n billet de Guillaume Erner sur France Inter ce matin me donne envie de reprendre la plume, pour parler, encore et toujours, des raisons pour lesquelles la médiation scientifique devrait automatiquement être didactique, et quelle serait finalement son but. Guillaume Erner (je vous laisse d’abord écouter son billet d’humeur particulièrement réussi) propose une idée sociologiquement simple : les gens ne croient plus au progrès, cette notion très XIXème et XXème siècles qui serait associée à la science, à cette sorte de religion laïque (qu’il chroniquait d’ailleurs hier, deuxième son). Le progrès scientifique n’est plus. On ne peut plus croire personne, et surtout pas chez les soit-disants experts qui seraient capables de nous vendre une centrale atomique non polluante, un vaccin contre les corps aux pieds, que sais-je encore. « C’est de la sience » nous rabattent les oreilles Loreal et consorts pour nous dire que c’est bien. Sauf que … on y croit plus.
Souriez vous êtes informés 25-04-2011
La doxa nous impose cette pensée : si seulement les gens étaient mieux informés, s’ils étaient capables de décrypter l’information scientifique, d’en comprendre les enjeux, les tenants et les aboutissants, si seulement une éducation populaire avait réellement lieu, alors un progrès serait-il à nouveau possible ! Le problèmes est qu’on ne s’adresse pas « bien » aux gens, ou intelligemment. La pédagogie est la seule fonction du progrès : une idée qu’on retrouve dans le second son, émouvant, pathétique peut-être …
40% des enfants sont vaccinés contre la rougeole ! On a beau expliquer comment fonctionne un vaccin, par quoi s’explique son innocuité, les problèmes que produit la bactérie responsable de la rougeole, etc… rien n’y fait, cette éducation n’a aucun effet, et on pourrait même dire qu’elle a un effet inverse de celui escompté : à force de parler et de répéter le même message, le sens s’estompe et on se retrouve avec des gens qui « savent » mais y apportent leur propre sens : dans un cadre biodynamique, le vaccin est mauvias (par exemple). Et malheureusement, le sens n’est pas prescripteur, et n’est pas non plus permanent : à force de dire que le vaccin contre la grippe A et le virus H1N1 est important, car la maladie est létale, le sens disparait dès que la maladie se révèle quasi inoffensive.
D’ailleurs, le débat scientifique, tant parmi les médecins que les immunologistes a montré cette impermanence du sens par les différents avis exprimés. Aujourd’hui, le débat autour du nucléaire montre cette même chose : ce n’est pas parce qu’on connait l’atome et ses secrets qu’on n’a pas peur de l’industrie nucléaire ou tout au moins qu’on est pour ou contre, comme si ces deux choses n’avaient rien à voir l’un avec l’autre. Comme si savoir et décider n’auraient en fait rien à voir.À nouveau, le billet de Guillaume Erner d’hier : cette religion laïque bat de l’aile. Et face à un public de plus en plus éduqué, une éducation qui permettrait la construction du sens qui permettrait à son tour l’idée d’un progrès s’avère potentiellement contre-productive.
Le fait de savoir ne laisse en rien préjuger de l’idée de choisir, ou tout au moins n’est pas une condition suffisante. En tout cas, on n’aurait pas réussi à trouver mieux, selon quelques uns de mes détracteurs qui me demandent parfois : mais qu’est-ce que tu fais, toi ? Ce à quoi je réponds : je construis un nouveau modèle, dans lequel l’éducatif et le pédagogique seraient séparés de l’idée de vulgarisation et de médiation scientifique. Un modèle dans lequel le scientifique médie tout le temps, qu’il ne fait que changer de public selon qu’il s’adresse à des collègues, à des scientiiques, à ses élèves, aux médias, au « grand public ». Qu’il n’est pas forcément sur un mode pédagogique. Et que c’est la seule solution pour pouvoir revenir à une pensée de progrès possible : un « sustainable progress », comme il y aurait un « sustainable dévelopment ».