« Pékin, l’une des plus grandes métropoles de la planète, est entrée de façon spectaculaire dans le vingt-et-unième siècle ».
Elle est maintenant, comme nous le montre le film, hérissée de tours imposantes et ultramodernes.
Mais n’est-il pas intéressant d’essayer de savoir « comment et pourquoi » une ville qui, pourtant, au départ, ne semblait guère vouée à un tel destin est devenue la « capitale du pays le plus peuplé du monde » ?
Pékin se trouve, comme chacun sait sans doute, au nord-est de l’immense Chine, c'est-à-dire en « zone tempérée » (ce qui implique « étés chauds » et « hivers rudes »), dans une « vaste plaine » située à 150 km de la mer.
La région fut très anciennement peuplée, puisqu’elle a conservé les traces de « l’Homme de Pékin », un ancêtre de notre espèce qui avait élu domicile dans les « reliefs abrupts » et protecteurs ceinturant le futur emplacement de la ville.
« Depuis près de mille ans, Pékin est la capitale de la Chine ». Reste que cela n’a pas été toujours le cas.
Pour en savoir plus, remontons, avec le documentaire, le cours de l’Histoire…
A l’époque où le premier empereur et fondateur de la Chine, QIN Chehuangdi, met fin à la période de divisions dite des « Royaumes Combattants », le Royaume de Pékin revêt déjà une importance stratégique de premier ordre : il est, en effet, en toute première ligne face à la constante menace des nomades des steppes du nord. Redoutables guerriers, ses soldats furent, du reste, les derniers à capituler devant les forces unificatrices et non moins redoutables du fondateur.
Puis, au dixième siècle (très exactement en l’an 536), la ville se trouva « offerte » par l’empereur JIN au chef des KI-TAN, constituant, ainsi, le « premier morceau du pays » à se voir cédé aux Barbares à l’intérieur de la GRANDE MURAILLE. Le documentaire nous apprend que « ce sont les Ki-Tan qui firent Pékin ».
Là-dessus, arriva une nouvelle « tribu de conquérants », les JU-TCHEN, à l’origine de la fondation de l’ancienne cité de Pékin. Ces gens exercèrent une telle pression sur les Chinois HAN que ces derniers éloignèrent leur capitale.
Au XIIIe siècle, en l’an 1211 de l’ère chrétienne, ce fut au tour des MONGOLS, à la « réputation sanguinaire », d’investir cette région attirante. Partis de leur capitale, KARAKORUM, ils jetèrent leur dévolu sur JIN (c’est là le nom de l’ancienne Pékin). Mais ce ne fut qu’au terme d’un « siège terrible » que GENGIS KHAN obtint la reddition de la place. Au passage, signalons que les femmes se jetèrent du haut des murs de la ville, de peur d’être violées. La cité fut « brûlée entièrement » par l’impitoyable chef barbare, au point qu’à l’heure présente, « il ne reste rien de cet ancien Pékin ». L’Empire Jin occupait tout de même « la moitié du territoire chinois actuel ».
Mais le grand conquérant mongol ne s’attarda pas dans la ville conquise. « A ses yeux, les villes importent peu » ; ce qu’il vise, c’est « la conquête du monde ».
Il n’en ira, par contre, pas de même pour son petit-fils KUBILAÏ. Après avoir conquis, de haute lutte, le titre de KHAN à la faveur d’une guerre civile , Kubilaï, « brillant stratège », réussit à mettre l’armée chinoise en déroute et, en 1271, se fit sacrer empereur de Chine.
Cependant, il va de soi que « les Mongols ne peuvent soumettre la Chine toute entière » et, viscéralement méfiant, Kubilaï prend soin de s’entourer de non-chinois : des Perses, des Turcs, des Musulmans, etc. Ce qui ne l’empêche pas, par souci d’ « amadouer le petit peuple », de donner un nom chinois à sa dynastie, les YUAN.
Kubilaï gardera sa défiance envers les chinois toute sa vie. En conséquence, écartée des grandes affaires du monde, l’élite locale se tournera, avec brio, vers « l’expression artistique », et l’ère mongole verra fleurir un véritable âge d’or de l’art, sous toutes ses formes : « peinture, poésie, littérature », mais également « théâtre à chorégraphies acrobatiques » » qui, de nos jours encore, reste une spécialité chinoise bien connue, et très vivante.
Désormais, Kubilaï, en tant que détenteur du « sceau impérial » (un « bloc de jade rouge finement sculpté ») qui, lors d’une cérémonie de « reddition officielle », lui fut remis par une « délégation chinoise », est le maître, « l’Empereur incontesté de la Chine ».
Or, sa jeune dynastie Yuan a besoin d’une nouvelle capitale. La capitale chinoise traditionnelle, HAN-SU, est située « trop au sud », tandis que la capitale mongole, XANADU, se trouve, au contraire, « trop au nord » : « Kubilaï rêve d’une nouvelle ville ». Ses conseillers trouvent la « perle rare » en l’ancienne capitale de Jin.
Dès lors, l’empereur confie son projet urbain à « un moine chinois et un conseiller musulman », qui établissent les plans, concevant « un carré parfait, la ville la plus grandiose de l’univers ».
Le chantier s’installe, et il s’agira d’un « chantier pharaonique ».
On choisit de construire « au bord des ruines de l’ancienne capitale ». Pas moins de « sept ans de labeur » seront nécessaires à l’édification de la ville qui, dès avant même son achèvement, attirera les immigrants venus de tous horizons en masses.
On assiste alors à une véritable explosion démographique : en 1274, ce qui est devenu désormais DA-DU (« la grande cité » en chinois) compte déjà un demi million d’habitants, soit le double de la population que comptait la ville de Paris à la même époque, et six fois plus que celle de Londres !
MARCO POLO eut le privilège de visiter cette capitale au temps de Kubilaï, juste après son achèvement, de sorte que l’Occident put se faire une idée de ce qu’elle représentait.
Mais Kubilaï se trouve vite en butte à un problème de taille : les « importants besoins en eau ». Comment alimenter en eau une ville d’une telle importance ?
C’est alors qu’il se tourne vers « l’un des plus grands savants » que compte la Chine, un dénommé GAO CHAO-JIN. Célèbre pour avoir calculé, bien avant tout esprit européen, le nombre de jours de l’année solaire (365), Go est également, ce qui tombe bien, un « ingénieur hydraulique ». Le film nous le montre se lançant, à cheval, en quête de l’eau salvatrice. Cet homme génial met finalement au point « un système de captation d’eau des sources qui alimente encore Pékin aujourd’hui ». Ce système alimente, d’une part, « un réseau de lacs artificiels urbains situés à l’est de la ville » qui devient vite un « lieu enchanteur de villégiature impériale » (et qui, d’ailleurs, demeure aujourd’hui un des « hauts lieux de Pékin »), d’autre part divers réservoirs d’eau potable, creusés cette fois au nord de la concentration urbaine.
Toutefois, reste encore un problème, celui de l’acheminement vers le monstre urbain des « denrées en provenances des régions agraires du sud », qui était jusque là loin d’être aisé. Go y remédie en agrandissant le GRAND CANAL, qui existe depuis le VIIe siècle ; il détourne son tracé vers le nord. La Chine est, à ce stade, dotée de ce qui, encore de nos jours, demeure « le plus long canal du monde », ainsi que d’un « vaste réseau de canaux et de fleuves » qui lui permettent non seulement d’approvisionner en riz la nouvelle capitale mais encore de lever « l’impôt impérial » beaucoup plus facilement.
Désormais correctement et régulièrement alimentée en eau et en grains, la cité de Pékin peut entamer, sans souci, sa « croissance rapide ».
Sous Kubilaï, « la ville est particulièrement verdoyante », sans doute d’abord parce que « l’empereur adore les arbres » et « collectionne les arbres exotiques du monde entier ».
Autre atout , « le plan de la ville se déploie selon une symétrie parfaite » : « les avenues sont très larges, perpendiculaires et rectilignes ». Et le documentaire, à l’appui, de citer le précieux témoignage de Marco Polo : « toute la ville est divisée en carrés, comme un échiquier ».
Socialement, Pékin s’avère être une ville « très cloisonnée », où les chinois de souche vivent au-delà des murs, « dans le quartier sud » cependant que les Mongols se concentrent au centre, tout près de l’Empereur.
C’est de cette époque que date la mode des fameux quartiers de HU-TONG qui actuellement (quoi qu’en très nette voie de disparition) existent encore : « rues étroites », longeant des « cours intérieures invisibles » autour desquelles, à l’abri des regards, se groupent les immeubles reliés par des « vérandas » ; autant de « havres de paix » très prisés. Mais, en dehors de ces quelques (maintenant rares) Hu-Tong, « il reste très peu de vestiges de la ville de Kubilaï », qui dut être pourtant bien belle.
Juste après la mort de ce dernier, d’ailleurs, une « révolte paysanne » poussera les Mongols à, carrément, « quitter la Chine ».
Redevenue, à la suite de ces évènements, pleinement chinoise, Pékin verra, tout aussitôt, la construction d’un nouveau mur d’enceinte à partir de maisons recyclées. Ce qui s’explique : la crainte d’un retour des Mongols reste très vivace !
Les Hu-Tong que l’on doit au règne de l’Empereur Kubilaï disparaissent corps et bien : ils ne « ressortiront de terre » que dans les années 1960, lors de la construction du métro pékinois !
La nouvelle dynastie des MING choisit de redéplacer sa capitale au sud, à NAN-JING et Pékin se voit, pour un certain temps, vouée à l’oubli.
Elle n’en réémergera qu’en l’an 1399, au moment où le prince CHU-DI « prend les armes contre l’Empereur, son père ». Parti de Pékin, Chu-Di va guerroyer contre ses ennemis chinois pendant « quatre ans », au terme desquels il finira par se rendre maître de la Chine. Mais il se trouve qu’à Nan-Jing, où les complots abondent, il ne se sent pas du tout en sécurité. C’est ce qui motivera, en 1406, sa décision de redonner à la ville du nord son statut de capitale. Non sans mal, car il peinera à convaincre les dignitaires de déménager : les Chinois n’apprécient en effet guère Pékin qui, pour eux, est une « cité glaciale, trop proche de la Grande Muraille » et donc, de la menace mongole. Qu’à cela ne tienne : Chu-Di les calme en y faisant bâtir un « nouveau palais » : « un kilomètre de long, 900 bâtiments, 14 années de construction » requérant la mobilisation d’ « un millier d’artisans et d’un million d’ouvriers »…ce n’était tout de même pas rien !
En 1420, la CITE INTERDITE est achevée, qui, sans délai, « devient l’une des merveilles du monde ». Et, en 1421, Chu-Di y célèbre, pour la première fois, le nouvel an lunaire !
Elle compte très exactement « 8886 pièces » et ses douves sont « larges de plus de cinquante mètres », ce qui atteste de sa fonction tout aussi bien « défensive » que d’ordre « esthétique ». Elle comprend en outre une « colline artificielle » bâtie avec des gravats, et le fameux TEMPLE DU CIEL, pourvu lui-même d’un AUTEL DU CIEL « entièrement fait de marbre », dont l’accès, à l’époque impériale, sera « strictement interdit » au commun des mortels. Seuls, « les empereurs les plus consciencieux » y auront accès, qui viendront « y prier les dieux trois fois l’an » (pour obtenir de bonnes récoltes ainsi que la venue de la pluie, ou pour remercier de ces bienfaits, salutaires à la Chine).
La Cité Interdite trône au centre de la cité de l’Empereur Chu-Di, laquelle demeure « très cloisonnée ».
Par ailleurs, Chu-Di, resté très attentif à la menace mongole, s’applique à faire reconstruire la Grande Muraille qui est dans un grand état de dégradation : il faut savoir que ce qui en subsiste à l’heure actuelle date de son époque.
En 1644, de lointains descendants des Ju-Chen, les MANDCHOUS, prennent possession de l’Empire du Milieu. Ils ont, d’emblée, la curieuse idée de faire monter sur le « Trône du Dragon » un enfant du nom de CHUN-ZI, « sous la régence de son oncle ».
Les Mandchous repensent en profondeur l’organisation de Pékin. Cela se traduit en particulier, concrètement, par un véritable nettoyage ethnique au cours duquel les « habitants chinois » se trouvent expulsés et interdits de séjour dans une bonne partie de la capitale. Une « ségrégation raciale » s’installe alors dans cette dernière, avec, pour cause, la méfiance profonde que les Han inspirent aux nouveaux occupants.
Les premiers empereurs mandchous, n’appréciant pas, avec cela, de « régner derrière les murs de la Cité Interdite », émigrent vers leur toute nouvelle construction située à 11 km au nord de la ville, le PALAIS D’ETE, où ils transfèrent aussi le siège du gouvernement. Ils seront, durant « 200 ans », les seuls à jouir des nombreux jardins qu’en « grands amateurs de plantes » qu’ils sont, ils y ont agencé.
Voilà pour l’Histoire. Comme on le voit, « Pékin est l’un des symboles fondateurs de la Chine ». Son histoire mouvementée, à elle seule, témoigne du génie scientifique, technique et assimilateur de cette civilisation millénaire, la plus ancienne de l’humanité si l’on excepte l’Inde.
Pékin : une cité, des hommes en nombre travaillant sans relâche, un dynamisme, une énergie tenace mis au service de grands projets. Un mélange détonant de combativité et de raffinement.
Une pareille ville, à coup sûr, « ne peut laisser indifférent » quiconque.
P. Laranco