Non, à cause de ces sales gamins qui les réclament, on se retrouve à faire la queue à Hyper U. Et comme on n’a pas l’habitude, on se sent vaguement mal à l’aise au moment de passer à la caisse, avec poules et lapins rigolards et enveloppés de papier craquant dans le caddie. En un sens, ça rassure de voir que les beaufs devant et derrière soi, dans la file, ont choisi les mêmes personnages en promo et avec 45% de lécithine de synthèse. Max Havelaar, mon cul ! Ça doit sangloter chez les petits producteurs de cacao d’Amérique du Sud. De toutes façons, ils ne peuvent pas comprendre. Ils ne vont quand même pas organiser une chasse aux œufs pour leurs propres enfants dans la plantation : leurs enfants, si ça se trouve, c'est eux qui le récoltent, le chocolat... Alors tu parles d'une fête.
Non le chocolat sucré et plein d'édulcorants, c’est bien assez bon pour les enfants des gringos. On ne va pas se fatiguer à monter une filière d’agriculture éco-durable pour quelques gamins qui vont se chamailler pour dix œufs même pas mangeables. C’est vrai, ça, si au moins, c’était bon… Mais non ! Déjà, ils sont écœurants à regarder, avec leurs becs souriants et leurs oreilles trognons. Les enfants se battent pour les ramasser mais pas pour les ingurgiter. Ils ne sont pas cons, eux. D’ailleurs, il ne vaut mieux pas, sinon, c’est la gerbe garantie sur le pyjama nounours et les pantoufles Mickey. Même les spécialités du maître chocolatier reprendraient le même chemin, à cette heure matinale.
Et puis, toujours à cause de ces petites pestes, il faut aller les cacher de plus en plus tôt. C'est pire que Noël, maintenant. On se lève à 6h un samedi matin alors qu’on a franchement autre chose à faire. Au pire, dormir. Au mieux, réveiller celle ou celui qui dort à côté de soi parce que justement c’est samedi et qu’on n’a pas bossé toute la semaine uniquement pour aller se geler les miches sur une pelouse humide.
Alors moi, cette année, j’ai décrété que ça changerait. Je vais venger tous ceux qui ont souffert dans ces chasses aux œufs interminables et des cris exaspérants de singes et guenons surexcités. Je me suis porté volontaire pour aller cacher les œufs ce matin, à 6 heures pétantes. Ça arrangeait tous mes couples d'amis, trop heureux de faire la grasse matinée. Déjà debout à 7heures, les enfants se sont précipités dehors, appâtés par une ligne d’œufs en chocolat qui démarrait de la maison et qui filait vers le chemin de terre, pendant que leurs parents dormaient encore. Ils sont partis, en chemise de nuit et le panier à la main. Leurs silhouettes se sont amenuisées dans le lointain. Puis elles ont disparu. Je suis allé me recoucher. Tiens, il est neuf heures, je suis réveillé par des cris d’adultes, de lourdes galopades dans les escaliers et des bruit de panique partout dans la maisonnée et dehors. La vraie chasse a commencé, on dirait…