La chambre lumineuse ( 1/5 )

Le souffle lui manque ; son visage grimace ; la laideur de ses lèvres, de ses joues, prises dans une torsion de tableau abstrait dure tout le temps qu’il l’observe, avant même de lui adresser la parole ; l’obscénité de ses yeux éclatés de larmes et soudain une aspiration de tout son corps qu’il n’attendait plus et qui la grandit brusquement ; il voudrait avoir tourné le coin de la rue, ne plus la voir, confrontation obligatoire pourtant sur le pavement de St Helens Gardens, tandis qu’autour d’eux l’énorme neutralité des véhicules de cette fin de matinée, voitures, bus, motos, et la bousculade des passants les amènent à se rapprocher ; il tient sa clef en main : la porte s’est fermée sur un claquement dont il a encore à l’oreille le raclement sec. Ils se font face, à deux pas ; et lui cherche la langue qui convient (à Londres ce n’est jamais évident), décide de lui parler français à cause sans doute des gestes nerveux qu’elle esquisse pour serrer un foulard accordé à la nuance grise de ses yeux – petite élégance naïve où il croit discerner un trait de son pays ; je ne me trompe pas pense-t-il, dès qu’elle lui confie en français qu’elle n’a plus un sou :

- C’est un escroc, ajoute-t-elle, il m’a épousée pour ça, pour me prendre mes diamants, quatre vrais beaux diamants, un héritage, et dont il a emporté l’étui pourtant caché sous un édredon tassé dans un placard de leur appartement : deux jours qu’il n’est pas revenu ! Deux jours !

Il la presse de questions à défaut de la serrer dans ses bras (crainte du ridicule, d’une rebuffade qui augmenterait sa colère ou son chagrin) et la voilà qui récite comme un texte appris par cœur le mariage spontané, trois semaines après leur rencontre, le bonheur, puis deux mois plus tard, hier, cette disparition sans prévenir, il était parti chercher des petits pains français…. des petits pains français, tu parles ! Les larmes reviennent en foule, il la console, lui conseille la police, montre sa porte (au cas où) et avant qu’il l’interroge, elle dit : je suis juste à côté, là… Elle désigne du doigt une porte laquée bleu… oui, la police bien sûr, bien sûr.