Parce que le metteur en scène Lee Breuer a compris qu'il était suicidaire de tenter de faire oublier, même pour quelques heures, le film d'Elia Kazan et le sex appeal de Marlon Brando, celui-ci a eu l'intelligence de s'éloigner de l'aspect réaliste de l'oeuvre de Tennessee Williams pour aller chercher sa poésie, sans en atténuer la force, et nous propose, dans une mise en scène d'une étourdissante fluidité, une version d'"Un Tramway Nommé Désir" des plus oniriques. Superbe !
Disons-le tout de go, le spectacle est porté par la brillante Anne Kessler. Toute en nuances, à la fois légère et d'une grande intensité, sa composition de Blanche est loin des hystériques caricaturales que l'on a pu voir quelquefois. Traversant ce long rêve chorégraphié tournant au cauchemar (trois heures dix que vous ne verrez pas passer, je vous le promets !) aux côtés d'un Eric Ruff (Stanley) brutal et sensuel à souhait, et d'une Françoise Gillard (Stella) aussi juste en amante passionnée qu'en soeur complice, la comédienne prend le spectateur par la main et l'embarque loin, très loin, dans les méandres de ses névroses.
Evoluant au coeur d'une scénographie de toute beauté, épurée, en mouvement permanent (panneaux peints coulissants, estrades allant et venant), évoquant une Nouvelle Orléans japonisante, au son d'un jazz subtil joué et chanté en direct, les comédiens français nous donnent à entendre à merveille le texte de Williams. Amour, passion, fantasme, rêve, espoir, douleur, folie... Tout est là !
Brillant et surprenant !
Courez-y !
Photos : Cosimo Mirco Magliocca