le temps elastique

Le rapport au temps est élastique ici, tout comme le caoutchouc le temps est capable
de se détendre, mollement et d’un seul coup, l’élastique claque et tout s’accélère.

A l’image de cette fois où, à Kangoussi, au pays des hommes intègres (Burkina Faso), 

j’ai attendu 
pendant trois jours un transport pour rejoindre la capitale Ouaga.

Trois jours avec le temps comme en suspension, une belle initiation ! Les sacs faits, le feu éteint et des voisins qui venaient nous annoncer régulièrement un transport... Le suspens était entretenu et l'attente dynamique et figée à la fois, une drôle d'impression. 

Après plusieurs années de vie sur le continent, on ne m'y prend plus !

Puis, dans le lointain, un bruit de moteur et emballement du temps. En 1mn à peine, il fallut

ranger le campement, dire que l'on venait d'allumer un foyer intégré (espèce de bbq) pour
faire du thé…Le véhicule arriva, enfin un ersatz voiture, plus de vitre, les sièges arrières remplacés par des pneus entassés qui, ceci étant dit, étaient autrement plus confortables qu'assis directement sur le sol car pour mettre plus de passagers, le chauffeur, rationnel en diable, avait tout 
bonnement enlevé des sièges !

Accélération puis nouvelle décélération, après nous avoir pris en charge, la voiture s’arrêta...

500 m... plus loin … où une nouvelle attente de plusieurs heures nous attendait et sous le soleil cette fois.
Car partout sur le continent, les véhicules démarrent lorsqu'ils sont remplis, pas question de laisser des places de vides. 

J'ai souvent rencontré des occidentaux fraichement arrivés 

qui posaient cette question : « Quand le bus part il ? » 
et l'interlocuteur africain, avec une grande évidence et tout 
surpris de ce questionnement, de répondre 
« Mais, quand il sera plein ».

Le rapport au temps entre l'Africain et l'Européen 

(déjà entre l'Europe du nord et du sud, c'est le même air 
mais pas la même chanson..) est radicalement différent.  
Comme me le disait un vieil homme rencontré dans une dolotière de Ouagadougou 
« Vous les blancs, vous avez une montre mais vous n'avez pas le temps ».

Time is monney ?

Pour les occidentaux, c'est comme si le temps existait objectivement avec des propriétés chronologiques, objectives et mesurables. Le temps absolu comme la théorisé Newton : « Le temps (…) absolu, véritable, s'écoule 
par lui même, par sa propre nature, 
uniformémentet non en fonction d'un objet extérieur ».
La plupart des occidentaux se sentent au service du temps, en sont presque les sujets, 
en respectant scrupuleusement délais et dates, jours et heures. 
Certains pourtant résistent « avoir le temps, 
d'avoir le temps »...car il se pourrait 
(et c'est une hypothèse) que notre perception 
du temps occidentale fut façonnée par 
l’organisation (scientifique ?) du travail de 
production économique dans la société.

C'est le règne de l'agenda et des délais, des pendules dans tous les coins et « du temps c'est de l'argent ». 

Élasticité du temps vécu

Dessin à voir dans son site ici

Comme a pu le démontré l'exemple plus haut, la perception du temps par les Africains est ouverte, élastique et subjective.
A l'inverse de l'occidental, ce sont les hommes qui ont une action sur le temps, son déroulement et rythme. Dans cette vision, le temps est le résultat de l'action et sans action le temps peut s'arrêter voir sombrer dans une torpeur, ce que j'ai appelé plus haut le temps suspendu ou intervalles vides de temps, vraiment ?

En pratique et au quotidien cela a donné lieu à de beaux arrachages de cheveux (que j'ai heureusement en nombre). Dois je ici mentionner la licence de tourisme que nous avons attendu... 5 ans ? 

Et ajouter que nous sommes toujours en attente du permis de construire du Busua Inn ouvert il y a presque 6 ans ?
La question du quand ? N'existe donc pas ici et si d'aventures elle est posée, la réponse est immanquablement 
un grand sourire (on ne contrarie pas son interlocuteur) avec bien 
évidemment des réponses les plus fantaisistes les unes que les autres puisque cette 
question  n'a pas lieu d'être et recouvre une conception inconnue !

Je vous laisse imaginer les débuts en cuisine ici, où l'habitude du « un peu un peu » est 

prégnante...Une seule chose à la fois, puisqu'on a le temps...Concrètement, on ne prend pas rendez vous, d'ailleurs, il existe un proverbe qui dit 
 « le hasard vaut mille rendez vous », me semble bien que c'est bantou.On vient quand on est prêt, ce qui donne l'occasion de belles oppositions entre les 
2 conceptions.Et même si rendez vous est pris (par hasard), il est bien rare qu'il soit honoré en temps et 
heures, ainsi je connais par cœur la salle d'attente de l'avocat, pour l'avoir observée longuement. 
Maintenant, je donne rendez vous chez moi...Comme le dit si bien le dicton "il faut être pris 
pour apprendre" !

Ici un article sur la discordance des temps en Afrique qui peut aider à faire comprendre ce

rapport au temps si différent. A l'inverse, le temps peut tout aussi bien s'accélérer de manière impromptue voir brutale, 
à l'occasion d'une opportunité à saisir, d'un changement de situation.

Encore une anecdote, récente : un ami nigérien est arrivé mi décembre pour 15 jours. Trois mois plus tard, il est toujours là. Il vient de se rendre à Accra disant qu'il revenait à la fin 

de la semaine. On l'attend pour début juillet.

Comme l'écrivait si joliment Prévert : « le temps mène la vie dure à ceux qui veulent le tuer », 

ce à quoi en écho ce proverbe africain dit : « Il n'y a pas qu'un jour, demain aussi le soleil 
brillera ».

Take time : for sale