J'aime beaucoup l'image que la Revue Médicale Suisse a choisie pour ce billet. Alors je le reprend, avec un lien vers l'original, en vous reproduisant l'article:
«La pauvre, elle vient de recevoir une mauvaise nouvelle...» La compassion de la voisine de chambre, à ce moment où elle a franchement ses propres problèmes, est profondément touchante. Compréhensible ; admirable même, sans doute. A cela près qu’elle n’aurait en fait pas dû connaître l’état de santé de sa voisine. La confidentialité dans un hôpital, c’est un problème difficile.
Tellement difficile, en fait, que l’on se sentirait presque tenté de déclarer forfait. Nous avons tous eu l’expérience de conversations de couloir qui n’auraient pas dû s’y tenir. Au fil des milliers d’heures qu’on y passe, on se sent presque chez soi dans un hôpital. Dans les ascenseurs d’hôpitaux britanniques, on est, semble-t-il, témoin d’une rupture du secret médical dans 3-7% des trajets, et il serait surprenant que les résultats soient très différents ici. La visite au lit du patient, inévitablement, mène à des conversations que d’autres patients entendent. Il semblerait d’ailleurs que les patients comprennent et ne nous en tiennent en général pas rigueur. Mais parfois ils taisent leurs propres informations par crainte d’être entendus.
Et c’est là le hic. Difficile à protéger dans un hôpital, la confidentialité n’en reste pas moins une pierre angulaire de la médecine. Contrôler l’information qui nous concerne, cette part de sphère privée non physique ; comment se confier à un soignant sans cette garantie ? Et comment pratiquer la médecine si toute anamnèse se voyait amputée des informations que le patient jugerait sensibles ? Une pierre angulaire, oui. Mais qui a sans cesse besoin d’être défendue. Les anthropologues nous le soufflent, les ragots nous sont un point commun. Avec l’esthétique, les soins aux enfants, le deuil, le conflit, la narration, les promesses, l’empathie, la peur de la mort, l’admiration de la générosité, le feu, le langage et le goût du sucre parmi bien d’autres, un élément parmi une longue liste d’universels humains. On tchatche dans toutes les cultures. Dire ce que l’on sait les uns des autres nous vient naturellement. Aller à contresens, ce n’est pas facile.
Mais en même temps, exercer la médecine c’est aussi accepter de ramer à contre-courant. Comme disait récemment un collègue : «C’est pas comme si faire le bien des gens était dans l’air du temps...». L’air du temps nous donne parfois l’impression que taire quelque chose est déjà presque être coupable. Il insiste toujours plus sur la transparence. Largement à juste titre d’ailleurs. Sauf que malgré tout cela, oui, nous avons des choses à cacher.
Alors dans un hôpital, comment fait-on ? Des affiches dans les ascenseurs ? Des rappels ? La réorganisation des lieux où l’on parle ? Protéger le secret médical peut prendre des airs de contrôle de l’infection... Car le courant de la transparence ne faiblit pas. Et les obstacles logistiques non plus. Les informations transmises avec la facturation se font plus détaillées. Des étudiants en médecine américains ont été repris pour avoir rompu le secret médical sur des réseaux sociaux. Le temps manque souvent pour prendre un patient à part. Les informations doivent circuler et parfois elles font un overshoot... Alors dans tout ça, vous feriez comment, vous ? Va falloir continuer à ramer, en tout cas.