Le rayonnement retrouvé
Trouvant l'existence trop douce en l'abbaye de Brioude, le chanoine Robert de Turlande quitta cette riante cité en 1043 pour s'enfoncer dans la montagne en quête d'absolu.
A la limite des monts du Livradois et de ceux du Velay, au-dessus d'un plateau désertique aussi éloigné de Brioude que d'Ambert ou du Puy, se dresse la majestueuse abbaye de La Chaise-Dieu. Robert de Turlande, son fondateur, inspiré par la colline ou se dresse l'édifice, sut très vite qu'en ces lieux soufflait l'esprit et de nombreux disciples vinrent y rejoindre l'ermite pour l'aider à y bâtir un monastère du nom de " Casa Dei " : la maison de Dieu.
A la mort de Saint-Robert, l'établissement bénédictin placé sous la protection pontificale, comptait quelques trois cents moines et des donations toujours plus généreuses lui assurèrent un développement que l'âpreté de la terre et son isolement ne pouvaient lui apporter.
Devenue La Chaise-Dieu par une altération du langage auvergnat, l'abbaye, après seulement un siècle d'existence, commandait à quelques 250 prieurés dispersés jusqu'en Italie ou en Espagne, ce qui faisait d'elle le troisième ordre monastique de France. Mais les armées rivales des Capétiens et des Plantagenets portèrent ensuite la destruction dans les contrées les plus reculées de la province et l'abbaye dut en payer un très lourd tribut. Au XVè siècle, un ancien moine devenu pape en Avignon sous le nom de Clément VI, confia à l'architecte occitan Hugues Morel, le soin de doter l'abbaye d'une nouvelle église que son neveu, Grégoire XI, fera achever.
Ce sanctuaire, que l'emploi du granit et le style languedocien apparentent plus à une forteresse qu'aux grands monuments gothiques du Nord de la France, est en outre flanqué d'un véritable donjon que l'on nomme la tour Clémentine. C'est grâce à elle que les moines purent victorieusement résister aux assauts des huguenots lors des guerres de religion. Cependant, l'instauration du principe de la commende condamna par la suite La Chaise-Dieu en un déclin lent et inexorable, les abbés ne songeant plus qu'à tirer profit de leur charge, oubliant les idéaux de saint Robert.
Au XVIIè siècle, le cardinal Serroni dota l'abbaye des grandes orgues qui sont restées depuis, l'un des plus beaux fleurons de l'abbaye. Le pouvoir royal compliqua la situation en envoyant sur ces terres lointaines quelques personnages encombrants tel le cardinal de Rohant, compromis dans l'affaire du Collier et la Révolution frappa le coup de grâce en délogeant les derniers moines de l'abbaye.
A la fin du XXè siècle, la lenteur de la résurrection des lieux fut à la mesure de leur splendeur passée et la restauration ne s'acheva que dans les années 1950.
En 1965, le pianiste Georges Cziffra se prit de passion pour les lieux et y lança un festival de musique sacrée devenu depuis, l'une des plus prestigieuses manifestations culturelles en France. En 1977, les grandes orgues furent à leur tour restaurées et retrouvèrent toute leur superbe originelle. Les pierres ont ainsi échappé à la marque du temps et l'esprit souffle à nouveau en ce lieu. Ce n'est certes plus celui de Saint-Bernard car les moines manquent à l'abbaye mais, chaque été, la nef résonne des accords des plus belles pièces du répertoire sacré sous la baguette des chefs les plus prestigieux.
Une impression d'une rigueur toute militaire se dégage de l'abbatiale saint-Robert lorsque l'on observe la façade occidentale encadrée par deux tours trapues donnant à l'ensemble des allures de vaisseau. Murs aveugles, gros piliers octogonaux dépourvus de chapiteaux, solide jubé flamboyant et large nef surbaissée se conjugent pour renforcer ce sentiment de solidité et de force en une architecture qui s'allie par certains aspect, au caractère rude de gens de ce pays de montagne. Le buffet d'orgue nous renvoie à la majesté du baroque et le reste du décor nous confirme que l'abbaye de La Chaise-Dieu est l'un des très rares sanctuaires des XIVè et XVè siècles à avoir conservé son mobilier et sa décoration d'origine. Ainsi, la construction du jubé s'est-elle accompagnée de l'installation de quelques 144 stalles de chêne dont on peut admirer tout le travail, installées sous de superbes tapisseries d'Arras et de Bruxelles que l'abbé Jacques de Saint-Nectaire donna comme toile de fond au XVIè.
Au centre du chœur, se trouve le tombeau monumental que le pape fondateur avait fait exécuter de son vivant et le sentiment tout particulier de la mort dans l'art moyenâgeux se trouve illustré également dans le collatéral nord, par la très fameuse peinture de la Danse macabre.
A la base de la tour Clémentine, la sacristie permet de gagner la salle du trésor où, entre autres tapisseries, Vierge en majesté et Christ d'ivoire, figure l'anneau brisé de Clément VI. Du cloître, construit en même temps que l'abbatiale, subsistent deux galeries, tandis que l'ancien hospice donne à visiter la curieuse " salle de l'Echo " qui aurait servit à la confession des lépreux.
Tel est le cadre prestigieux qui sert aujourd'hui de rendez-vous obligé aux mélomanes à la fin août et qui, l'hiver venu, voit le vent se saisir à nouveau des tours pour y tenir concert dans les profondeurs entourant la Casa Dei.