Le colloque organisé hier et avant-hier, à Tizi Ouzou, sur la vie et l’oeuvre de Slimane Azem, a été une réussite et ce, sur plusieurs plans.
D’abord par l’aspect organisationnel qui a été à la hauteur de l’événement et du personnage dont la dimension mythique n’est plus à prouver, mais aussi par la liberté totale qui a caractérisé le déroulement des débats. Ces derniers ont été parfois houleux, mais sans débordement aucun en dépit du fait qu’un sujet des plus sensibles a été abordé par un ancien officier de l’ANP, à savoir Si Ouali qui a occupé plusieurs postes de responsabilité dont celui de chef de daïra. Ce dernier, dans son intervention, a adressé des accusations graves à l’encontre de Slimane Azem.
L’orateur a révélé «des accointances qu’aurait eues le poète avec l’armée française, notamment en ayant chanté en 1959 dans une caserne de la région de Makouda devant un public constitué de militaires français et de harkis».
L’intervenant a indiqué, en outre, que Slimane Azem avait composé plusieurs chansons où il affichait sans ambages une position hostile à l’égard des moudjahidine. Malgré l’extrême sensibilité du sujet, les échanges de propos se sont déroulés dans une ambiance que l’on pourrait qualifier, sans hésitation aucune, de civilisée, puisque l’ancien officier a eu droit à plusieurs réponses formulées dans la sérénité, notamment de la part du public, mais aussi de la part des conférenciers qui ont cité des chansons qui contredisent les propos du premier intervenant, notamment les deux célèbres textes: Idehred w aggur et Fegh ayajrad tamurt iw.
Le colloque, en dépit de cette parenthèse, à voir du bon côté, puisqu’elle permet de débattre de toutes les questions fussent-elles celles relevant du tabou, s’est déroulé dans un climat enrichissant avec les échanges de plusieurs informations et points de vue qui ne convergent pas forcément. Mais c’est sans doute le témoignage inédit du célèbre comédien Mohamed Hilmi qui était le plus attendu. Ce dernier a connu et côtoyé Slimane Azem à partir de 1951. Les deux hommes ont même travaillé ensemble.
Mohamed Hilmi a réalisé une pièce écrite par Slimane Azem pour la radio kabyle. Hilmi a aussi participé à l’enregistrement des sketchs de deux chansons de Slimane Azem. «L’angoisse de la nostalgie et la souffrance du chagrin de la distance qui l’éloignait de sa terre natale et des siens le renfermaient dans une solitude chagrinante qu’il essayait de supporter péniblement par des semblants de rêves qui stimulaient son subconscient, soutenu par la consolation qu’il trouvait dans la poésie et les chants populaires hérités oralement du patrimoine ancestral», a souligné Mohamed Hilmi.
Ce dernier a ajouté, que Slimane Azem devint un amateur de la chanson au bonheur de ses amis, ces ouvriers émigrés qui trouvaient en sa compagnie un moyen d’oublier, de temps à autre, leurs pénibles soucis quotidiens, jusqu’au jour où, pendant qu’il chantait dans un café, entouré de ses habitués, il attira l’attention de Mohamed El Kamel, auteur-compositeur bien connu auprès des publics de l’émigration et en Algérie grâce à l’enregistrement de ses chansons réalistes interprétées par sa voix agréablement trépidante».
Mohamed Hilmi a révélé que Mohamed El Kamel a été séduit par la voix mélancolique d’Azem et il lui conseilla avec insistance de composer lui-même ses propres chansons et constituer un nouveau répertoire original. L’orateur a indiqué que depuis cette rencontre providentielle, Slimane Azem et Mohamed El Kamel devinrent d’inséparables amis et collègues qui avaient le même amour de l’art et les mêmes visions sur la complexité de la vie quotidienne qu’ils essayaient de traiter dans leurs successives créations avec des formes différentes simultanément propres au génie imaginatif de chacun.
Concernant la facette de poète de Slimane Azem, Mohamed Hilmi a précisé, que ce dernier trouvait avec une facilité déconcertante les mots magiques qui subjuguaient les subconscients de ses auditeurs, il avait la douceur de langage, la sagesse de son raisonnement soutenu par ses gestes apaisants et son regard désarmant. Mohamed Hilmi a révélé que Slimane lui avait fait écouter les deux chansons, Idehred wagur et Fegh a yajrad tamurt iw, bien avant leur sortie sur le marché: «Surpris et émerveillé par le courage et la pertinence de Azem pour ces deux chansons qui étaient clairement nationalistes, nous l’avions supplié de les enregistrer. Azem répondit par un oui et l’enregistrement eut lieu la semaine qui suivit». Les deux chansons ont été diffusées sur la radio kabyle comme convenu, ce qui provoqua des réactions draconiennes de la part de la police et des administrations françaises concernées.
Plusieurs autres conférences ont eu lieu à l’occasion de ce colloque, programmées par Emev, une boîte spécialisée dans l’organisation de manifestations culturelles et économiques et dirigée par Malik Amirouche. La communication de l’auteur et chercheur, Abdennour Abdesselam, a rebondi longuement sur les textes de Slimane Azem. Le conférencier établissait un parallèle entre les événements importants qui se déroulaient à l’époque et les textes écrits par Slimane Azem durant la même période.
Abdennour Abdesselam a mis l’accent sur la dextérité que mettait Slimane Azem dans l’agencement des mots et la construction de ses vers. En plus des conférences, la Maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou a abrité la projection de deux films documentaires sur la vie et l’oeuvre de Slimane Azem.
Une exposition-vente de livres écrits sur le poète d’Agouni Gueghrane était au programme et les chansons de Azem étaient diffusées à gros décibels durant les deux journées. Un gala artistique avec la participation d’une dizaine de chanteurs devait clore la manifestation culturelle hier dans l’après-midi. Ces journées d’évocation ont eu lieu en présence de plusieurs célébrités à l’exemple de Mohamed et Saïd Hilmi, Rabah Ouferhat, Ali Ideflawen, Karim Abranis...L’affluence du public sur l’événement a été remarquable.
Par Aomar MOHELLEBI