Il prend l’exemple de Lula : tous les mariages ne sont pas voués à l’échec, puisqu’il bénéficiait à sa sortie de 80% d’opinions positives, soit plus que pendant sa campagne.
Toujours dans cette veine, Campbell rappelle que si les citoyens ne croient plus aux médias ni aux politiques en général, ils croient en eux-mêmes … en particulier. Et les réseaux sociaux de décupler ces potentiels ; il prend l’exemple d’une femme qu’il a rencontrée lors d’une conférence et qui lui a dit :
“I don’t know you but I’m your friend”
Casser la logique médiatique pour reprendre la logique du bouche-à-oreille réelle entre citoyens
Pour Campbell, un des ennemis à combattre, ce sont les médias “traditionnels”. Et de reprendre une citation de Bill Clinton :
“La force des médias est si puissante que les politiques y créent leurs propres réalités”.
Donc un des enjeux pour les politiques est de couper court à cette illusion est d’entrer en relation direct avec les citoyens…
Fabriquer du consentement dans une illusion de participation
Ce que j’en retiens (et ce n’est ni une critique négative, ni un cri de joie) : il importe de parvenir à créer du consentement en maximisant les capacités de propagation des messages clés des politiques.
En clair, le rôle d’un spin doctor est de livrer sans merci une bataille “création d’arguments vs destruction d’arguments“.
On parlait ici récemment de “deep acting“. Je crois que le web dit social n’a jamais autant mis cet enjeu au coeur du politique.