L'information est pléthore aujourd'hui. Il n'est pas nécessaire d'insister sur ce point tant la chose saute aux yeux. La recueillir n'est pas le problème. Le problème est de la trier et de la synthétiser. Jamais les entreprises n'auront eu autant besoin de personnes capables de rechercher, d'éditorialiser et de communiquer les informations. En somme, ce sont des « journalistes d'entreprises » dont elle ont besoin. Aujourd'hui on pourrait parler de « Curator », le mot à la mode ces temps-ci. Mais ces journalistes d'un nouveau genre ne doivent pas être livrés à leur seule subjectivité ou au hasard, ils doivent être orientés. C'est pourquoi il est essentiel qu'ils aient une vue stratégique de l'organisation dans laquelle ils travaillent.
Lorsqu'on parle de recherche d'information on pense en général « veille » et « cycle du renseignement ». Mais cette manière de manager l'information est inutile au point de vue stratégique car elle présuppose que l'on sait ce que l'on cherche (définition des besoins) et donc empêche de voir ce qui est vraiment important pour l'organisation, c'est-à-dire des informations dont elle n'avait même pas soupçonné l'existence. On ne peut pas tout surveiller, ça c'est évident. Mais il ne s'agit pas pour autant de s'enfermer dans des axes de veille trop précis en étant aveugle de tout le reste. La solution réside dans la composition de ce que j'appelle des capteurs stratégiques par les personnes en charge de l'information.
Contrairement à la rigidité des besoins exprimés par un cycle du renseignement, les capteurs stratégiques ne sont pas définis, ou plutôt sont en constante et perpétuelle redéfinition. L'idée est que l'info-manager (il faut bien lui trouver un nom!) est au courant des priorités stratégiques de l'organisation et compose donc sans cesse à partir de là des « capteurs » susceptibles de repérer ce qui est important relativement au contexte stratégique dans laquelle est inscrit l'organisation pour une période donnée. Si par exemple la priorité stratégique du moment est de limiter les coûts des matières premières, les capteurs pourront être la compétitivité des prix de la concurrence (s'ils restent compétitifs, ils doivent être approvisionnés moins chers que nous, etc.), les cours boursiers, l'état des voies de transports des approvisionnements, etc. De cette manière l'info-manager ne serait ni un homme de main que l'on active de temps en temps pour obtenir des renseignements de manière légale (le « soft spy »), ni un technicien qui passe ses journées à paramétrer un logiciel de veille (le « nolife » de la veille). Il serait celui qui irrigue l'organisation en flux continus d'informations en lien avec la stratégie afin de stimuler l'innovation, voire d'orienter des décisions. Il s'agit de casser le cycle du renseignement pour lui préférer le flux de l'information maîtrisée.
Contrairement au cycle, il s'agit d'un processus continue sans cesse recommencé et sans cesse réinterrogé quant à sa capacité à produire de l'innovation. En fait ce modèle peut être vu comme un cycle du renseignement autonome, indépendant d'une commande hiérarchique précise (une des faiblesses du cycle du renseignement, hérité du milieu militaire, résidait d'ailleurs dans le découpage entre toutes les fonctions du management de l'information, en particulier entre la définitions des besoins et la mise en œuvre de la collecte). Dans ce nouveau processus, l'info-manager est proactif et apporte l'information qui n'était pas attendue, celle à côté de laquelle il ne fallait pas passer compte-tenu des priorités stratégiques du moment.