Le projet consiste en une série de douze ateliers d’écriture durant le deuxième
semestre des étudiants en première année de Sciences Po, ayant pour but de procéder à l’écriture collective d’un récit
numérique via Twitter.
Les objectifs pédagogiques et les contenus des ateliers artistiques sont définis en adéquation avec le projet éducatif de Sciences Po : développer
l’imagination créative, le sens de l’observation, l’analyse critique, la capacité à s’exprimer en public et à argumenter ; l’aptitude à la prise de responsabilités et à l’autonomie, la
faculté à susciter une pensée originale et décentrée et le sens du collectif.
Ces enseignements invitent les élèves à s’interroger sur les arts en tant que moyens d’étude, d’approfondissement et de représentation des enjeux contemporains. Ils cherchent, en outre, à
stimuler la sensibilité, les facultés de communication et l’acuité intellectuelle de nos étudiants, lesquels sont encouragés à libérer leur imaginaire, à explorer leurs capacités
d’expression écrites, orales, sensorielles, corporelles, la connaissance d’eux-mêmes et de l’autre.
"L’écriture par Twitter relève d’un détournement d’une technologie au profit d’un désir d’écriture, écrit Alexandre Gefen : celui de produire une théorie d’états d’âme une météorologie de l’humeur du lieu, un flux atomistique d’autant
plus transitoire qu’il accepte de dissoudre sa propre voix dans le bruit immense de la présence textuelle numérique d’autrui. Cette discontinuité, qui interdit de constituer le texte en une nappe
unifiée dont la lecture serait prévisible et maîtrisable, produit des fragments qui s’exposent et se détachent poétiquement de la temporalité énonciative globale, de la timeline sociale
pour acquérir une portée expressive."
Twitter est un livre. Sur Twitter on est à la fois le lecteur du livre (les personnes qu’on
y suit, dont on lit les textes) et l’auteur de ce livre (le choix des personnes qu’on y suit, dont on lit les textes, détermine le texte qui s’écrit.
Chaque personne est un personnage. À mesure qu’on le suit, l’histoire qu’il raconte entre en interaction avec les autres personnages que l’on suit (et ceux que l’on
ne suit pas) prend forme, avance, se construit progressivement.
Une histoire de trajectoire, de trajets individuels, chacun part de chez lui, les trajectoires vont se croiser, se nouer, se dénouer. Sauf que non, les trajectoires
partent de plus loin, et elles sont aveugles. Tous parlent, bien sûr, ils tiennent tous leur rôle, ce ne sont pas des rôles, ce sont des vies, mais tous ne sont pas les narrateurs de ce texte. Un
texte à plusieurs voix qui se relayent, inégalement, sans autre ordre que la nécessité du récit, la force d’inertie du récit, lancé comme le destin qui échappe à chacun.
La structure du récit que nous écrirons reprend celle de Marelle de Julio Cortázar.
Faire défiler dans un long monologue de très nombreux personnages qui se rencontrent, se coupent, s’entrechoquent ou ne se rencontrent pas : un voisin, une amie, un père, un fils, et tous les autres, qui prennent corps et langue, tout autant pour le plaisir de la lecture que pour celui du théâtre, pour former un roman théâtral. Le bruit du monde passe par une seule bouche, un seul corps, une somme de voix dont le personnage serait le porte-parole. La vie et ses cahots.
Raconter cet événement en s’inspirant de faits réels qui n’ont pas eu lieu et en les décrivant sous tous les angles et avec tous les tons et les sons possibles, en composant un texte polyphonique à la forme éclatée.
Un ouvrage protéiforme s’attaquant à la fois à la forme du récit et au langage même de la narration, par le biais de monologues entrelacés et de digressions qui n’en sont pas mais qui entraînent une lecture erratique, sautant de tweets en tweets comme de case en case, selon une lecture linéaire suivie, ou dans un ordre prédéfini mais discontinu.
Ce que l’on voit, ce que l’on perçoit en marchant, dans ce mouvement ambulatoire, cette déambulation parole errante, dire le flot des passants, les mots courant sous le flux des images, la ville défile sous nos yeux par à-coups, brusques déplacements en fragments décousus, dans ce décor citadin si discontinu, petits bouts par petits bouts, c’est un détail, à partir de là une suite d’émotions, d’échos fugitifs, et de corps fuyants, une partie seulement, déjà un peu plus loin. On avance. Et dans cette avancée, ce que l’on sait d’avance, saisis d’office, dans un même temps, toujours un peu difficile de savoir ce que l’on ressent au juste, au fond, à l’intérieur tout va plus vite, pensées et situations parallèles, travelling avant et flash-back, silence on tourne, et toujours ce qui me regarde en paysages simultanés. On avance, on avance, c’est une évidence.
« L’écriture est un acte révolutionnaire, écrit Julio Cortázar dans ses entretiens, dans la mesure où l’on ne peut transformer l’homme qu’en transformant ses instruments de connaissance. »
Déroulé des séances d’atelier :
En deux temps :
1. Écriture de textes (à partir d’ateliers hebdomadaires).
2. Composition d’un récit numérique collaboratif (à partir des textes écrits en atelier), dont on diffuse des extraits, des fragments sur Twitter, ainsi que sur le
site Ouvrez.fr (création littéraire et enseignement) et sur le site de Pierre Ménard : Liminaire
3. Enregistrement sonore du texte écrit par tous les étudiants (avec diffusion si possible sur RSP, la radio
de Sciences Po)
4. Dissémination des textes (par le biais de tracts) et des enregistrements sonores dans l’espace de Sciences Po et de son quartier, par le biais de nuages de codes QR (un code QR est un code barre en deux dimensions). Une carte permettra de localiser les
endroits où les codes seront disposés.
Séance n° 1
Séance n° 2
Séance n° 3
Séance n° 4
Séance n° 5
Séance n° 6
Présentation du projet, de l’auteur, explication sur mode de travail.
À partir de la 4e séance, les étudiants commencent à intégrer des fragments de leurs textes sous forme de tweets.
À partir de la 10e séance, mise en forme du texte en vue d’une publication sous forme numérique et d’une dissémination urbain (via
impression et collage, dans dans le quartier et l’école, de codes QR.
Mode d’emploi :
« En fait, je crois que l’on peut écrire à partir de n’importe quoi. Des jeunes viennent parfois me demander des conseils. Je leur dis : descendez dans la
rue, marchez pendant cent mètres, revenez chez vous et essayez de raconter tout ce que vous avez vu, senti, remémoré ou imaginé pendant ces cent mètres... Vous pouvez avec ça faire un livre
énorme... »
Lucien Dällenbach, “ Attaques et stimuli ” (entretien inédit avec Claude Simon)
L’ensemble des tweets seront écrits par les étudiants de Sciences Po Paris et l’animateur de l’atelier d’écriture (en tout 18 auteurs) afin de composer le récit
d’une journée à raison d’un minimum de 10 tweets chacun par semaine, pendant 5 semaines.
Chaque étudiant doit écrire chaque semaine une partie de sa version du récit. Chaque étudiant exprime par ses tweets une dimension particulière du personnage, de sa
personnalité, son avatar.
Les tweets sont composés à partir des textes écrits lors des ateliers, des extraits de textes lus, ou d’éléments biographiques, choses vues, entendues, etc., ou de
créations inédites. Toujours au présent, à la première personne du singulier. Des phrases courtes allitérations, polysémies, raccourcis sémantiques, jeux de mots, de sonorités et de sens. à
travers de courts textes aux sonorités en échos, au-delà des assonances, exercices de précision rythmique, de composition, de phrasé, où les mots s’aimantent à toute vitesse, passant du coq à
l’âne. casse ses rythmes, à toute vitesse les varie, puis les syncope doucement, dans un décalage permanent, le déséquilibre toujours affleurant, jusqu’à nommer ses accentuations, sa stéréophonie
plastique.
Synopsis :
Un homme assis à sa table de travail, ne parvient pas à écrire le texte qu’il souhaite. Il regarde par la fenêtre de son appartement, écoute de la musique, ouvre un
livre, regarde son bureau, les photos au mur, puis décide de sortir pour se promener et changer d’air. Dans la rue, tout ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce à quoi il pense. Les gens qu’ils
rencontrent. Puis il rentre chez lui. Il retrouve son bureau. Un homme est assis là, il le voit de dos, à son bureau, en train d’écrire. Il s’approche et le reconnaît. C’est lui.
Exemples littéraires : Béatrice Rilos, Éric Pessan, Régis Jauffret
Béatrice Rilos, 100 caractères (espaces
compris), Publie.net, 2009.
Guitare sèche entraîne les pieds où le
cerveau malade, vieux, ne veut pas aller même sans les rails.
Le trajet interrompu par un colis
suspect par la rage rouge vire maléfique tord l’équilibre le plie.
À chaque porte s’ouvrant, dans la poitrine sursaute, les cris à venir question sans réponse avortée.
Après avoir raconté mon histoire, les larmes me reviennent en plein visage d’un passé qui rejaillit.
Puisqu’elle ne travaille pas vendredi, seule je vais trébucher samedi dimanche m’écrouler sur lundi.
De retour, la même situation, encore et encore, l’évitement des regards avec au fond le renoncement.
Éric Pessan, Moi, je suis quand même passé, Cousu-main, 2010.
Éric Pessan a écrit ce texte au fil des semaines entre octobre 2009 et février 2010 et le met en ligne sur Twitter. Cette période correspond à une attente, marquée
d’élans et de reculs. L’auteur écrit ce journal de patience en respectant la double-contrainte de cent quarante caractères maximum par tweet et l’utilisation de la troisième personne, le nom de
l’utilisateur devenant le sujet de chaque phrase.
De retour, la même situation, encore et encore, l’évitement des regards avec au fond le renoncement.
plonge la phrase dans l’eau ; elle ne se délite pas. En empoigne une seconde et se trouve muni de rames. Peut diriger son embarcation.
s’enroule pour la nuit dans une page. Aperçoit le mot "douceur" qui se détache du texte. Se dit que cela tombe bien. Ferme les yeux.
se répand, réalise que les images ne correspondent pas aux mots, que les souvenirs sont obliques. S’en doutait un peu, mais à ce point !
voilà, c’est provisoirement fini, comme suspendu dans l’attente du prochain voyage. L’envie demeure vive, cela arrivera.
Régis Jauffret (auteur de Microfictions), sur
Twitter.
Racontez-moi votre vie. Je monte dedans, et je la pique comme une bagnole.
La manie d’émettre des phrases comme une planche à billets de la fausse monnaie.
Les poussières d’îlots des atolls.
Je suis à vendre pour un prix unique d’un milliard d’euros. Mais on peut marchander.
Cinq heures du matin, et tout le monde est couché. Une belle troupe de lâches qui n’osent pas surveiller la nuit.
Je cherche l’amour, mais avec des exigences si nombreuses qu’on dirait que je cherche à faire passer un entretien d’embauche.
Ateliers à venir (jusqu’au 2 mai 2011) :
Séance n° 7 (1er exercice) :
À partir d’un texte préexistant, dans lequel on a sélectionné un ensemble de mots, de phrases, de façon imprévue, en cherchant autre chose, voire rien de
particulier, dans une approche issue d’une démarche heuristique qu’on appelle sérendipité, faire affleurer des histoires en filigrane, morceaux d’un roman, récits à demi-mot,
microfictions, nouvelles en devenir. Une succession d’instantanés qui scintillent, en vrac. Composer le travail d’une réparation unifiante, inventer des liaisons nouvelles, entre ces
mots choisis dans ce corpus dont on s’est imposé le rythme de prises et l’ampleur du tamis. Les tableaux fissurés se refont ailleurs. Et les scènes enfuies le sont dans le mouvement qui les
tisse.
Le spectre des armatures, Pierre Ménard, Le Quartanier, 2007.
Séance n° 8 (1er exercice) :
Dans le mouvement déambulatoire de la marche, décrire ce que l’on voit, ce que l’on perçoit, le flot des passants, la foule des mots courant sous le flux des
images, la ville défilant sous nos yeux par à-coups, brusques déplacements en fragments décousus, dans ce décor discontinu, une suite d’émotions, d’échos fugitifs, et de corps fuyants. Et dans
cette avancée, ce que l’on sait d’avance, saisis d’office, dans un même temps ce que l’on ressent, pensées et situations parallèles, ce qui me regarde en paysages simultanés.
Guillaume Fayard, Sombre les détails, Le Quartanier, 2005.
Séance n° 8 (2e exercice) :
Tenter de capter ce qui fuit, ce qui a été, ce qui est là, l’absence comme la présence, souvent mêlées, tentative d’opérer une coupe profonde, quasi géologique, à
la manière d’une carotte dans la glace, dans l’épaisseur d’un jour d’été, d’un instant, dans la forme d’un nuage. Espace de mémoire, de création, de lectures, de souvenirs de lecture, de musique,
mais aussi réflexion sur le nombre et les nuages.
Été, Bernard Chambaz, Flammarion, 2005.
Séance n° 9 :
Chercher dans ces détails qui font que la vie en famille est heureuse ou pesante, l’anecdote, le sens opaque, lointain et transparent de toute existence.
Frédéric Boyer, Kids, P.O.L., 2000.
Séance n° 10 :
En faisant acte de remémoration, se replacer dans quelques-unes des circonstances d’un événement particulièrement intense pour en examiner, chronologiquement, la
teneur. Raconter, à travers des séries (scènes sur le vif, portraits, paysages), ce qui nous a le plus frappé. Rapporter ce que sa mémoire conserve à vif, images dominantes de sa quotidienneté.
Procéder par écriture (convocation de mots, de phrases, de sonorités, de rythmes) et plonger dans l’événement (ou dans son souvenir) en recourant à des procédés formels poétiques traditionnels -
métrique, rime - pour les diversifier le plus possible.
Christophe Lamiot Enos, Albany, Des pommes et des oranges, Californie - II, Éditions
Flammarion, collection Poésie/ Flammarion, 2006.