Le livre du jour - Pour quelques gouttes d'alcool, de Matt Bondurant

Par Benard

Au temps de la Prohibition

« Je vais vous dire, mon vieux : ceux qui partent fouiner dans les collines du comté de Franklin risquent fort de ne trouver que deux choses — du whisky frelaté et une pluie de coups de poing ! »Le meilleur moyen de finir sa vie avec un visage criblé de grenaille, c’est effectivement de se faufiler nuitamment jusqu’à un camp demoonshiners— ceux du clair de lune, autrement dit les distilleurs clandestins — en pleine activité.« Des types disent qu’à force de fabriquer leur whisky, il est entré dans leur sang, s’est ancré en eux et n’en est pas reparti. »

La faute à la Prohibition. Mais pas qu’à elle. A la fin des années 1920, dans le sud de la Virginie, les plants de tabac rabougris luttent pour sortir de la terre craquelée, les affaires tournent au ralenti. Partout, les gens se serrent la ceinture. Plus personne ne passe sur la route hormis quelques traîne-savates ou des hommes qui viennent de perdre leur travail. Le courant puissant de la voracité industrielle les pousse à déserter leurs établis, leurs ateliers, pour devenir eux-mêmes des rouages de la « machine ».

Comme quelques autres, Forrest, Howard et Jack Bondurant font tourner leurs gigantesques alambics de Turkeycok Mountain, et inondent d’alcool le comté. Partageant une obsession curieuse, ils rêvent d’énormes liasses de billets, de poches remplies de pièces de monnaie, de petits tas d’argent synonymes de petites ambitions. Et, pour sûr, on les connaît :« Ces gars-là… les frères Bondurant… La pire racaille qui ait jamais foulé le sol de Franklin ! »

A minuit, assis au bar du County Line Restaurant, quelques clients aux yeux de chien battu, tenant entre leurs doigts des cigarettes consumées jusqu’aux phalanges, évoquent cette nuit où Forrest a été égorgé, laissé pour mort, et a trouvé le moyen d’en réchapper.

Howard, lui, a découvert ce que tout buveur découvre un jour : avec un bon alcool, le cours du temps peut se figer. Il fabrique une « foudre blanche » d’excellente qualité, distillée à deux reprises et mélangée avec soin, que la plupart des habitants du coin apprécient et demandent à sa station-service de Blackwater — également réputée pour ses bagarres et ses beuveries. D’autres véhicules s’y arrêtent. Des individus à long manteau et chapeau impeccable, fusil entre les bras, chargent leur gnôle et mettent le cap au nord, vers Washington, Baltimore, Philadelphie.

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Pour quelques gouttes d’alcool, de Matt Bondurant, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Brévignon, L’Archipel, Paris, 2010, 345 pages, 22 euros.