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Patois, m’entends-tu ?

Publié le 26 avril 2011 par Grenet92

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« On a on bin galé canton,
Dâi vé, dâi vatse, dâi muton,
Dâi tsamouê, dâo brotsi, dâi cygne,
Dâi lé, dâi verdzi, dâi boûx,
Pî on glacê âo Diablerets,
Dâo tabac, dâo bllia, dâi vegne.
Mâ, dzalâo, on bon Dzenevois
M’a de avoué on è moquéran :
« Permetta ! vouû vo demanda auque :
Du san vutron rio freintsamein ? »
L’avâi reubllia tot seimpllemein…
La Venodze…

On rio, assebin, l’è de l’iguie
Que côle avoué on galé niveau.
Tot parâi, n’è min lou Rio Dzauno
Mâ, l’è bin noûtro, l’è tot vaudois
Du que clliau bon Dzenevois
N’an qu’on petit bè dâo Rhône.
L’è quemet cin « Il est à nous le Rhin »
Clliau tsan d’on « peuple souverain »
L’è tot faux, câ lou Rhin s’ein va pllie liein,
Vire ein France, dein lou Payi d’Avau.
Mâ li, li resta inque…
La Venodze…

Faut ître dâi bon lulu
Po la suivre d’amon ein avau.
On a bin dâo coradzo
Porquié ne va pas tot drâi ;
Coumeince a veri decé è delé,
Liein dâi cabaret, liein dâi veladzo.
Se prein son pllâisi a mûsa,
A sé gofllia, a fare dâi cambelioutse
Caprichâosa quemet na tirelodze.
Montra mimamein a tot lè dzein
Dâi photos dâo Colorado…
La Venodze… »

[Par Jean Villard Gilles, traduction patoise de Michel Porret]

La Venoge. N’est-ce donc pas là, sinon le plus célèbre, au mois l’un des plus connus de tous les poèmes suisses romands ? Mais si grandioses que soient les vers de Gilles, ils ne feront pas l’objet de ce texte. Le patois vaudois lui ravira l’attention. Elle peut bien pour une fois lui être accordée, lui qui est moribond. Seule une poignée de passionnés causent encore aujourd’hui le parler ancestral des Vaudois.

Mais comment diable une langue peut-elle se laisser mourir ? S’agit-il d’une sélection naturelle, qui laisserait les idiomes chétifs et arriérés s’éteindre ? Voilà qui n’est sûrement pas aussi simple.

En effet, le trépas des cultures auquel nous assistons aujourd’hui, d’une ampleur historiquement inédite, n’est aucunement un phénomène ordinaire. Bien sûr, des langues sont mortes par le passé. L’exemple sans doute le plus connu en Occident est le latin, lequel a donné naissance à quantités d’autres parlers : le français, l’occitan, l’espagnol, le roumain, le portugais, le catalan, l’italien, pour n’en citer que quelques-uns. Cependant, de nos jours, l’anéantissement des langues est diluvien : le basque se barricade pour résister aux assauts de ses deux grandes voisines. Le romanche, cerné par les dialectes suisses alémaniques, ne vit presque plus que grâce aux subventions coupables de la Confédération. Mais, plus gravement encore, l’anglais affiche sans vergogne ses visées néo-colonialistes. Il absorbe les idiomes indiens d’Amérique du Nord, torture le gaélique et décime les langues aborigènes d’Australie. Les communautés marginales se voient souvent forcées d’adopter la langue du plus fort : comment un francophone de Louisiane pourrait-il trouver du travail ou mener à bien ses études s’il ne parlait que la langue de ses aïeux ?

Le canton de Vaud qui m’a vu naître a refoulé une partie de son identité autrefois, abdiquant face à la langue dominante de l’époque. Cette contrée fut pendant plus de deux siècles, depuis 1536 jusqu’à 1798, sous le joug de Berne. Celle-ci imposa aux Vaudois sa religion et sa bureaucratie, mais leur laissa la liberté de continuer à parler leur propre langue, une variante du franco-provençal. Cette langue, dont le peuple était séparé par des barrières politiques, se parlait, outre le canton de Vaud ; en France : le sud de la Franche-Comté, l’Ain, le Lyonnais, le Forez, le Dauphiné et la Savoie ; en
Italie : le val d’Aoste, la partie supérieure des vallées piémontaises entre Aoste et Suse ; en Suisse : en Valais, à Genève, Fribourg, Neuchâtel et une frange du Jura méridional.

Malgré le choix de la langue laissé par les Bernois, la haute société des villes abandonna dès le début du XVIIIe le parler ancestral et adopta le français, jugé plus prestigieux. Le processus s’acheva à la fin du siècle à Lausanne, peu après la Révolution française qui répandit l’idée d’un idiome unique.

Puis, de sa propre initiative, le canton de Vaud interdit la langue régionale à l’école dès 1806, après avoir acquis son indépendance : « Les régents interdiront à leur écoliers, et s’interdiront absolument à eux-mêmes, l’usage du patois, dans les heures d’école et en général, dans tout le cours de l’enseignement. » (Arrêté du 26 octobre 1806 du Petit Conseil). Les enfants étaient battus par leur professeur s’ils s’aventuraient à s’exprimer en langue vulgaire. Il n’est pas nécessaire d’expliciter que lorsqu’une langue cesse d’être transmise dans les écoles, ses chances de survie sont bien maigres.

C’est ainsi que le franco-provençal vivotera après son interdiction jusqu’au milieu du XXe dans les régions les plus reculées. L’irruption de la radio dans la vie quotidienne de la population, émise en français, ainsi que l’exode rural et le déclin de l’agriculture sonneront le glas du patois.

Néanmoins, même après la chute (irréversible ?) du vieux langage, les mots et expressions régionaux restèrent répandus : septante, huitante et nonante en sont certes les spécimens les plus courants, mais des dizaines d’autres teintent le français d’une délicieuse couche locale : s’encoubler (trébucher), gouille (flaque d’eau) ou encore crousille (tirelire).

Ailleurs en Suisse, le franco-provençal ne se transmet guère plus de génération en génération que dans une seule commune valaisanne : Evolène. Sa situation géographique, coupant le village à toute influence extérieure avant la modernisation du Vieux-Pays, explique cette exception. Si le patois vaudois n’est plus, l’une de ses sœurs garde donc la tête haute. Celle-ci survivra-t-elle au XXIe siècle ? Rien n’est encore gagné, la communauté de patoisants n’étant peut-être pas suffisamment grande pour assurer son avenir. Mails il reste l’espoir. Et il fait vivre.

Pour en savoir davantage sur le vieux parler du Pays de Vaud, cliquez ici.


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