Vous reprendrez bien un “21 avril 2002” ? Non plutôt un “25 octobre 2005”…

Publié le 24 avril 2011 par Vogelsong @Vogelsong

“Le réel c’est quand on se cogne” J. Lacan

La France sue la panique. La minuterie électorale s’emballe, le personnel politique conscient qu’il faudra émerger des décombres s’excite comme un pantin frénétique. Depuis 2002, date du basculement dans le préfrontisme, les baudruches électorales s’en sont remises aux recettes politiques incantatoires, occupant le terrain médiatique des positions acquises. Pour les partis d’opposition, particulièrement le PS, une décennie paralytique. Avec comme credo lancinant, pathétique : “on va s’y mettre”. À droite, c’est l’hémiplégie idéologique, puisque seules les sirènes extrémistes et réactionnaires résonnent aux oreilles du quarteron de dirigeants. Horizon Mai 2012, une multitude de prétendants, un seul élu, une ribambelle de déçus avec comme effet collatéral la possibilité d’un nouvel accident démocratique. Pourtant, rien ne change, on se complait dans l’anticommémoration d’avril 2002, sorte d’exorcisme républicain destiné à chasser ce mal qu’on aime tant finalement. Car il ancre l’ordre social, ramène les citoyens au stade infantile. Une démocratie fantasmée, sage comme une image, rythmée de campagnes électorales, puis d’une élection moyenne. Au bout du compte, mieux vaut un “21 avril 2002” qu’un “27 octobre 2005” ?

On s’active dans les états-majors des partis politiques. La machine électoraliste fonctionne à pleine puissance. Les responsables politiques se shootent aux sondages administrés à une population qui n’en peut mais. Une énergie délirante dépensée en anticipations, projections, analyses à la petite semaine d’échantillons d’individus désaffectés de la chose politique. Les partis échafaudent des stratégies de gestion optimales du corps électoral, pour rafler la mise. Des embryons de programmes politiques lâchés en place publique pour donner l’impression du mouvement, comme au PS, sachant que le candidat en fera ce qu’il voudra. Un défilé incessant d’égo qui squattaient déjà la place il y a 30 ans. À droite on mime une démocratie interne en envoyant en première ligne des seconds couteaux pour appeler à des primaires. Simulacre puisque la messe est dite. Tout un barnum politico-médiatique avec comme toile de fond le spectre du Front National.

Mais finalement que risque la démocratie avec la menace du Front National au second tour ? Un camouflet symbolique, privant d’une finale rêvée le cénacle de la raison du petit monde politique ? La remise en cause d’une bipolarisation qui se dissipe, non pas par la jonction des deux principaux partis, UMP et PS, mais dans la radicalisation réactionnaire du premier (matinée de frénésie entrepreunariale) et l’affadissement du second engoncé dans ses compromis gestionnaires et stériles. Finalement ce qui se joue c’est la survie d’un parti (au choix), pas de la démocratie dans son état actuel, décrépite. Un second tour comportant le FN ne fait aucun doute sur l’issue. Ne pas avoir tenu compte de 2002, et faire la morale sur les nécessités du rassemblement pour 2012 confine au ridicule politique.

En octobre 2005, trois années après les lamentations d’avril 2002, les banlieues s’embrasent. C’est l’irruption violente dans l’espace médiatique des habitants du no man’s land de la République jusqu’ici simples objets de discours. Pendant trois semaines les medias se perdent dans la fascination du feu. Donnant presque (et) par mégarde (un peu) la parole aux habitants des quartiers. Pas pour très longtemps évidemment, l’ordre sécuritaire bien hérité de 2002 retrouve sa primauté. Des sondages “qui changent tout”* comme celui du Parisien du 9 novembre 2005 viennent appuyer les nervis gouvernementaux. Puis le discours carré des responsables de tous bords, “favorables” à l’arrêt des violences (notamment contre le mobilier public et les voitures).

Pourtant, 2005 cristallise sous toutes ses formes les impérities de la République, celle que F. Fillon, dans une décomplexion orwellienne, un peu plus tard dans sa loi antiburqa décrira comme “fondée sur le rassemblement autour de valeurs communes et sur la construction d’un destin partagé, elle ne peut accepter les pratiques d’exclusion et de rejet”.

Dominations culturelles, économiques et symboliques, ségrégations géographiques, stigmatisation religieuse, les émeutes d’octobre 2005 en comportent les ferments, les échos politiques. Des échos qui résonnent jusqu’en 2007 puis 2012. D’ailleurs, la matraque Lepeniste sert parfaitement la dénégation des causes sociales aux problèmes périurbains, dépeinte comme de la violence pure, bestiale… Dans cette demande sécuritaire relayée de Marianne au Monde (L. Bronner) puis dans la sphère politique par les dérapages des sarkoziens (B. Hortefeux, C. Guéant) et socialistes (M.Valls). “avril 2002” a ravagé tous les esprits.

Pour les présidentielles de 2012, le programme de la gauche ne sera manifestement pas révolutionnaire, dans le sens où il ne changera pas les données fondamentales qui régissent l’ordre social. En particulier dans les banlieues, ce point focal, ce maillon faible, mais aussi ce miroir grossissant de toutes violences économiques et politiques. Il suffit de tendre l’oreille aux propos programmatiques des caciques socialistes comme F. Hollande “Il faut réussir le mariage entre la gauche et la France.” ou P. Moscovici qui “ne veut pas promettre la lune”…

Alors, éviter un nouveau “21 avril 2002” évitera-t-il un nouveau “27 octobre 2005” ?

* 73% des français pour le couvre-feux entre autres

Vogelsong – 21 Avril 2011 – Paris